Lieux de pouvoir (2/4) : dans le complexe de Zhongnanhai, au cœur du pouvoir chinois
De l’époque impériale à l’ère communiste, c’est à Zhongnanhai, un vaste complexe en plein centre de Pékin, que se décide la politique de la Chine. Visite guidée de l’un des palais présidentiels les plus secrets du monde. Prochaines étapes : Moscou (le Kremlin) et Paris (l’Élysée).
Rémanence de l’empire du Milieu, temple des fondateurs de la République populaire, prison dorée, théâtre de complots sanglants et secrets, actuel lieu de travail du président Xi Jinping… Le complexe de Zhongnanhai, 670 hectares en plein centre de Pékin, jouxtant la Cité interdite, à l’emplacement de ses anciens jardins, est un peu tout cela. Si ses murs pouvaient parler, ils nous révéleraient bien des secrets de l’histoire ancienne et moderne de la Chine. Las, ils restent désespérément muets.
De l’extérieur, tout juste discerne-t‑on, au-delà de l’énorme muraille ocre rouge, des lacs calmes, des saules pleureurs et des Ginkgo biloba (arbres aux quarante écus). À l’intérieur se cachent des dizaines de bâtiments administratifs un peu décrépits où s’affairent les services de Xi Jinping et de Li Keqiang, le Premier ministre.
Devant Xinhuamen (la porte sud, ou « porte de la nouvelle Chine »), qui donne sur l’avenue Tian’anmen, quelques touristes tentent d’apercevoir le saint des saints. Trois inscriptions surplombent cette entrée : « Vive le Parti communiste chinois ! », « Vive l’invincible pensée de Mao Zedong ! » et, surtout, la devise du Grand Timonier : « Servir le peuple », en caractères dorés. De chaque côté veille un garde stoïque, en uniforme militaire. Plusieurs dizaines d’autres, en civil, équipés d’oreillettes, sont prêts à intervenir au moindre incident.
« C’est ici que travaille notre chef », sourit Chen Xin, venue visiter Pékin avec son entreprise. Sait-elle ce qui se trame derrière la grande porte rouge ? « Notre chef travaille dur. Il lit des livres et rencontre des gens », commente-t‑elle, perplexe.
Mystérieux
Car le fonctionnement de Zhongnanhai, dont le nom signifie « mers du Centre et du Sud », reste tout aussi mystérieux que la vie des dignitaires communistes. À commencer par celle du président, qui est aussi le premier secrétaire du Parti. L’une des rares images à avoir filtré de ces lieux est cette photo, prise en 2014, où l’on voit Xi Jinping assis à son bureau, sur lequel sont posés trois téléphones, deux rouges et un blanc. Derrière lui, un tableau représentant la muraille de Chine ainsi qu’une bibliothèque avec, sur ses étagères, quelques photos de famille.
Ce cliché, qui visait à humaniser les cadres du Parti, fit le buzz lors de sa publication. Car Zhongnanhai ne se dévoile que très rarement aux yeux des mortels : personnalités et délégations étrangères sont généralement reçues à l’Assemblée nationale ou à la résidence de Diaoyutai. Il n’y a ni bureau de presse ni cellule de communication. Les quelques images diffusées à la télévision nationale montrent toujours le même pavillon luxueux, vu de l’extérieur – celui où sont reçues certaines délégations.
« La sécurité est très stricte. Pour avoir le droit d’entrer, on doit remplir des papiers à l’avance, garer sa voiture à la porte ouest et attendre qu’un minibus vous amène jusqu’au Pavillon d’honneur, au bord du lac. Tous les déplacements sont minutés, raconte un journaliste qui y a déjà accompagné des délégations françaises. En passant, on voit beaucoup de bâtiments de style soviétique, assez banals. »
C’est à l’intérieur de ces pavillons rectangulaires, de deux ou trois étages, que travaillent les fonctionnaires au service du président et du Premier ministre. On ignore jusqu’à leur nombre. Les dignitaires du régime y séjournent lors de leurs passages dans la capitale, mais de plus en plus rarement : même l’ancien président Jiang Zemin ne peut plus y résider. Xi Jinping et Li Keqiang, quant à eux, habitent ailleurs. Comme un vent de changement, car il a longtemps été d’usage d’y loger les plus hauts cadres du Parti et leurs familles.
Mao Zedong
À commencer par Mao Zedong, jusqu’à sa mort, en 1975. Sa résidence, une bibliothèque du début du XXe siècle (fin de l’époque Qing) réaménagée, a été brièvement ouverte au public dans les années 1980. Dans cette maison d’un étage construite autour d’une cour carrée, on pouvait voir le bureau du Grand Timonier, sa chambre, quelques effets personnels et sa table de ping-pong.
C’est dans ces pièces que Mao a forgé sa légende et une part de l’imaginaire communiste, en décidant de faire de son pays une « République populaire », puis en lui choisissant un hymne national et un drapeau. Là aussi que se déroula, en 1972, sa fameuse rencontre avec Richard Nixon qui marqua le dégel des relations diplomatiques entre les deux pays. « J’aime avoir affaire à des gens de droite. Ils disent vraiment ce qu’ils pensent, ce qui n’est pas le cas des gens de gauche, qui disent une chose et en sous-entendent une autre », lança-t‑il au président américain. « C’est la raison pour laquelle les premiers peuvent réaliser ce dont parlent les seconds », répliqua son hôte.
