Maroc : dissensions au PJD alors que se pose la question de la succession de Benkirane
Ses partisans veulent que Benkirane rempile pour un troisième mandat à la tête du Parti de la justice et du développement, et qu’il aplanisse ses relations avec l’État.
Ils étaient quelque 260 membres du Parti de la justice et du développement (PJD) à s’être déplacés, le 15 juillet, à l’École nationale des mines de Rabat, pour assister à la réunion extraordinaire de leur conseil national. L’ordre du jour était minimaliste : fixer la date du prochain congrès national et élire les commissions chargées de le préparer.
Se posaient cependant en toile de fond deux questions déterminantes pour l’avenir de la formation islamiste. D’une part, la succession de l’actuel secrétaire général, Abdelilah Benkirane, arrivé au terme des deux mandats que lui permettent les statuts du parti. D’autre part, le règlement des tensions internes qui agitent la formation depuis que, le 15 mars, face à son incapacité à former un nouveau gouvernement six mois après les législatives, Abdelilah Benkirane a été remercié par Mohammed VI et remplacé au pied levé dans ses fonctions de chef du gouvernement par Saadeddine El Othmani, numéro deux du PJD (lire JA n° 2940, du 14 au 20 mai, pp. 45-47).
J’ai failli vous envoyer ma lettre de démission depuis La Mecque, où j’étais en pèlerinage » commence Abdelilah Benkirane
Chemise à manches courtes, cravate noire, ce 15 juillet, le leader islamiste a une fois de plus fait son show devant une assistance conquise. « J’ai failli vous envoyer ma lettre de démission depuis La Mecque, où j’étais en pèlerinage », commence-t-il. Avant d’avouer s’être « ravisé », après réflexion : le parti traverse « une crise », et il est de son devoir « de prendre ses responsabilités ».
Sur son éventuelle aspiration à rempiler pour un troisième mandat de secrétaire général du parti, Abdelilah Benkirane n’a en revanche pas dit un mot, estimant que « ce sujet est encore prématuré ».
Une troisième candidature de sa part nécessiterait un amendement des statuts du parti
Depuis son éviction de la tête du gouvernement, Benkirane cultive les ambiguïtés, sinon le mystère, sur son avenir politique. Et pour cause : une troisième candidature de sa part nécessiterait un amendement des statuts du parti.
Le pas à ne pas franchir, selon le courant légaliste, représenté notamment par les ministres Mustapha Ramid, Lahcen Daoudi et Aziz Rebbah, qui considèrent que la démocratie interne, marque de fabrique du PJD, en prendrait un coup.
Un fort soutien de la part des jeunes du parti
Pourtant, les plus proches lieutenants de Benkirane, qui se comptent essentiellement parmi les jeunes cadres du parti, sont à l’œuvre pour lui baliser le terrain.
Le 9 juillet, la Chabiba Islamiya (Jeunesse islamique) s’est fendue d’un communiqué appelant Abdelilah Benkirane à « poursuivre l’exercice de son rôle national, aussi bien actuellement que dans l’avenir, étant donné qu’il constitue un espoir pour de larges couches de la société marocaine qui croient en la logique de réforme dans la stabilité ».
Rompu à la politique politicienne, le charismatique numéro un du PJD est perçu comme le bouclier idéal face aux assauts supposés du pouvoir contre le parti.
Blocage des concertations menées par Benkirane pour former son gouvernement, limogeage de ce dernier, condamnation à de la prison ferme de huit de ses jeunes dans des procès d’apologie du terrorisme… Le PJD est persuadé d’être dans le collimateur.
Dernière crispation en date : le Hirak du Rif, le mouvement de contestation qui secoue la province d’Al Hoceima depuis huit mois. Le 25 juin, le roi Mohammed VI a sévèrement recadré le gouvernement islamiste, le rendant responsable du retard pris dans l’exécution du plan de développement de cette région.
Les ministres directement concernés ont été formellement privés de vacances tant que leurs dossiers n’auront pas connu d’avancées significatives.
Critiques du PJD à l’encontre du gouvernement
Depuis l’éclatement de la contestation dans le Rif, le chef du gouvernement, Saadeddine El Othmani, n’a pas une seule fois mis les pieds à Al Hoceima, laissant les ministres « étiquetés » proches du Palais et les responsables sécuritaires prendre les devants.
Fin juin, au lendemain d’accrochages entre les manifestants et les forces de l’ordre, il s’est contenté de témoigner « sa tristesse » face à « ces événements douloureux ».
Ce qui a valu à El Othmani de virulentes critiques de la part de ses frères du PJD. « Quelle est notre utilité dans ce gouvernement si les décisions se prennent à l’extérieur ? » s’est emporté Abdessamad El Idrissi, député PJD, lors d’une réunion interne au parti.
Dans le communiqué final de son conseil national, le PJD s’est dédouané de toute responsabilité dans le dossier du Rif
« Ce ne sont pas ces paroles de regrets qui vont permettre au PJD de recouvrer sa crédibilité auprès du peuple. Quand il y a une tempête, il faut l’affronter, aller sur place, écouter les gens, demander la libération des détenus ! » ajoute Abdelaziz Aftati, ancien parlementaire du parti de la lampe.
Dans le communiqué final de son conseil national, le PJD s’est dédouané de toute responsabilité dans le dossier du Rif, estimant que les causes de cette contestation sont profondes et ont été aggravées par le durcissement sécuritaire. « Elle est le résultat d’un long processus d’affaiblissement de la classe politique et des structures de médiation », explique Bilal Talidi, membre du conseil national du parti.
Les frères ont donc décidé de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Alors qu’on l’attendait pour cet été, ils ont programmé leur congrès national les 9 et 10 décembre.
Benkirane et ses partisans espèrent que, d’ici là, le comportement des pouvoirs publics à leur égard aura changé. « En clair, on espère que, avec l’enlisement de la situation dans le Rif, l’État aura compris que sa politique de délégitimation des partis pourrait se retourner contre lui », explique-t-on dans les rangs du PJD. Ambiance…
La planche de salut ?
«Le problème du PJD, c’est Benkirane lui-même. Il a tellement cultivé sa personnalité qu’il considère que le PJD est son œuvre », tranche le politologue Mohamed Darif. Début juillet, lors d’une rencontre avec les élus locaux du parti, le chef islamiste a raconté à une foule médusée « tous les coups que le pouvoir lui a assénés » depuis sa décision de sortir de la clandestinité, au début des années 1980, lorsqu’il était membre de la Chabiba Islamiya, pour aller vers un parti reconnu et, ensuite, vers la gestion du pouvoir.
« Il ancre l’idée que le parti ne peut pas fonctionner sans lui, que le salut du PJD dépend de lui », poursuit Darif. Un fonctionnement typique des organisations islamistes, qui, de par le monde, se construisent autour d’un cheikh ou d’un maître spirituel et résistent à toute tentative d’institutionnaliser une vraie démocratie en leur sein.
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