Bombardement de Bouaké : de Paris à Abidjan, qui était aux commandes ?

Pilotes, militaires, politiques et mercenaires, les protagonistes du bombardement de Bouaké du 6 novembre 2004 sont à chercher à Paris comme à Abidjan. Découvrez ce qu’il faut savoir sur eux, avec notre infographie interactive.

Les acteurs du bombardement de Bouaké. © Montage J.A.

Les acteurs du bombardement de Bouaké. © Montage J.A.

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Publié le 4 août 2017 Lecture : 10 minutes.

Bouaké, la contre-enquête. © JA
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Bombardement de Bouaké : la contre-enquête

Le 6 novembre 2004, deux avions Sukoi de l’armée ivoirienne bombardaient le camp français de la force Licorne. Bilan : 10 morts et 38 blessés. Tournant du conflit politico-militaire ivoirien, ce drame aura également de lourdes conséquences sur les relations entre les deux pays. JA lève un coin du voile.

Sommaire

Quel est le point commun entre le mercenaire français Jean-Jacques Fuentes, l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, le diplomate Gildas le Lidec ou le général Philippe Mangou ? Tous étaient en poste au moment du bombardement de Bouaké, le 6 novembre 2004. Certains ont joué un rôle direct, d’autres plus lointain.

Quelques-uns d’entre eux se sont exprimés devant la justice française, dans des dépositions que Jeune Afrique a pu consulter. D’autres, en revanche, se murent dans le silence et ont disparu depuis les faits. Voici ce qu’il faut savoir sur les principaux acteurs d’une tragédie qui reste aujourd’hui encore mystérieuse.

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Cliquez sur les portraits pour accéder aux informations dans notre trombinoscope interactif ci-dessous. Si vous ne parvenez pas à visualiser l’infographie, les textes sont retranscrits dans leur intégralité à la suite de cette article.

Yuri Sushkin et Barys Smahin, Patrice Oueï, Ange Gnanduillet, Diopoh Oupoh

* Fonction au moment des faits : Pilotes et copilotes des SU25.

* Implication : Yuri Sushkin et Barys Smahin seraient les pilotes des SU25 ayant bombardé Bouaké le 6 novembre 2004. Arrêtés au Togo, ils ont été relâchés deux semaines plus tard. La justice française soupçonne Robert Montoya d’avoir favorisé leur fuite. Patrice Oueï et Ange Gnanduillet auraient été les deux co-pilotes présents à bord des avions. Mais d’autres témoignages innocentent Patrice Oueï, désignant un certain Diopoh Oupoh comme second copilote.

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* Leurs déclarations : « Si c’est de notre fait, c’est vraiment une bavure », affirme le capitaine Gnanduillet. « Nos avions effectué ce samedi deux ou trois passes sur Bouaké. À la troisième, nous avons visé une position de rebelles à 500 mètres des Français. Nous tirions des bombes et des roquettes. Ça n’est pas précis. Beaucoup moins que des missiles », ont encore indiqué Patrice Oueï et Ange Gnanduillet.

* Ce qu’ils sont devenus : Patrice Oueï et Ange Gnanduillet sont restés dans l’armée ivoirienne et ne se sont plus exprimés sur cette affaire depuis début 2006. Quant à Yuri Sushkin et Barys Smahin, ils n’ont pas réapparu depuis leur fuite du Togo en novembre 2004.

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Édouard Séka Yapo

* Fonction au moment des faits : Colonel-major, commandant des forces aériennes.

* Implication : C’est lui qui gérait le repérage des cibles de l’armée ivoirienne avec le pilote mercenaire Jean-Jacques Fuentes.

* Ses déclarations : Il ne s’est jamais exprimé devant la justice. Jean-Jacques Fuentès a cependant déclaré dans son audition le 26 octobre 2006 : « Séka est venu vers moi sur le tarmac [à Yamoussoukro] en écartant les bras et a déclaré : ‘‘ Je ne voulais pas ça ’’. Je lui ai demandé de quoi il s’agissait, il m’a regardé et est parti sans répondre. »

* Ce qu’il est devenu : Actuellement retraité, probablement en Côte d’Ivoire.

