Football : la Chine gagne du terrain

Géant économique, la Chine n’occupe que le 77e rang dans le classement mondial de la Fifa. Elle réagit en achetant des stars étrangères. Et en investissant dans les clubs européens.

Le président chinois Xi Jinping souhaite que son pays accueille la coupe du monde de football en 2030. © Ng Han Guan/AP/SIPA

Le président chinois Xi Jinping souhaite que son pays accueille la coupe du monde de football en 2030. © Ng Han Guan/AP/SIPA

Alexis Billebault

Publié le 9 août 2017 Lecture : 5 minutes.

Pour les présidents de clubs de foot chinois, le lundi 19 juin s’annonçait comme un jour très spécial. Il l’a été, en effet, mais de manière totalement inattendue. Ce jour-là, l’ouverture du mercato d’été augurait en effet d’une fructueuse campagne de recrutement de stars étrangères. Mais une directive venue d’en haut, c’est‑à-dire du bureau du président Xi Jinping, a douché l’effervescence générale.

On comprend pourquoi : les clubs qui dépensent l’équivalent de 5,9 millions d’euros pour acheter un joueur étranger ont désormais l’obligation de verser une somme équivalente à un fonds national de développement pour la formation des jeunes joueurs chinois. Cette disposition en complète une autre, adoptée il y a quelques mois, qui oblige les clubs de la Chinese Super League (CSL) à aligner au moins un joueur chinois de moins de 23 ans pour chaque étranger titularisé. L’objectif est évidemment de faire progresser le foot local.

Xi Jinping veut que son pays organise la Coupe du monde 2030

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Dans le classement mondial de la Fifa, le géant chinois est désormais 77e, entre la Jamaïque et Trinité-et-Tobago mais derrière l’Albanie, l’Arménie ou Curaçao. C’est un nain footballistique. « Xi Jinping, qui est un grand amateur de ce sport, a beaucoup de mal à admettre la situation. Il veut que son pays organise la Coupe du monde 2030 et que son équipe devienne l’une des meilleures d’Asie, et même du monde. Cela passe, selon lui, par la formation de jeunes joueurs chinois », explique Carole Gomez, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Au début de l’année, la fédération a donc conseillé à ses clubs de faire preuve de retenue et de discernement avant de recruter, généralement à prix d’or, un joueur étranger.

Acheter des joueurs ne suffit pas

« En 2016, le montant total des transferts a atteint la somme vertigineuse de 1,1 milliard d’euros. Plus 330 millions lors du mercato hivernal. Cette tendance va perdurer encore un peu, mais, à moyen terme, on reviendra à des sommes plus raisonnables. Les Chinois commencent à s’apercevoir que certains joueurs étrangers ont beaucoup de mal à s’adapter à la vie en Chine. Et que leur présence n’améliore pas forcément le niveau du foot local. Vous avez beau acheter des stars, si vous les alignez aux côtés de joueurs locaux très moyens, le résultat sera, lui aussi, très moyen », explique anonymement un spécialiste français.

L’État veut inciter les clubs à investir massivement dans la formation

« La croissance ayant tendance à ralentir (elle est tout de même de 6,5 %), Xi Jinping a demandé aux clubs de se calmer », confirme Carole Gomez. Avec un succès relatif. Le Shanghai SIPG était par exemple prêt à verser au Gabonais Pierre-Emerick Aubameyang un salaire annuel de 50 millions d’euros. Soit 10 millions de plus que ce que le Shanghai Shenhua verse à l’Argentin Carlos Tévez. À en croire Jorge Mendes, l’agent de Cristiano Ronaldo, la superstar portugaise du Real Madrid, un club chinois dont il ne précise pas l’identité était disposé à offrir 100 millions par an à son protégé.

« De telles opérations ne sont, pour l’instant, pas rentables, estime Raffaele Poli, qui dirige l’observatoire du football du Centre international d’étude du sport (CIES), à Neuchâtel (Suisse). Le montant des droits télé reste très modeste, le prix de vente des billets dans les stades, aussi. L’État veut donc inciter les clubs à investir massivement dans la formation. Pour faire progresser le pays, mais aussi pour amener de jeunes joueurs locaux à un niveau suffisant pour pouvoir être vendus à l’étranger, et donc rapporter de l’argent. Sauf que cela prendra des années. »

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Le foot vu comme un nouveau marché

Si les investisseurs chinois engloutissent des sommes gigantesques dans le foot local, ils sont loin d’être inactifs à l’étranger, notamment en Europe. En France (Auxerre,  Lyon, Nice, Sochaux), en Italie (AC Milan, Inter Milan), en Espagne (Atlético de Madrid, Grenade, Espanyol Barcelone), en Angleterre (Aston Villa, Manchester City), aux Pays-Bas (ADO La Haye) comme en République tchèque (Slavia Prague), de nombreux clubs sont passés, au moins en partie, sous pavillon chinois.

