RDC – Bruno Tshibala : « La confrontation, c’est fini ! »
Le 7 avril, à la suite de l’accord selon lequel le poste devait revenir à un membre du Rassemblement de l’opposition, l’ex-secrétaire général adjoint de l’UDPS est devenu Premier ministre. Une décision qui fait perdurer les divisions au sein du parti de Tshisekedi. Et au-delà.
La RDC, hors normes
Un échiquier politique illisible, des élections qui une fois encore risquent d’être reportées, une dépression financière sans précédent… Face aux incertitudes auxquelles ils sont confrontés, les Congolais semblent pourtant ne pas se résigner.
C’est l’un de ses proches collaborateurs qui résume le mieux l’état d’esprit du Premier ministre : « Bruno Tshibala ne doit paraître ni comme un défenseur ni comme un avocat du président Joseph Kabila. » Derrière ses lunettes noires, le successeur de Samy Badibanga semble pourtant s’accommoder de cet exercice périlleux.
Âgé de 61 ans, ce natif de Ngandajika, dans l’ex-Kasaï-Oriental, sera-t-il le chef de gouvernement qui conduira le pays vers les élections générales ? Ses détracteurs en doutent, lesquels se comptent surtout au sein du Rassemblement, plateforme regroupant des partis d’opposition et des organisations de la société civile (syndicats, associations, etc.), en particulier parmi ses anciens camarades de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, parti de l’opposant historique Étienne Tshisekedi), dont Bruno Tshibala a été exclu, le 4 mars, après s’être désolidarisé du Rassemblement pour se rallier à Joseph Olenghankoy. L’intéressé, lui, y croit dur comme fer.
Je suis le plus légitime en RD Congo, en tant que doyen des opposants
Jeune Afrique : Au sein de l’UDPS, beaucoup vous accusent d’avoir « trahi » en acceptant de vous rapprocher de la Majorité présidentielle (MP). Que leur répondez-vous ?
Bruno Tshibala : J’ai trente-six ans de combat au côté d’Étienne Tshisekedi. Après sa mort à Bruxelles, le 1er février, je suis aujourd’hui le plus légitime en RD Congo en tant que doyen des opposants congolais.
Tous ceux qui s’agitent au sein du Rassemblement ou ailleurs, c’est moi qui les ai accueillis lorsqu’ils ont rejoint l’opposition. Personne parmi eux n’a fait la moitié de ce que j’ai accompli dans la lutte pour l’avènement d’un État de droit.
Ceux qui ont trahi, ce sont ceux qui vont tisser des alliances contre nature avec les ultralibéraux du G7 [groupement fondé en 2015 par sept transfuges de la MP passés à l’opposition, qui soutient la candidature de Moïse Katumbi à la présidentielle], alors que nous, nous sommes des socialistes.
Moi, je n’ai jamais trahi mes convictions. Autrement, je serais devenu ministre ou Premier ministre depuis très longtemps.
Pourquoi avoir accepté de le devenir cette année ?
J’ai accepté d’être Premier ministre dans le cadre d’un accord politique qui, le 31 décembre, a scellé le compromis entre l’ensemble de la classe politique et des forces sociales du pays. Cet accord a reçu l’aval d’Étienne Tshisekedi avant sa mort.
Je promets d’offrir au peuple congolais les meilleures élections de son histoire
Aujourd’hui, la confrontation, c’est fini ! Nous sommes désormais dans la logique d’une gestion concertée de l’État. Comme le disait Charles de Gaulle : « Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités ! »
Lorsque le président vous a nommé, vous n’étiez plus à l’UDPS. Aussi, les évêques, médiateurs du dialogue, ont qualifié votre nomination d’« entorse » à la mise en œuvre de l’accord. Vous considérez-vous toujours comme membre de ce parti malgré votre exclusion ?
L’UDPS est un enfant sorti de mes entrailles. J’avais à peine 25 ans lorsque j’expliquais à mes aînés la nécessité de créer un parti d’opposition pour mieux combattre Mobutu et mettre fin à la tyrannie. C’est moi qui suis le corédacteur, avec Étienne Tshisekedi, des statuts qui régissent l’UDPS aujourd’hui. Après la mort du président du parti, personne n’a la moindre compétence pour en exclure un membre.