Laurent Gbagbo

Laurent Gbagbo, un premier jour de son procès à la CPI, le 28 janvier 2016. © Peter Dejong/AP/SIPA

Laurent Gbagbo, un premier jour de son procès à la CPI, le 28 janvier 2016. © Peter Dejong/AP/SIPA

* Fonction au moment des faits : Président de la République de Côte d’Ivoire.

* Implication : Selon la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), il aurait pu, influencé par des proches tels que Kadet Bertin Gahié, son conseiller en sécurité, être impliqué directement, (voir les différents scénarios, p. XX). Cependant, d’autres témoignages mettent en doute cette hypothèse, comme celui du général Poncet.

* Ses déclarations : Le jour de l’opération, Laurent Gbagbo affirme avoir été prévenu par Mathias Doué : « Mon chef d’état-major […] m’informe qu’un bombardement aérien s’est produit et qu’un Français est mort à Bouaké. Je lui demande un rapport écrit. » Ce sont finalement les ambassadeurs français et américain qui lui annoncent le bilan définitif. Sur les causes du bombardement, Gbagbo déclare à la juge d’instruction Sabine Kheris, le 28 avril 2014 : « Je n’ai jamais su, mais je pense que Poncet le sait. Je pense que Doué sait quelque chose aussi. D’ailleurs, il a fui le pays quand il a été suspendu […]. Il n’est revenu qu’en avril 2011 avec Ouattara, après mon arrestation. »

* Ce qu’il est devenu : Battu par Alassane Ouattara et chassé du pouvoir par la force en 2011, il attend son jugement à la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité en relation avec la crise post-électorale.

Gildas Le Lidec

Gildas Le Lidec © ISSOUF SANOGO/AFP

Gildas Le Lidec © ISSOUF SANOGO/AFP

* Fonction au moment des faits : Ambassadeur de France en Côte d’Ivoire.

* Implication : Il affirme avoir été tenu à l’écart de la décision de destruction de l’aviation ivoirienne après le bombardement.

* Ses déclarations : Il estime que Laurent Gbagbo n’était pas au courant des événements à venir à Bouaké. Lorsque ce dernier le reçoit au palais présidentiel le lendemain du bombardement, il « est dans un état incroyable, il est livide, il tremble. Il n’est pas du tout dans son assiette », raconte-t-il. Le Lidec propose alors une hypothèse : « Le général Mangou ou les chefs militaires de son armée, constatant qu’ils ne réussiraient pas l’offensive contre les pro-Ouattara, auraient préféré s’en prendre aux Français en faisant ainsi une opération de diversion pour cacher leur défaite… » Enfin, selon lui, la relation entre Gbagbo et Chirac aurait accentué le problème : « Il existait un vrai problème de communication entre les deux hommes. L’histoire aurait été différente si Chirac avait davantage échangé avec Gbagbo, qui n’était pas antifrançais, contrairement à ce que l’on disait. »

* Ce qu’il est devenu : Il a continué sa carrière d’ambassadeur, successivement en poste au Japon, à Madagascar et en Thaïlande. Il a pris sa retraite depuis.

Michel de Bonnecorse

Michel de Bonnecorse. © EDOUARD RIEBEN/AP/SIPA

Michel de Bonnecorse. © EDOUARD RIEBEN/AP/SIPA

* Fonction au moment des faits : Conseiller Afrique du président de la République française.

* Implication : Chef de la cellule Afrique de l’Élysée, il a suivi au jour le jour les événements ivoiriens.

* Ses déclarations : Au sujet de la libération des pilotes biélorusses arrêtés au Togo, devant la juge Sabine Khéris le 13 avril 2015 : « C’est une affaire qui ne nous a pas été signalée à l’Elysée, […] sinon nous aurions sans doute demander à récupérer ces pilotes. » Et d’ajouter, à la question de savoir qui a donné l’ordre de ne rien faire au sujet des Biélorusses, finalement expulsés du Togo : « Ça peut être un directeur de cabinet à l’Intérieur, à la Défense ou au ministère des Affaires étrangères.»

* Ce qu’il est devenu : Passé dans le privé en 2009, dans le secteur du transport maritime, il est aujourd’hui retraité.

Robert Montoya

Robert Montoya © © SAAD pour JA

Robert Montoya © © SAAD pour JA

* Fonction au moment des faits : Ex-gendarme de la cellule antiterroriste de l’Élysée reconverti dans le négoce des armes à partir du Togo et en lien avec la Biélorussie, il était conseiller spécial du président Laurent Gbagbo.