D’autres (Liverpool, Birmingham) sont dans le collimateur. Cette stratégie peut sembler décousue, mais elle ne l’est pas. L’État incite des fonds d’investissement (Rossoneri Sport Investment Lux à l’AC Milan ; Wanda à l’Atlético de Madrid ; Recon Group à Aston Villa ; IDG Capital Partners à Lyon) et de grandes entreprises (Suning à l’Inter Milan ; Ledus au FC Sochaux ; ORG Packaging à l’AJ Auxerre) à s’engager.

Cette politique s’inscrit parfaitement dans la stratégie globale de Xi Jinping

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« Ces clubs ne sont pas choisis au hasard, poursuit Carole Gomez. Ils ont une histoire et sont des références en matière de formation. Les Chinois investissent dans des pays où l’économie du football se porte plutôt bien. C’est aussi une façon de pénétrer de nouveaux marchés. Je ne pense pas que cette politique s’arrêtera de sitôt, parce qu’elle s’inscrit parfaitement dans la stratégie globale de Xi Jinping. »

Un avis partagé, mais aussi tempéré, par notre spécialiste français anonyme : « Le gouvernement chinois veille à ce que les devises ne sortent pas du pays en trop grande quantité. Les investissements sont encouragés, mais restent limités. Et puis, en investissant à Lyon, à Milan ou à Birmingham, la Chine sait qu’elle améliore son image. » Pour Raffaele Poli, la démarche est donc « plus économique que politique ». Ce pays a engrangé beaucoup d’argent depuis des années. Fort de ce pactole, son gouvernement est aujourd’hui résolu à créer une véritable industrie des loisirs, dont le foot est évidemment partie intégrante.

De l’Ac milan à Manchester city

Président historique de l’AC Milan, « il Cavaliere » Silvio Berlusconi s’est résolu à céder son club de cœur – dettes comprises – pour 740 millions d’euros à Rossoneri Sport Investment Lux. Suning, le géant de l’électroménager, a pour sa part acquis pour 270 millions d’euros 68,5 % du capital de l’Inter Milan, le grand rival lombard. En Angleterre, City Football Group, qui possède déjà des parts dans les clubs de New York FC, de Yokohama et de Melbourne, a investi 375 millions pour s’emparer de 13,5 % du capital de Manchester City, le voisin de Manchester United, dont Xi Jinping est un chaud supporter. Les Chinois ont également placé des billes dans plusieurs clubs français.

Président de l’Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas a par exemple cédé 20 % des parts de son club (100 millions d’euros) à IDG Capital Partners. Et l’OGC Nice est détenu à 80 % par des investisseurs chinois et américains. En Espagne, le groupe Wanda, propriété du richissime Wang Jianlin, un proche du régime, s’est offert 20 % du capital de l’Atlético de Madrid pour 45 millions d’euros.

Il est évident que certains profitent de ces investissements en Europe pour sortir des devises

Naturellement, les sommes investies n’atteignent pas toujours de tels sommets. Il a par exemple suffi de 7 millions d’euros à ORG Packaging pour acquérir 60 % du capital de l’AJ Auxerre. Et l’investissement n’est pas toujours sans risque. Nouveau propriétaire du FC Sochaux, Ledus a ainsi vu son action en Bourse chuter de 80 % en septembre 2016, ce qui l’a amené à réduire le train de vie du club. À ce jour, l’origine des fonds venus de Chine n’a jamais suscité la moindre suspicion.

« Il est néanmoins évident que certains profitent de ces investissements en Europe pour sortir des devises », précise un agent de joueurs. Les ratés sont rares, mais retentissants. En décembre 2016, Jacques Rousselot, le président de L’AS Nancy Lorraine, pensait ainsi avoir vendu son club à un conglomérat chinois. L’argent n’est finalement jamais arrivé, Rousselot est resté président, mais Nancy est redescendu en Ligue 2.

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