Présidentielle kényane : Kenyatta – Odinga, le dernier round

D’un côté, le fils du premier chef de l’État. De l’autre, celui de son vice-président. Engagé il y a un demi-siècle, le combat Kenyatta-Odinga connaîtra son dénouement le 8 août, au cours d’un scrutin à haut risque.

Rare image de Raila Odinga et Uhuru Kenyatta souriant ensemble, à Nairobi, le 24 février 2013. © Khalil Senosi/AP/SIPA

Rare image de Raila Odinga et Uhuru Kenyatta souriant ensemble, à Nairobi, le 24 février 2013. © Khalil Senosi/AP/SIPA

Publié le 8 août 2017 Lecture : 5 minutes.

Le vote n’avait pas eu lieu que Nairobi était déjà sous tension. En ce 1er août, des dizaines de manifestants convergent vers les bureaux de la Commission indépendante des élections et circonscriptions (IEBC). « Sécurisez le vote ! », « Vous ne pouvez pas nous tuer tous ! », « Justice pour Msando ! », peut-on lire sur les pancartes tendues par la petite foule.

Le pays vient d’apprendre avec effroi la mort de Christopher Chege Msando, le très respecté directeur des technologies de l’information et de la communication de l’IEBC. Autrement dit, le responsable de la sincérité de ce scrutin hautement informatisé.

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Le corps, sauvagement mutilé et manifestement torturé, a été retrouvé le 29 juillet dans la forêt de Muguga, à Kikuyu, un bastion du président Uhuru Kenyatta, à une vingtaine de kilomètres au nord de Nairobi. Curieusement, la police ne l’a annoncé que quarante-huit heures plus tard. Ce qui ne risque pas d’apaiser les esprits avant une élection générale à haut risque, à laquelle sont appelés 19,6 millions de Kényans.

Le souvenir des massacres de 2007 et 2008

Deux hommes qui se sont opposés tout au long de leur vie politique vont à nouveau s’affronter : le président Uhuru Kenyatta, à la tête de l’alliance Jubilee, et son principal opposant, Raila Odinga, le candidat de la National Super Alliance (Nasa). « S’il y a le moindre défaut technique durant le scrutin favorisant le président sortant, l’opposant dénoncera automatiquement une fraude, s’inquiète l’analyste politique kényan Dismas Mokua. Or leurs supporters respectifs ne sont pas mentalement préparés à la défaite de leur champion. »

Kenyatta ne veut pas rester dans l’histoire comme le premier chef de l’État ayant échoué à se faire réélire

Le dernier affrontement entre les deux hommes, en 2013, avait déjà été émaillé d’incidents : plusieurs machines à voter étaient tombées en panne. L’élection de Kenyatta dès le premier tour avec 50,07 % des voix avait donc été contestée par Raila Odinga, sans toutefois que cela dégénère en violences. « À l’époque, les candidats avaient insisté sur l’intérêt d’une campagne pacifiée, rappelle Chloé Josse-Durand, la directrice adjointe de l’Institut français de recherche en Afrique de Nairobi. Le souvenir des massacres de 2007 et 2008 était encore dans les esprits, et Kenyatta était encore poursuivi par la Cour pénale internationale [CPI] ».

Mais, cette année, la dynamique est différente et, à vrai dire, beaucoup plus inquiétante. « Kenyatta ne veut pas rester dans l’histoire comme le premier chef de l’État ayant échoué à se faire réélire, assure Murithi Mutiga, chercheur à l’International Crisis Group. Et, pour Odinga, c’est la dernière chance de devenir président ». À 72 ans, au soir d’une vie consacrée à conquérir le pouvoir, « Baba » (« père » en swahili), comme l’appellent affectueusement ses supporters, ne se relèverait sans doute pas d’un quatrième échec. Ce 8 août se dispute donc le dernier round d’un combat entre deux familles commencé voici cinquante-deux ans.

Jomo Kenyatta (à g.) et Jaramogi Oginga Odinga, premiers président et vice-président du pays. © Africa24 Media/Camerapix/Mohamed Amin/Duncan Willetts/AFP

Jomo Kenyatta (à g.) et Jaramogi Oginga Odinga, premiers président et vice-président du pays. © Africa24 Media/Camerapix/Mohamed Amin/Duncan Willetts/AFP

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La State House, sa maison d’enfance

D’origine luo, le troisième groupe ethnique du pays, Raila Amolo Odinga est en effet le fils de Jaramogi Oginga Odinga, devenu le tout premier vice-président du Kenya après son indépendance, en 1963. Le président n’était alors autre que Jomo Kenyatta, issu de la communauté majoritaire kikuyu ; le « père de la nation » était aussi celui d’Uhuru, l’actuel chef de l’État. La State House, où celui-ci veut à tout prix rester, est la maison où il a grandi entre 2 et 16 ans. Mais, dès 1965, l’entente entre les deux patriarches se détériore. Plus proche des idéaux socialistes, Odinga père réclame la nationalisation et la redistribution des terres, ce qui lui vaut d’être emprisonné.