* Implication : Il a vendu à la Côte d’Ivoire les deux Sukhoi impliqués dans le bombardement, comme il le confirme dans une déposition faite devant la justice togolaise le 4 janvier 2006. Il aurait également permis l’exfiltration depuis la Côte d’Ivoire vers le Togo et via sa secrétaire, Gallyna Nesterenko, des Biélorusses impliqués dans le bombardement de Bouaké.

* Ses déclarations : Il affirme que sa secrétaire a simplement servi de traductrice entre les inculpés et la police togolaise.

* Ce qu’il est devenu : Il continue de mener ses différentes activités depuis le Togo.

Jean-Jacques Fuentès

* Fonction au moment des faits : Pilote et mercenaire, il travaillait régulièrement pour les FANCI, en liaison avec le colonel-major Édouard Séka Yapo.

* Implication : Il participait à la partie aérienne de l’opération Dignité, qui avait pour objectif de reprendre la ville de Bouaké aux rebelles.

* Ses déclarations : « On mettait tout en place pour reprendre la ville de Bouaké et monter la contre-offensive afin de chasser les rebelles. Tout s’est déroulé pratiquement selon les plans, sauf ce fameux après-midi où les pilotes biélorusses ainsi que les deux pilotes ivoiriens auraient bombardé le lycée Descartes », a-t-il déclaré lors de son audition le 26 octobre 2006. Il a également affirmé que le lieutenant Patrice Oueï avait reçu, en sa présence, un appel d’une source française qui lui aurait transmis les coordonnées du camp Descartes, précisément d’un gymnase où devait se tenir une réunion de chefs rebelles. Il précise que le colonel Mangou aurait demandé une vérification de la cible, mais que celle-ci n’a finalement pas été effectuée à cause “de la guerre des petits chefs”, parmi lesquels Patrice Oueï.

Général Mathias Doué

Général Mathias Doué © Patrick ROBERT/Corbis via Getty Images

Général Mathias Doué © Patrick ROBERT/Corbis via Getty Images

* Fonction au moment des faits : Chef d’état-major de Laurent Gbagbo.

* Implication : C’est lui qui informe le président ivoirien du bombardement.

* Ses déclarations : Il ne s’est jamais exprimé devant la justice.

* Ce qu’il est devenu : Jugé responsable de l’échec de l’opération Dignité, il est limogé le 13 novembre 2004. Il disparaît ensuite et est accusé à plusieurs reprises de chercher à renverser Gbagbo. Rentré à Abidjan après l’élection d’Alassane Ouattara, il y passe sa retraite, jusqu’à son décès en mars 2017.

Kadet Bertin Gahié

* Fonction au moment des faits : Conseiller spécial de la présidence de la République de Côte d’Ivoire chargé de la défense, de la sécurité et des équipements militaires.

* Implication : Le général Poncet le soupçonne d’avoir donné l’ordre du bombardement.

* Ses déclarations : La juge Florence Michon a cherché à l’entendre en tant que témoin et lui a remis une convocation en janvier 2007, dont il assure n’avoir eu connaissance qu’en juillet de cette même année. Kadet Bertin Gahié n’a jamais été entendu en France, même s’il se positionne « pour la manifestation de la vérité quelle que soit la nature de l’affaire ».

* Ce qu’il est devenu : Ministre de la Défense de Laurent Gbagbo, il a passé plusieurs années en exil au Ghana après la chute de ce dernier. Rentré en Côte d’Ivoire fin juin 2016, il est toujours en activité dans l’opposition, au sein du Front populaire ivoirien.

Philippe Mangou

Le général Mangou Phillipe du 02 fevrier 2011 © © Stringer

Le général Mangou Phillipe du 02 fevrier 2011 © © Stringer

* Fonction au moment des faits : Commande les troupes déployées sur le théâtre des opérations.

* Implication : Il était l’officier de liaison de l’armée de l’air ivoirienne avec la force Licorne, à laquelle il transmettait en amont les coordonnés des cibles visées par les FANCI, lors de l’opération Dignité.

