Avions d’affaires : des ventes qui attendent le décollage en Afrique

Si le trafic des avions privés poursuit son essor sur le continent, les entreprises africaines hésitent souvent à engager des dépenses pour l’achat d’appareils.

Des jets privés sur le tarmac de l’aéroport de Scottsdale, en Arizona (image d’illustration). © Ross D. Franklin/AP/SIPA

Des jets privés sur le tarmac de l’aéroport de Scottsdale, en Arizona (image d’illustration). © Ross D. Franklin/AP/SIPA

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 4 août 2017 Lecture : 4 minutes.

Un avion de la compagnie Air Zimbabwe. © Bob Adams, www.flickr.com
Issu du dossier

Plongée au cœur de l’aviation africaine

Entre la maintenance, les équipages et les terminaux, où se situe l’Afrique sur le dossier de l’aviation ? Si l’essor des avions sur le continent est bien présent, les entreprises africaines hésitent parfois à engager des dépenses trop importantes.

Sommaire

La crise ? Voilà un mot que l’aviation d’affaires africaine ne connaît pas. Sur ses principaux marchés – l’Afrique du sud, le Kenya, l’Angola, le Maroc –, le trafic continue son inexorable progression. Au Nigeria, la compagnie suisse ExecuJet, l’un des plus grands opérateurs du continent, a connu une croissance de 13 % de son activité sur son terminal de Lagos entre 2016 et 2017, malgré un contexte national morose.

Dopé dans l’Ouest et dans le Centre par le manque de grands transporteurs commerciaux comparables à Ethiopian Airlines dans l’Est, et par les lacunes d’infrastructures et de connexions aériennes, routières ou ferroviaires, le trafic reste surtout porté par l’exploration des projets pétroliers et miniers. D’après les professionnels interrogés, la chute du cours des matières premières qui aura affecté la plupart de ces marchés n’aura donc pas eu d’influence sur la croissance du trafic des jets et autres turbopropulseurs utilisés par les hommes d’affaires et chefs d’entreprise.

Nous n’avons vu aucun impact de la crise sur notre carnet de commandes

la suite après cette publicité

Bien au contraire, selon Dawit Lemma, directeur des événements de l’Association africaine de l’aviation d’affaires (Afbaa), « une crise est bonne en général pour l’aviation d’affaires, car cette dernière répond au mieux aux cas d’urgence, notamment quand le PDG d’une grande entreprise et ses équipes doivent se rendre en deux ou trois jours dans plusieurs capitales et différentes filiales pour régler rapidement des différends ». Du côté des constructeurs, on se félicite également. « Nous n’avons vu aucun impact de la crise sur notre carnet de commandes », confirme l’avionneur américain Gulfstream, dont les grands jets G500 et G600 peuvent assurer les vols longue distance.

Avec une flotte qui a doublé entre 2006 et 2016, passant de 190 à 380 appareils, ce petit marché constitue néanmoins une belle exception pour les constructeurs, dans un contexte mondial toujours marqué par la crise de 2008 – depuis laquelle on a constaté un grand essoufflement sur les marchés traditionnels que sont l’Amérique du Nord, le Moyen-Orient et les anciens pays du bloc de l’Est. D’après un rapport de 2015 sur le sujet réalisé par l’Asian Sky Group, le marché africain de l’aviation privée est dominé principalement par Hawker (22 % du parc), Cessna (20 %), Bombardier (18 %), Gulfstream et Dassault (13 % chacun).

Optimisme

« Dans un secteur qui reste toujours très fragilisé, avec peu de visibilité sur une éventuelle reprise et des niveaux de vente actuellement très faibles, on a vécu au contraire l’évolution du marché africain ces cinq dernières années avec beaucoup d’optimisme », nous confiait en juin, lors du Salon du Bourget, Vadim Feldzer, porte-parole de Dassault Aviations.

Un sentiment que partage Khader Mattar, vice-président des ventes d’avions d’affaires de Bombardier pour le Moyen-Orient et l’Afrique, qui voit d’un bon œil l’arrivée de nouveaux entrants sur le continent, comme les investisseurs chinois. Le constructeur canadien prévoit ainsi la livraison (tous avionneurs confondus) de 200 appareils neufs d’ici à 2025 en Afrique, dont 80 % d’avions légers et intermédiaires, représentant un marché de 7 milliards de dollars. Ce qui portera la flotte continentale à 520 appareils, 60 aéronefs devant prendre leur retraite.

 © AFRICA BUSINESS JET FLEET REPORT 2015 – ASIAN SKY GROUP

© AFRICA BUSINESS JET FLEET REPORT 2015 – ASIAN SKY GROUP

la suite après cette publicité

Des chiffres encourageants, mais qui demeurent modestes comparés aux 8 300 nouvelles livraisons prévues au total dans le monde sur la même période. Il existe à cela plusieurs raisons. Avec la flotte la plus vieille du monde, d’une moyenne d’âge de 20 ans, le nombre de produits disponibles sur le marché reste important. S’ils sont bien entretenus, des avions d’affaires de plus de 30 ans peuvent en effet encore voler, explique Dawit Lemma, même si certains pays comme l’Éthiopie interdisent de plus en plus l’usage d’avions vétustes. Dans le monde, les avions d’occasion récents (vieux d’un à deux ans) constituent 10 % des flottes.

Mais il y a un autre facteur qui bloque le développement du marché pour les constructeurs. « Le contexte globalement incertain fait que les entreprises ne dépensent plus 50 millions d’euros pour un appareil. Pour qu’elles investissent, il faut que tous les indicateurs économiques soient au vert », indique Dawit Lemma. En dehors des milliardaires et des gouvernements, rares sont les entreprises africaines à vouloir débourser de telles sommes comptant, même si elles en ont les moyens.

la suite après cette publicité

Par ailleurs, il leur est encore bien difficile de trouver des financements et d’obtenir la confiance des banques et des compagnies financières comme GE Capital Aviation Services (Gecas), CIT Aerospace, Macquarie AirFinance ou encore Global Jet Capital, spécialisées dans les prêts pour l’acquisition d’avions ou dans le leasing. « Ces institutions financières considèrent le prêt à des entreprises africaines comme trop risqué. C’est le plus gros problème que nous rencontrons », admet Dawit Lemma. Seules les entreprises qui bénéficient de bonnes et anciennes relations avec ces institutions ou avec certains constructeurs auront des facilités pour obtenir des crédits.

« Jet cards »

Face à ces difficultés de financement, « de plus en plus de banques africaines ont fait l’acquisition d’avions d’affaires ces dernières années, remarque Khader Mattar. Nous avons également noté une augmentation de l’intérêt des banques africaines à soutenir ce genre de transaction ». Le marché optera donc pour des solutions alternatives.  Il se tournera plus fortement vers l’acquisition de petits avions, plus faciles à financer, comme des Cessna Bravo, qui coûteront de 2 à 5 millions d’euros, que vers les plus gros jets privés.

Les voyageurs d’affaires pourront préférer des jet cards accordant un certain quota d’heures de vol. De riches businessmen pourront aussi recourir à la multipropriété des appareils. Pour que les ventes d’avions privés décollent vraiment, il reste donc aux entreprises africaines à gagner la confiance des constructeurs et des acteurs financiers.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image