Libye : Abdelhakim Belhadj, du jihad au business
Le combattant Abdelhakim Belhadj traqué par les services secrets du monde entier est devenu un acteur clé de la révolution libyenne, doublé d’un homme d’affaires fortuné.
Le rebelle islamiste
En 1988, Abdelhakim Belhadj n’a que 22 ans quand il part pour l’Afghanistan. S’il dit avoir fait ce voyage d’abord avec un but humanitaire, une autre version le dit déjà candidat au jihad, pour combattre les Soviétiques. Après quelques années, il se tourne à nouveau vers la Libye.
Depuis le Soudan notamment, il mène des opérations avec pour objectif de défaire le régime de Mouammar Kadhafi, dont il planifie l’assassinat. Belhadj est un cadre de la rébellion islamiste doublé d’un chef de guerre – et très tôt un ennemi déclaré du « Guide » – qui bombarde ses partisans dans l’Est libyen en 1995.
L’allié de Ben Laden
Le Groupe islamique combattant libyen (GICL), dont Belhadj deviendra l’émir, nourrit une proximité certaine avec Oussama Ben Laden, chef d’Al-Qaïda. Les deux hommes se croisent plusieurs fois en Afghanistan à partir de 1989. Lors d’une réunion à Kandahar en 2000, Belhadj – connu sous le nom d’Abou Abdallah al-Sadek – aurait décliné l’offre du Saoudien de rejoindre un combat déterritorialisé contre l’Occident, pour se concentrer sur son but : faire chuter Kadhafi.
Mais, après les attentats du 11 septembre 2001, le Libyen sait qu’il sera traqué. Il fuit donc sous de fausses identités. En 2004, il est arrêté avec son épouse en Malaisie. Après des interrogatoires musclés et contre toute attente, les Américains le remettent aux services libyens, qui ont recours à la torture.
Le révolutionnaire
En 2008, Belhadj est condamné à mort. Mais le régime ne l’exécute pas et en fait son interlocuteur lors du dialogue ouvert avec les islamistes. En 2010, après différentes médiations impliquant Seif el-Islam Kadhafi et l’islamiste marocain Ahmed Raïssouni, il est libéré d’Abou Salim, prison de sinistre réputation, après avoir renoncé à la violence.
C’était compter sans la révolution. En 2011, Abdallah Senoussi, le beau-frère de Kadhafi, le convoque pour lui demander d’appeler au calme. Au cours de l’entrevue, Belhadj profite de l’appel à la prière pour s’éclipser et gagner le maquis.
Il voyage au Qatar et en Tunisie, monte la puissante Brigade des martyrs du 17-Février, soutenue entre autres par la France. Le 21 août, c’est lui qui parade sur la place Verte de Tripoli, devant les équipes d’Al-Jazira, avant de défoncer les portes de l’antre de Kadhafi à Bab al-Azizia deux jours plus tard.
L’homme fort de Tripoli
La Brigade des martyrs du 17-Février tient une prison et l’aéroport de Mitiga, occupe vite une place importante mais ambiguë dans la révolution libyenne, à la fois auréolée de gloire et crainte, suspectée d’accointance avec les islamistes les plus radicaux.
C’est en tout cas en tant que gouverneur militaire de la ville de Tripoli et installé dans les anciens bureaux de Seif el-Islam Kadhafi, que Belhadj rencontre le sénateur américain John McCain. Le Libyen adresse des reproches à son visiteur : les Américains lui ont fait du tort en le livrant aux kadhafistes.
En 2012, il décide de poursuivre l’ancien ministre britannique des Affaires étrangères Jack Straw : assurant que des agents de renseignement britanniques ont assisté à des séances de torture qu’il a subies en Libye, il les accuse de complicité.
L’entrepreneur sulfureux
En 2012, Belhadj décide de se lancer en politique. Il crée un parti conservateur, Al Watan, mais, devancé par un Frère musulman, il échoue aux législatives qui ont lieu la même année. Il se tourne alors vers le monde des affaires. Des câbles révélés par WikiLeaks assurent qu’il aurait trouvé d’importantes sommes d’argent dans la résidence de Kadhafi, qu’il a investie en 2011. Toujours est-il qu’il fonde une société de fret aérien, lui qui a mis la main sur un aéroport durant la révolution.
Il conserve de l’influence dans le monde des entrepreneurs armés, notamment au sein de la coalition de milices Fajr Libya. Martin Kobler, l’envoyé spécial des Nations unies en Libye, continue de le rencontrer en 2016, preuve de son importance.
Mais son nom reste sulfureux : il a été cité par les médias qui couvrent les déboires juridiques de l’homme d’affaires tunisien Chafik Jarraya, arrêté à la mi-mai pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Son nom est aussi apparu début juin sur les listes des personnes que l’Arabie saoudite soupçonne d’être soutenues par le Qatar dans des activités terroristes.
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