Maroc : quand les citoyens guident le changement
Les Marocains ont attendu six mois pour avoir un gouvernement. Et il a suffi de quelques maladresses pour que la crédibilité de ce cabinet né dans la douleur soit entamée.
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Nadia Lamlili
Nadia Lamlili est responsable de la zone Maghreb/Moyen-Orient sur le site de Jeune Afrique. Elle est en particulier spécialiste du Maroc.
Publié le 9 août 2017 Lecture : 3 minutes.
Maroc : double vitesse
Le royaume a reformé ses institutions, son économie et est en passe de réussir son pari industriel. Mais la classe politique, elle, peine à suivre le mouvement…
Le 14 mai, un communiqué des partis de la majorité a qualifié les contestations qui agitent la province d’Al Hoceima depuis octobre 2016 de « séparatisme et [de] sédition ». Le lendemain, des milliers de Rifains lui répondaient par une grande manifestation, dénonçant une atteinte à leur dignité. Le gouvernement a tenté de renouer le dialogue en dépêchant des ministres sur place.
Début juillet, El Othmani lui-même a reconnu, au cours d’une interview télévisée, qu’il regrettait les termes de ce communiqué. Mais le mal était fait, et les manifestations dans le Rif – qui n’a jamais eu de relation simple avec l’Histoire – ont pris de l’ampleur. À la mi-juillet, à peine franchi le cap des cent jours, on pouvait dire que le gouvernement de Saadeddine El Othmani avait failli sur la gestion de ce dossier brûlant. La situation lui a tellement échappé que ses appels au calme n’ont rencontré qu’indignation, tristesse et saillies.
Une déchirure grandissante
Au-delà du Rif, cette séquence a surtout révélé la déchirure toujours plus grande entre le monde politique et la population. Depuis une dizaine d’années, les différentes élections affichent de bien piètres taux de participation. Excepté en 2011, quand les politiques ont été les porte-voix d’une rue arabe en ébullition, l’abstention a été le grand vainqueur des derniers scrutins.
Un phénomène qu’on observe d’ailleurs dans d’autres pays, comme l’Algérie ou la France. Partout ou presque, l’action politique dans sa configuration actuelle n’est plus au diapason des aspirations et de l’action citoyennes. Les sociétés se développent et évoluent si vite qu’elles se détachent de plus en plus de leurs représentants politiques, tel un corps se défait d’un vêtement qui ne lui sied plus, trop vieux, trop usé. Alors, quand les acteurs politiques se retournent contre les voix qui les ont élus, qu’ils leur reprochent d’exercer leur droit de manifester librement… bonjour les dégâts !
Certes, les marches de protestation dans le Rif ont récemment été émaillées par des scènes de violence, déclenchées par des groupes de casseurs, blessant des dizaines de membres des forces de l’ordre et incendiant une résidence de la police. Elles ont cependant eu aussi leurs moments de civisme, lorsque les manifestants eux-mêmes formaient des cordons de sécurité pour protéger les biens publics des tentatives de vandalisme. Par bien des aspects, ce mouvement social montre que la culture de la manifestation pacifique s’est normalisée au Maroc.
Associer les citoyens au processus décisionnel
Dans ce pays en mouvement, l’action politique n’a pourtant pas suivi ce changement sociétal. Pis, elle a cherché à enlever à l’action citoyenne tout ce que cette dernière a acquis au cours de décennies de « mûrissement ». Ce n’est pas pour rien que de plus en plus de voix s’élèvent, y compris parmi des personnalités officielles haut placées, appelant à réinventer les mécanismes de médiation avec les citoyens pour qu’ils soient associés au processus décisionnel.
Partout dans le monde, les politiques se sentent dépassés. Mais, lorsque la situation sociale devient tendue, il faut apprendre à se surpasser. À nouvelle société, nouveaux mécanismes d’intermédiation. Ce choix ne serait pas de trop dans un royaume qui a traversé sans dégâts l’épreuve des révolutions arabes, qui a su s’adapter à la mondialisation, devenir un champion économique et qui vient de réintégrer, avec savoir-faire et grande agilité, son corps africain.
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