Orchestra Baobab : à chaque album, une renaissance

Ils symbolisent les rythmes afro-cubains des années 1970 et continuent d’arpenter les scènes de France et du Sénégal. Les papys du « Bao », au terme d’une riche histoire, espèrent une plus vaste reconnaissance sur le continent.

Orchestra Baobab. © T L Miles // CC // Wikimedia Commons

Orchestra Baobab. © T L Miles // CC // Wikimedia Commons

Clarisse

Publié le 28 juillet 2017 Lecture : 7 minutes.

Ils prévoient chaque fois une heure trente de concert mais, à l’arrivée, restent toujours au minimum deux heures sur scène… De Berlin à Londres en passant par Louvain, Zagreb ou Paris, les papys de l’Orchestra Baobab rencontrent depuis plusieurs mois le même succès. L’emblématique formation ouest-africaine des années 1970 est en tournée pour la présentation de son nouvel album, Tribute to Ndiouga Dieng, le premier depuis dix ans, dédié à l’un des fondateurs, décédé en novembre 2016 à Dakar.

Dans la même veine que les précédents albums, Tribute to Ndiouga Dieng exalte la salsa mandingue, une fusion entre musique afro-cubaine, mélodies wolofs et rythmes traditionnels de Casamance, le tout mâtiné de jazz. « Nous avons un truc, explique le saxophoniste Thierno Koité, 64 ans : toujours attaquer avec notre formule la plus dansante [« On verra ça »] ou la plus langoureuse [« Utrus Horas », un boléro en portugais]. »

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Peut-être. Mais les inconditionnels de ce groupe, qui réunit des musiciens venus aussi bien du Togo que du Bénin, de Gambie ou de Casamance, disent assister, à chaque sortie d’album, à une véritable renaissance.

Le dernier s’est néanmoins fait sans trois de ses quatre derniers piliers : Rudy Gomis, victime d’un AVC, le guitariste-avocat Barthélémy Attisso, 72 ans, retenu par ses plaidoiries, et Ndiouga Dieng, remplacé par son fils Alpha.

Seul membre fondateur toujours en activité, le chanteur Balla Sidibé, 74 ans, revendique une plus grande audace dans les arrangements et la manière de chanter, « ce qui permet de rompre avec la monotonie d’antan ».

Rythmes latino-américains mêlés de traditions locales

Pour comprendre cette renaissance, retour vers le Sénégal des années 1960 et 1970. Les musiques sous influence cubaine dominent, chantées en langues locales. Poussées par Ousmane Mbaye, qui enregistre en 1963 « Soce », l’un des premiers morceaux de salsa made in Sénégal, des formations comme le Star Band de Dakar, le Star Number One ou encore l’Étoile de Dakar rivalisent d’ingéniosité pour accommoder les standards cubains à la sauce africaine.

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Écouter de la salsa devient un art de vivre. Orchestre attitré du Club Baobab, créé par Adrien Senghor, proche parent du président, le « Bao » enfièvre les noctambules dans l’arrière-cour du bâtiment, rue Jules-Ferry.

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« Nous devions contenter tous les clients, ce qui explique que nous passions de la rumba au boléro puis au cha-cha-cha », explique Barthélémy Attisso. Prolifique, le Bao s’illustre avec une vingtaine d’albums enregistrés et devient le groupe phare de l’époque.

De l’obscurité a la notoriété

Jet-SEt. « Le Dakar sélect se donnait rendez-vous au Club Baobab, le président Senghor lui-même y faisait conduire ses invités de marque, ce qui a contribué à la notoriété de notre formation », se souvient Balla Sidibé.

Désormais installé à Lomé, Me Barthélémy Attisso évoque un spectacle lors d’une croisière entre le Sénégal et la Guinée-Conakry après l’acquisition par l’État sénégalais, en 1973, du navire Casamance Express, frère aîné du Joola.

Nous avons été tant piratés que notre musique est parvenue aux oreilles des blancs.

À peine installés dans leur chambre d’hôtel, ils avaient répondu à une invitation pressante de Sékou Touré, lequel voulait les voir aux côtés du Bembeya Jazz National. « Voir Sékou Touré, c’était rencontrer le bon Dieu », glisse sans nuance Balla Sidibé.

Le souvenir le plus ému de Me Attisso reste l’invitation du couturier Pierre Cardin pour animer le somptueux mariage de l’une de ses protégées dans sa propriété, en présence de la jet-set parisienne.

Preuve d’une notoriété que les musiciens ne s’expliquent toujours pas. Si ce n’est par un laconique « Dakar a été la plus occidentale des villes ouest-africaines dès 1910 ».

Au Cabaret sauvage, ce 16 mai, interrogé sur le public presque exclusivement blanc, Sidibé s’est contenté de plaisanter : « Nous avons été tant piratés dans les années 1970 que notre musique est parvenue aux oreilles des Blancs. »

Des querelles qui séparent le groupe

Mais le percussionniste Mamadou Mountaga Koité accepte néanmoins de revenir sur les turbulences rencontrées, comme « la tornade mbalax, qui a failli [les] emporter dans les années 1980 ».