En tant que cofondateur historique, c’est moi le gardien du temple de l’UDPS. Je m’implique désormais dans la définition des mécanismes qui permettront, lors de l’organisation du deuxième congrès du parti, de procéder à l’élection de son nouveau président.
Votre prédécesseur à la primature, Samy Badibanga, n’est resté que trois mois en poste. Pensez-vous disposer d’une marge de manœuvre supérieure pour espérer conduire le pays jusqu’aux élections prévues à la fin de l’année ?
Contrairement à Samy Badibanga, je suis l’émanation d’un accord politique inclusif auquel toutes les composantes politiques et sociales du pays ont adhéré. Je promets d’offrir au peuple congolais les meilleures élections de son histoire. Les scrutins à venir doivent en effet être différents des deux récents cycles électoraux, émaillés de violences et de contestations.
Parlant de la tenue des élections d’ici à la fin de l’année, Joseph Kabila a déclaré qu’il « n’a rien promis ».
Le président Kabila a toujours dit et répété que nous devons aller aux élections. Avec l’accord du 31 décembre, nous tous, classe politique et forces sociales, sommes convenus de les organiser. Ce sera fait.
Le pays en a-t-il les moyens financiers ?
Organiser les élections en RD Congo n’est pas une sinécure, et le grand problème est évidemment d’ordre financier. Notre pays est un sous-continent, avec d’importants problèmes économiques.
Le président Kabila a toujours dit et répété que nous devons aller aux élections
Mais mon gouvernement s’engage à financer la totalité du budget global du processus électoral, qui s’élève à 1,3 milliard de dollars, ainsi qu’à libérer les moyens nécessaires pour permettre à la Ceni [Commission électorale nationale indépendante] d’accomplir son devoir. Et si nous n’arrivons pas à réunir l’ensemble des ressources nécessaires, nous n’hésiterons pas à nous adresser à nos partenaires traditionnels.
Comment comptez-vous vous y prendre pour apaiser le climat politique ?
Un grand effort a déjà été fait. Des cas emblématiques de prisonniers politiques ont été réglés, d’autres sont sur le point de l’être. Que ceux qui sont encore en exil et qui souhaitent rentrer au pays reviennent !
Même Moïse Katumbi, dont les affaires judiciaires ont été qualifiées de « mascarades » dans un rapport confidentiel établi par les évêques ?
Je suis en train de consulter ces différents dossiers. Il a été convenu que lorsqu’un cas est ambivalent, entre le droit commun et les infractions d’ordre politique, il appartient à la Cenco et au ministère de la Justice de se concerter pour proposer la manière de régler au mieux ces affaires.
Vous héritez d’une conjoncture financière et économique difficile. Quelles sont les priorités du gouvernement pour redresser la barre ?
La situation économique est marquée aujourd’hui par la dépréciation du franc congolais, qui entraîne la hausse du coût de la vie. Nous avons mis en place un plan d’urgence de stabilisation et de relance de l’économie. Il s’agit d’une série de mesures pour lutter contre l’instabilité monétaire, la corruption, la fraude fiscale, etc.
Nous allons tout mettre en oeuvre pour pacifier rapidement le Kasaï
À court terme, ces mesures doivent produire des résultats à même d’améliorer les conditions de vie de notre population. D’ailleurs, le volet agricole de ce plan est déjà engagé : nous disposons d’une enveloppe de 750 millions de dollars pour financer des projets à travers le pays.
Sur le plan sécuritaire, depuis plusieurs mois, le Grand Kasaï est le théâtre de violences et de tueries. Comment rétablir la paix dans cette partie du pays ?
La situation dans le Kasaï est désormais sous contrôle. Les milices Kamuina Nsapu sont démantelées et leur capacité de nuisance est considérablement réduite. Je suis moi-même originaire du Kasaï et, ayant tiré les leçons de l’insécurité dans l’Est, je me suis engagé à tout mettre en œuvre pour pacifier rapidement cette partie du territoire national. Le Kasaï est déjà confronté à des défis de développement, il n’est pas acceptable d’y ajouter des problèmes sécuritaires.
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