* Ce qu’il est devenu : Promu chef d’état-major de l’armée ivoirienne en remplacement de Mathias Doué, il reste au côté de Laurent Gbagbo jusqu’en avril 2011, lorsqu’il fait finalement allégeance à Alassane Ouattara. À 65 ans, il est aujourd’hui ambassadeur au Gabon.

Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin, Michel Barnier

Michèle Alliot-Marie en 2006 © Vincent Fournier/JA

Michèle Alliot-Marie en 2006 © Vincent Fournier/JA

* Fonctions au moment des faits : Respectivement ministre de la Défense, ministre de l’Intérieur et ministre des Affaires étrangères

* Implication : Tous trois sont soupçonnés par la juge Sabine Khéris « d’entrave à l’enquête », notammant en ayant joué un rôle dans la libération des pilotes biélorusses responsables de l’attaque et arrêtés au Togo.

* Leurs déclarations : Alliot-Marie : devant la juge d’instruction Florence Michon le 7 mai 2010, alors qu’elle est désormais ministre de la Justice, elle affirme que la « libération des pilotes » a été rendue possible par l’absence « de base juridique » en faveur d’une détention. Elle insiste et affirme avoir « cherché à savoir et [avoir] pesté régulièrement contre les contraintes juridiques qui empêchaient que l’on puisse procéder aux interrogatoires susceptibles de faire connaître la vérité. »

Barnier : selon l’ambassadeur Gildas Le Lidec, il aurait lui donné l’ordre de libérer les pilotes et de les remettre aux autorités russes.

Villepin : devant la juge d’instruction Florence Michon le 7 février 2008, il déclare que « [son] cabinet n’a jamais été saisi de ce dossier, du moins [pas à sa] connaissance », contrairement à ce qu’affirme le ministre togolais de l’Intérieur, François Boko.

* Ce qu’ils sont devenus : La première est députée européenne depuis le 1er juillet 2014 ; le second, Premier ministre de Jacques Chirac de 2005 à 2007, a soutenu Émmanuel Macron en 2017 ; le troisième a été nommé en 2016 négociateur de la Commission européenne en vue du Brexit.

Général Henri Poncet

* Fonction au moment des faits : Général, patron de la force Licorne.

* Implication : Henri Poncet est le général ayant reçu l’ordre de détruire les deux SU25 après le bombardement.

* Ses déclarations : Entendu en France le 22 octobre 2013, il affirme que la frappe « était manifestement délibérée », mais estime Laurent Gbagbo « trop fin politique pour donner un ordre aussi absurde ». Il propose une autre hypothèse : « Lorsqu’il a été clair que l’aventure militaire allait tourner à l’échec, les extrémistes [dans l’entourage de Gbagbo] se sont sentis en danger. Ils ont donc décidé sciemment de s’engager dans une stratégie de rupture [avec] la France [qui] avait le profil du bouc émissaire responsable de l’échec […]. Je persiste à penser que ces extrémistes, dans lesquels on peut inclure Mamadou Koulibaly, Charles Blé Goudé, Kadet Bertin Gahié et Philippe Mangou, se trouvaient à l’origine directe du bombardement du lycée Descartes. » Poncet explique également avoir voulu s’opposer à ce que les techniciens slaves retenus pendant quatre jours à Abidjan soient libérés. « Je n’avais pas du tout envie de relâcher ces personnes […]. On m’a répondu : ‘‘tu t’exécutes’’ ».

* Ce qu’il est devenu : Retraité de l’armée depuis 2007 après avoir été mis en cause puis blanchi dans l’« affaire Mahé », il est aujourd’hui consultant et conseiller municipal d’une commune de l’Aude, en France.

Jacques Chirac

Jacques Chirac © Vincent Fournier/JA

Jacques Chirac © Vincent Fournier/JA

* Fonction au moment des faits : Président de la République française.

* Implication : C’est à l’Élysée, au sein de la cellule Afrique que le dossier Bouaké a été suivi au jour le jour, selon les déclarations de Nathalie Delapalme, conseillère Afrique du ministre des Affaires étrangères. Selon la ministre de la Défense de l’époque, Michèle Alliot-Marie, c’est également à la présidence que la décision de riposte et de destruction des avions ivoiriens « a été prise » afin « d’éviter d’autres attaques contre les forces françaises ».

* Ses déclarations : Jacques Chirac n’a jamais été entendu par la justice.

* Ce qu’il est devenu : Retraité.

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