Exécutées par des femmes déchaînées, les danses suggestives vident en effet peu à peu le Club Baobab de ses usagers. Un certain Youssou Ndour, à peine âgé de 18 ans, signe avec l’Étoile de Dakar la fin de l’époque cubaine du Sénégal avec « Thiely ».

Enregistré au petit matin dans un studio dakarois, ce sera le seul titre diffusé une journée entière par toutes les radios. L’Orchestra Baobab a bien tenté de résister avec « Bul Ma Miin », les tambours de Mamadou Mountaga Koité prenant alors des accents de mbalax.

Mais les querelles sur la nécessité de suivre ou non le mouvement finissent par avoir raison du groupe, qui se sépare en 1987.

Le retour des vétérans

tournée. Nouveau départ à l’aube des années 2000, quand la formation est ressuscitée par le producteur Nick Gold, celui-là même qui a sorti les papys du Buena Vista Social Club de leur torpeur. Sidibé aurait mis deux longues années à persuader Gold, uniquement intéressé par les voix des chanteurs, de produire tout le groupe. Il se souvient de leur premier festival à Londres, dans une salle bondée.

« Nous étions persuadés que le public était là pour des artistes plus connus. Ils ont défilé les uns après les autres. Le public était toujours là. Avant-derniers à passer, nous avons eu droit à dix minutes d’ovation.

Puis les spectateurs se sont retirés, et c’est devant une salle vide que le dernier groupe s’est produit. J’étais gêné. » En réalité, le Bao ne quitte jamais la scène. Séparés, ses membres ont continué à évoluer dans d’autres clubs.

Tout au long de la décennie 1990, Balla Sidibé et Rudy Gomis se produisent avec des jeunes qu’ils ont formés.

En 1987, les querelles sur la nécessité de suivre ou non le mouvement mbalax ont raison du groupe.

Désormais, entre deux albums, on les retrouve dans des soirées privées et dans des restaurants de Dakar, devant un public plutôt âgé et nostalgique. Des prestations peu lucratives qui permettent de ne pas perdre la main.

S’ils disent ne recevoir aucune subvention de l’État, depuis trois ans la première dame du Sénégal, Marieme Faye Sall, les a pris sous son aile. Elle les a associés aux manifestations organisées par les institutions.

Et ils touchent évidemment des royalties sur la vente de leurs disques, Specialist in All Style et Made in Dakar étant ceux qui se sont le mieux écoulés, surtout en Occident.

Ils rêvent d’une notoriété en Afrique

Apprécié en Europe, l’Orchestra Baobab est méconnu sur le continent. Si les musiciens du Bao disent rêver d’écrire la bande-son d’un film ou d’obtenir un disque d’or, ils sont surtout obsédés par l’idée d’une grande tournée en Afrique.

« Une perspective qui ne séduit pas notre producteur. Il préfère les pays asiatiques ou européens, où le public est moins désargenté », lance Mountaga Koité.

Cet admirateur du Camerounais Richard Bona estime que ce serait la meilleure façon de corriger le déficit de reconnaissance dont souffre leur orchestre en Afrique subsaharienne. Mis à part leurs petites escapades dans la Mauritanie ou la Gambie voisines, ils n’ont jamais effectué de tournée sur le continent.

l’Orchestra Baobab perd son âme

Comment garder vivante l’âme du Baobab ? Trente fois grand-père et père de dix enfants, Sidibé pense tenir une possible pépinière, mais reconnaît que sa progéniture est davantage attirée par le hip-hop. Attisso est plus pessimiste.

« Certes, de jeunes artistes tels Balla Ndiaye et Alassane Ngom mettent leurs pas dans ceux de l’Orchestra Baobab, mais la plupart privilégient les musiques commerciales. Aujourd’hui, le chanteur occupe tout l’espace et ne laisse plus la possibilité d’écouter les envolées du trompettiste ou du soliste.

Le public ne peut plus juger du talent des musiciens. » Le guitariste poursuit : « J’ai été inspiré par des individualités telles que BB King, Franco, Carlos Santana. J’aurais aimé qu’il en soit de même pour les jeunes qui me regardent. »

En attendant, l’Orchestra Baobab ne boudera pas son plaisir d’être encensé une fois de plus le 7 août à la Fiest’A Sète et le 10 à Jazz in Marciac, en France.

Le son cubain sans Cuba

L’Orchestra Baobab a fait le tour du monde sans jamais s’arrêter à Cuba. Pas que l’envie de se confronter à la réalité de la musique cubaine sur ses terres lui ait manqué, mais si Nick Gold l’a un temps envisagé, il en a été dissuadé par le montant des cachets.

Tous les musiciens de l’Orchestra Baobab ont néanmoins pu partager la scène avec l’Orquesta Aragón. D’abord en octobre 2002, au Barbican Centre de Londres, puis à Dakar, en juin 2014, pour les 75 ans d’Aragón.

Ils ne sont pas peu fiers non plus d’avoir joué avec Ibrahim Ferrer, du Buena Vista Social Club, qui leur a assuré être impressionné par des Africains jouant aussi bien que des natifs de l’île. Le musicien cubain, aujourd’hui décédé, a d’ailleurs posé sa sublime voix sur l’envoûtant « Utrus Horas », devenu depuis « Hommage à Tonton Ferrer ».

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