De la Somalie à la Côte d’Ivoire en passant par le Rwanda, itinéraire du nouveau chef d’état-major des armées françaises
De Sarajevo, en Bosnie, à l’Ouest ivoirien en guerre, en passant par le Rwanda au temps du génocide, itinéraire du général François Lecointre, nouveau chef d’état-major des armées françaises.
Somalie 1992, Rwanda 1994, Sarajevo 1995, Côte d’Ivoire 2006… Nouveau chef d’état-major des armées françaises depuis l’éviction de Pierre de Villiers, François Lecointre (55 ans) a une légitimité opérationnelle et connaît bien le terrain africain. Catholique pratiquant, marié et père de quatre filles, cet ancien élève de Saint-Cyr est connu dans l’armée de terre pour un fait d’armes : la reprise aux Serbes du pont de Vrbanja, à Sarajevo, en Bosnie, en mai 1995.
« La ligne était à 20 m. À la tête de sa compagnie, il est parti à la baïonnette et a perdu deux hommes dans le corps-à-corps. Ce face-à-face avec la mort, il m’en a souvent parlé depuis. Pour moi, c’est un type intelligent qui a l’amour de ses hommes », témoigne le général Bernard Thorette, l’un de ses mentors, qui a été chef d’état-major de l’armée de terre et a créé, en 2005, la revue intellectuelle Inflexions. Civils et militaires : pouvoir dire, dont le général Lecointre est aujourd’hui le directeur de publication.
Complaisance avec un génocidaire ?
Son passage au Rwanda est plus controversé. Selon Jacques Morel, ancien mathématicien au CNRS, le jeune capitaine Lecointre a alors « collaboré » avec Alfred Musema, l’un des planificateurs du génocide dans la région de Kibuye, qui dirigeait l’usine à thé de Gisovu.
Cinq ans plus tard, au cours de son procès devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), au terme duquel il fut condamné à la réclusion à perpétuité, le génocidaire aurait produit pour sa défense une lettre datée du 18 juillet 1994 dans laquelle le capitaine Lecointre l’aurait informé qu’il allait changer de secteur et laisser le périmètre de Gisovu à un subordonné.
« Ce document montre que leurs relations étaient cordiales », affirme Morel. Le général Lecointre se souvient-il de cette missive ? « Pas formellement, témoigne l’un de ses frères d’armes du 3e régiment d’infanterie de marine (RIMa). Mais il dit que l’existence de cette lettre est probable.
Ce serait lui faire un mauvais procès que de lui attribuer un rôle dans le génocide », assure le général Thorette
À l’époque, il appartenait à un groupement commandé par le colonel Patrice Sartre et ne dirigeait qu’une compagnie de 130 hommes, aux côtés de quatre autres compagnies. » Le général Thorette renchérit : « Au Rwanda, le capitaine Lecointre n’était pas à un poste de responsabilité. Ce serait lui faire un mauvais procès que de lui attribuer un rôle dans le génocide. »
Le saint-cyrien par excellence
Avec sa grande taille et sa « belle gueule d’officier », François Lecointre en impose et peut créer une certaine distance. « Mais l’homme est chaleureux et fidèle en amitié », assure son aîné Bernard Thorette. « Tour à tour officier de terrain et homme des cabinets parisiens, il a coché toutes les cases du saint-cyrien », souligne pour sa part Jean-Marc Tanguy, grand reporter au magazine Raids.
En Côte d’Ivoire, où il a servi d’octobre 2006 à février 2007 à la tête d’un groupement de 800 hommes, le colonel Lecointre a été plus diplomate que guerrier. « Avec Licorne, dans la “zone de confiance” entre Man et Duékoué, nous devions éviter tout conflit entre les forces rebelles du comzone Losseni Fofana et les troupes loyalistes du colonel-major Guié Globo », se souvient le colonel Patrick Steiger, qui était son chef d’opérations.
À propos de la guerre d’Algérie, il a évoqué dans Le Monde la « tache indélébile » qu’avait représentée l’emploi des militaires dans des missions de police
À l’époque, quelques mois après le scandale Firmin Mahé (l’assassinat d’un présumé coupeur de route par des militaires français), l’officier Lecointre a dû redoubler de vigilance pour que ses hommes montrent une « froideur émotionnelle » face à tous les fauteurs de guerre de l’Ouest ivoirien.
Jusqu’où utiliser la violence ? L’éditorialiste Lecointre s’est souvent posé la question. À propos de la guerre d’Algérie, il a évoqué dans Le Monde la « tache indélébile » qu’avait représentée l’emploi des militaires dans des missions de police. Un jour de février dernier à Alger, le candidat Emmanuel Macron a quant à lui qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ». Autant dire que Lecointre est « Macron-compatible ».
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