Bombardement à Bouaké : Robert J. Carsky, l’Américain oublié

La veuve de ce civil tué dans le bombardement raconte ses rencontres avec les autorités françaises et ivoiriennes. Selon elle, Paris a des choses à cacher.

Le 6 novembre 2004, le bombardement du camp français de la force Licorne faisait dix morts. © Schalk van Zuydam/AP/SIPA

Le 6 novembre 2004, le bombardement du camp français de la force Licorne faisait dix morts. © Schalk van Zuydam/AP/SIPA

VINCENT-DUHEM_2024

Publié le 4 août 2017 Lecture : 2 minutes.

Bouaké, la contre-enquête. © JA
Issu du dossier

Bombardement de Bouaké : la contre-enquête

Le 6 novembre 2004, deux avions Sukoi de l’armée ivoirienne bombardaient le camp français de la force Licorne. Bilan : 10 morts et 38 blessés. Tournant du conflit politico-militaire ivoirien, ce drame aura également de lourdes conséquences sur les relations entre les deux pays. JA lève un coin du voile.

Sommaire

Il est mort dans l’anonymat, sans les honneurs de l’État. Le 6 novembre 2004, Robert J. Carsky, un agronome américain de 49 ans travaillant pour Africa Rice, décède dans le bombardement du lycée Descartes, où il s’était réfugié au début de l’opération Dignité. Dans un témoignage anonyme versé au dossier, un soldat français présent au moment des faits décrit ainsi la scène : « Nous entrons dans la salle de télévision.

Contre le mur nord gît, inanimé et tremblant, le ressortissant américain Bob [sans doute le surnom que les Français lui donnaient]. Le première classe Coignard arrive, et je lui demande d’apporter un lit picot, car il n’y a plus de brancard libre, mais l’Américain meurt. Coignard est là avec le lit picot en trente secondes, mais il est trop tard. »

la suite après cette publicité

Des questions sans réponses

Abandonnée par le gouvernement américain, sa femme, qui n’a jamais pu voir la dépouille de son mari, incinérée à Paris, a tenu à envoyer sa version à l’avocat des victimes françaises, Me Jean Balan. Dans cet e-mail versé au dossier en juin 2016 et auquel Jeune Afrique a eu accès, cette dernière raconte avoir été invitée à Paris et à Abidjan par les autorités françaises et ivoiriennes. Reçue par Michèle Alliot-Marie en 2005, la veuve explique dans son témoignage que la ministre française de la Défense l’a plutôt écoutée. « Cela m’a soulagée, mais je suis repartie sans réponses à mes questions », poursuit-elle.

L’heure que j’ai passée dans le bureau du président Gbagbo avec le ministre Bouabré m’a laissé l’impression qu’ils se posaient autant de questions que moi

C’est ensuite par l’intermédiaire de l’ancien ministre ivoirien des Finances, Paul Bohoun Bouabré (décédé en janvier 2012) qu’elle se rend en Côte d’Ivoire et rencontre le chef de l’État, Laurent Gbagbo, à une date inconnue. « L’heure que j’ai passée dans le bureau du président Gbagbo avec le ministre Bouabré m’a laissé l’impression qu’ils se posaient autant de questions que moi et qu’ils n’étaient pas vraiment les auteurs de l’acte, raconte-t-elle. Ils m’ont parlé de la manière avec laquelle les Français se sont précipités pour enlever les corps du lieu, sans laisser l’enquête se faire. Tout cela m’a donné l’impression qu’il y avait autre chose qui se jouait là-dedans. »

Et de conclure : « Je dois dire que la manière dont Laurent Gbagbo m’a répondu et ce que j’ai pu percevoir lors de mes rencontres coïncident avec votre hypothèse [celle de Me Balan]. » Pour l’avocat des victimes, il ne fait aucun doute qu’une manipulation française se trouve à l’origine du drame, quelqu’un ayant fourni une fausse information à l’armée ivoirienne afin qu’elle bombarde la base française de Bouaké, le but étant de légitimer le renversement du président Gbagbo.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image