Raila Odinga fera plusieurs séjours, passant au total huit ans derrière les barreaux

Désormais opposant, il ne cessera de défier l’Union nationale africaine du Kenya (Kanu), le parti unique de Jomo Kenyatta, repris, à sa mort, par Daniel arap Moi. Cette rivalité va sceller le destin de leurs rejetons. Dès 1982, Raila Odinga rejoint publiquement la lutte et participe à une tentative de coup d’État contre Moi. Le putsch échoue et lui vaut, à son tour, la prison. Il y fera plusieurs séjours, passant au total huit ans derrière les barreaux. Voilà qui lui permettra de se faire un prénom sur la scène politique kényane. Après l’instauration du multipartisme, en 1992, il fonde le Mouvement orange démocratique (ODM), avec lequel il termine troisième lors de la présidentielle de 1997.

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Sa première confrontation avec le fils Kenyatta survient cinq ans plus tard, de manière indirecte. Face à Uhuru, investi candidat de la Kanu, il préfère sacrifier sa candidature et se ranger derrière Mwai Kibaki pour mettre fin au long règne de l’ancien parti unique. Avec succès : ce dernier l’emporte et Odinga fils entre, enfin, au gouvernement. Mais le mano a mano entre les deux hommes se poursuit et, lors des élections de 2007, Kenyatta parvient à inverser les rôles. Cette fois, c’est lui qui soutient Kibaki contre Odinga. Le président sortant est réélu, ce qu’Odinga conteste. Cette fois, pas de quartier : entre décembre 2007 et février 2008, le pays s’embrase sur fond de conflit ethnique. Bilan : 1 300 morts, 600 000 déplacés et des poursuites de la CPI à l’encontre d’Uhuru Kenyatta.

Des intérêts dans le foncier, le bâtiment, la banque, les médias…

Mais le « kamwana » (« jeune homme », le surnom de Kenyatta) se sort de cette situation avec le talent d’un vieux briscard : il s’allie avec son adversaire d’hier, William Ruto, également poursuivi par la CPI, et dénonce un « complot » de l’Occident. Mieux, il en fait l’un des principaux arguments de sa campagne en 2013. Il s’y présente face à… Odinga. Évidemment. Mais, dès le premier tour, Uhuru Kenyatta est élu, devenant, à 51 ans, le plus jeune président de l’histoire du pays.

Uhuru Kenyatta a été classé 26e fortune d’Afrique par Forbes en 2011, avec un patrimoine estimé à 500 millions de dollars

« Ils n’ont pas le même âge, mais ils portent chacun le destin de leur dynastie, assure Dismas Mokua. Et pas seulement sur le plan politique… » Les deux fils sont en effet à la tête de deux empires économiques, dont ils ont en partie hérité. Celui des Odinga s’est constitué dans l’industrie du pétrole et du gaz.

Les Kenyatta possèdent, pour leur part, des intérêts dans le foncier kényan, le bâtiment, la banque ou encore les médias : Uhuru a été classé 26e fortune d’Afrique par Forbes en 2011, avec un patrimoine estimé à 500 millions de dollars (386 millions d’euros). Depuis, le magazine américain a renoncé à évaluer de nouveau son patrimoine : celui-ci serait trop entremêlé avec celui du reste de sa famille. Voilà qui devrait donner de bonnes raisons au clan de se rassembler derrière son candidat.

À la veille de ce scrutin décisif, la tension est palpable. De nouveau allié de Kenyatta, le vice-président William Ruto a vu sa villa prise d’assaut par un ou plusieurs individus armés de machettes. Le nord du pays, touché par la sécheresse, connaît quant à lui, ces derniers mois, des conflits ethniques meurtriers entre villageois pour le contrôle des terres. Les candidats aux élections des gouverneurs locaux n’hésitent pas à les instrumentaliser pour parvenir à leurs fins. De quoi faire resurgir le spectre des violences postélectorales de 2007-2008.

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