Le choix de ce lieu n’est pas anodin. « Les communistes ont voulu s’installer en plein cœur de Pékin. Pour Mao, il s’agissait de jouer la continuité et d’asseoir sa légitimité. Et puis, il voulait rompre avec Tchang Kaï-chek, qui avait fait de Nankin la capitale de la Chine », explique
De fait, le Grand Timonier est omniprésent. À quelques mètres de la porte Xinhuamen, son portrait domine la place Tian’anmen. En face se trouve son mausolée, où défilent chaque année des millions de visiteurs. De Zhongnanhai part la ville souterraine qu’il fit construire dans les années 1960. D’une superficie de 6 ha, elle inclut des cuisines, des appartements privés et des avenues. Lors des émeutes de 1989, Deng Xiaoping, alors à la tête du pays, emprunta l’un de ses tunnels pour rejoindre l’Assemblée nationale, située un kilomètre plus loin.
Meurtres
En réalité, la construction du site débute au Xe siècle. Sous la dynastie des Ming (du XIVe au XVIIe siècle), Pékin devient la capitale de la Chine impériale, et Zhongnanhai fait partie de la Cité interdite. Au fil du temps, les empereurs le modernisent, chacun selon son style. À la fin du XVIIe siècle, l’empereur Kangxi y construit même une église pour remercier les jésuites de l’avoir guéri. Elle sera plus tard déplacée à l’extérieur de l’enceinte. Complots et meurtres s’y succèdent. Au XIXe siècle, l’impératrice douairière Cixi (Ts’eu-hi) y emprisonne l’empereur Guangxu, son neveu, jusqu’à la mort de ce dernier.
« De faux murs en carton avaient été érigés à chaque extrémité du lit afin que l’eunuque de garde pût s’y cacher pendant la nuit. Son travail, dans cette position inconfortable, consistait à noter tout ce que lui et ses semblables voyaient et entendaient, et à tout rapporter le lendemain matin à l’impératrice douairière », raconte l’écrivain américain George Kates dans ses Mémoires.
Dès les années 1950, les communistes s’inspirent de cette tradition. Zhongnanhai devient la cour de récréation des cadres du Parti et de leurs enfants. Y habiter est un privilège et une consécration… Mais, à l’abri de ces murs, chacun s’épie. Liu Shaoqi, qui fut un temps le dauphin de Mao, en fit l’amère expérience. Lorsqu’à la fin des années 1960 il tomba en disgrâce et qu’on l’accusa d’être un « révisionniste », il y fut humilié et torturé. Malade, il vit sa résidence murée et transformée en geôle.
Bien plus tard, en 2012, Xi Jinping disparut mystérieusement deux semaines avant le congrès du Parti qui devait le porter au pouvoir. Aussitôt la machine à rumeurs se mit en branle. On prétendit que, derrière les murailles de Zhongnanhai, Zhou Yongkang, le patron de la Sécurité intérieure, avait tenté un coup d’État. Depuis, le présumé putschiste croupit en prison.
Selon une coutume ancestrale, la population dépose ses doléances à Zhongnanhai. Jadis, les plaignants espéraient avoir l’honneur d’une audience avec l’empereur ; aujourd’hui, ils s’efforcent de rencontrer le président. Dans de très rares cas, des délégations sont autorisées à pénétrer à l’intérieur. La plupart du temps, la police écarte sans ménagement les importuns.
Cette coutume remonte au début du XXe siècle et à l’érection de la porte de Xinhuamen, d’où l’empereur passait ses troupes en revue. Devant cette même porte ont défilé des cohortes d’étudiants, aussi bien ceux qui réclamaient la tête de Liu Shaoqi dans les années 1960 que ceux qui, en 1989, rêvaient d’une ouverture politique. Aujourd’hui, ce sont surtout des paysans et des ouvriers qui dénoncent les injustices dont ils s’estiment victimes. Ou bien les membres de la secte Falun Gong, qui montent à Pékin pour défendre leur liberté religieuse.
Décentralisation
Depuis la mort de Mao, pour désengorger la capitale, Zhongnanhai a entrepris une longue marche vers la décentralisation. Seuls à se réunir encore en ces lieux, le président et le Premier ministre, bien sûr, mais aussi les vingt-cinq membres du bureau politique du PCC et les vingt-cinq membres du Conseil d’État (gouvernement) lors de certains Conseils des ministres – les autres se tiennent à l’Assemblée nationale.
C’est aussi à Zhongnanhai que se réunissent les dix membres de la très influente Commission militaire. En 2015, certains bureaux du gouvernement ont déménagé vers l’est de Pékin. Une révolution quand on connaît l’importance symbolique que revêt le cœur de la capitale aux yeux du pouvoir communiste. Dès la fin de cette année, une partie des fonctionnaires auront fait leurs adieux à Zhongnanhai, emportant avec eux une partie de ses secrets.
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