Informatique : Badreddine Ouali, pionnier tunisien des logiciels financiers
Le fondateur de Vermeg, Badreddine Ouali, également esthète et mécène, s’apprête à faire franchir un nouveau cap à sa société. Retour sur un parcours aux allures de success-story.
Originaire des faubourgs de Tunis, Badreddine Ouali, le président de l’éditeur de logiciels Vermeg, n’était pas familier du monde de la finance. « La première fois que j’ai vu écrit “obligataire”, je pensais qu’il s’agissait de l’adjectif obligatoire mal orthographié », se souvient le quinqua au contact facile qui nous a reçus dans son bureau tunisois des Berges du lac, avec vue panoramique sur la mer.
Vermeg, dont les produits informatiques sont utilisés pour la gestion de titres dans la banque et le suivi des sinistres dans les assurances dans 20 pays, s’apprête à faire son deuxième bond. Trois ans après avoir pris le contrôle de la société informatique belge BSB, l’entreprise aux 700 salariés, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 53 millions d’euros en 2016, va continuer sa croissance sous la houlette de son entreprenant fondateur.
Depuis le 20 janvier, un nouvel actionnaire est à bord : le bancassureur français Crédit mutuel Arkea, qui a pris 19,5 % du capital de Vermeg. Arkea prévoit d’apporter 32 millions d’euros pour faire passer la société à la vitesse supérieure.
Une acquisition en Allemagne, encore à l’étude, devrait compléter le dispositif en Tunisie, en France et au Benelux. Objectif : parvenir à 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et à 1 500 salariés à l’horizon 2020 et conquérir une place de leader face à l’américain Computer Sciences Corporation et à l’allemand MSG Life.
Un passionné d’art
Depuis le recrutement de Pascal Leroy, ancien patron du géant français de services informatiques Sopra, pour assurer la direction générale de Vermeg en 2015, le fondateur assure consacrer seulement un tiers de son temps à l’orientation stratégique de l’entreprise, dont il préside le conseil d’administration.
Ce qui laisse à cet ingénieur de 54 ans, marié à une Allemande naturalisée tunisienne et père de deux enfants, du temps pour ses passions personnelles. Quiconque lui rend visite se rend d’ailleurs vite compte de ses goûts.
Le festival du Printemps des arts plastiques de La Marsa, qu’il a cofondé, a dû être suspendu après avoir été visé par des islamistes radicaux en 2012
Dans le bureau du président de Vermeg sont accrochés des tableaux de Nadia Khiari, la caricaturiste qui a créé Willis from Tunis, figure emblématique de la révolution, et des sculptures de l’artiste franco-américain Arman. Sa collection personnelle dépasse le millier de pièces. Si le festival du Printemps des arts plastiques de La Marsa, qu’il a cofondé, a dû être suspendu après avoir été visé par des islamistes radicaux en 2012, Ouali espère qu’il pourra renaître de ses cendres.
Une âme de philanthrope
La patron-fondateur de Vermeg s’engage aussi à travers la Fondation Tunisie pour le développement, qu’il a créée fin 2016 et qu’il a dotée de 20 millions d’euros.
Cette structure contribue notamment au Smart Tunisia, initiative d’État qui vise à attirer des emplois en Tunisie dans les technologies de l’information et de la communication, et à la création d’un réseau de centres de ressources pour les entrepreneurs appelé Elife.
Le premier pourrait être ouvert avant la fin de l’année à Seliana, dans le nord-ouest du pays. La fondation soutient également l’hôpital psychiatrique de Razi, à Tunis.
Une ascension fulgurante
Sa fortune ? L’intéressé évacue le sujet d’un revers de main. Mais quel chemin parcouru depuis son parcours universitaire moyen, parfois même laborieux, en France, financé difficilement par sa mère, divorcée… Après une classe préparatoire en banlieue parisienne, il a étudié à l’École des mines de Saint-Étienne. « J’en suis entré dernier et sorti avant-dernier », se souvient-il.
Son premier job, il le trouve chez McDonnell Douglas France. L’avionneur américain loue alors du matériel informatique et des capacités à communiquer en réseau pour lesquels le futur patron de Vermeg doit éviter des milliers de bugs.
« J’étais un genre de Zorro qui passait ses journées à se faire engueuler », se souvient-il. Après le départ d’un collègue chez Concept, un éditeur de logiciels financiers, il l’y rejoint et conçoit un outil de gestion d’actifs qui rapporte à son employeur dix fois plus que la moyenne pour ce type de produits. Il se retrouve avec 300 personnes sous ses ordres et un salaire annuel de trois millions de francs (environ 450 000 euros). Jusqu’au rachat de la société par France Télécom, l’ancêtre d’Orange.
Le retour au pays
La prise de contact avec le numéro deux de l’époque est fraîche : « Monsieur Ouali, vous n’êtes pas français, vous n’êtes pas diplômé de l’École nationale supérieure des télécommunications et vous gagnez plus que le patron de France Télécom », lui aurait-on assené.
La nouvelle hiérarchie dit niet au tournant qu’il propose vers les pays émergents.
Il claque la porte et rentre en Tunisie en 1992. C’est le début de l’aventure Banque Finance et Investissement (BFI) – le précurseur de Vermeg –, pour lequel il code le premier logiciel en solo en deux mois avant d’en vendre une première version à l’Union bancaire pour le commerce et l’industrie (UBCI), filiale de BNP Paribas.
Suivra une croissance rapide jusqu’à un contrat de 10 millions de dinars (5,3 millions d’euros) sur trois ans pour la Banque centrale tunisienne, décroché en 1999. C’est la première fois qu’une société tunisienne remporte un marché informatique de cette taille, et ce succès ne passe pas inaperçu.
Montasser Ouaïli, alors ministre des Technologies de communication, fait pression en ce sens. L’homme d’affaires refuse
Très vite, Mondher Ben Ayed, patron des sociétés informatiques TMI et Medsoft et ancien associé du gendre de Ben Ali, Slim Zarrouk (dont les avoirs sont gelés par l’UE depuis 2011), propose d’absorber BFI. Montasser Ouaïli, alors ministre des Technologies de communication, fait pression en ce sens. L’homme d’affaires refuse.
La même année, douze marchés publics remportés par BFI sont déclarés « infructueux » et Badreddine Ouali est visé par quatre contrôles fiscaux.
« Ils ont eu ma peau dans BFI », regrette-t‑il. Exit donc les affaires en Tunisie, où il craint la saisie de ses avoirs. Vermeg voit le jour aux Pays-Bas en 2002. Ouali conserve 40 % de BFI, le reste de ses 70 % initiaux ayant été revendu à Habib Ben Hariz, avec lequel il avait cofondé l’entreprise.
Un partage géographique est alors institué. L’Afrique est désormais dévolue à BFI, actif notamment pour BGFI au Gabon et à la Beac, tandis que Vermeg vise l’Europe et les autres continents.
Bien que sa société soit immatriculée à Amsterdam, Badreddine Ouali reste très bien implanté dans son pays natal. « Il est connecté à tous les niveaux : ministères, pouvoirs, grands opérateurs économiques », assure un patron de presse tunisois.
Il n’y a qu’à voir la liste de ceux qui ont accepté de siéger au conseil d’administration de sa fondation : Chiheb Mahjoub, l’ancien patron du cabinet de conseil en stratégie Kurt Salmon, Elyes Jeribi, le « Monsieur Smart Tunisia » de l’État, l’avocat Mourad Mamoughli. Sans oublier Ouided Bouchamaoui, présidente du patronat tunisien, dont la famille détient 10 % du capital de Vermeg.
Fort de ces atouts, Badreddine Ouali veut aborder d’autres rivages. Un contrat avec Santander l’amènera à ouvrir prochainement des bureaux à Madrid puis à Rio de Janeiro.
BFI
Création à Tunis en 1993
150 salariés, principalement en Tunisie et en Afrique centrale
Chiffre d’affaires 10,5 millions d’euros
Vermeg
Création à Amsterdam en 2002
450 salariés en Tunisie et 250 en France et au Benelux
Chiffre d’affaires 53 millions d’euros
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