Tedros Ghebreyesus : « Mes priorités à l’OMS »
Cet ancien ministre éthiopien est le premier Africain à prendre la tête de l’Organisation mondiale de la santé. Couverture universelle, gestion des situations de crise, brevets… Il a cinq ans pour réussir.
«Docteur Tedros » est pressé. Il vient de poser ses valises à Genève, de retour d’un voyage qui l’a conduit du sommet de l’Union africaine, à Addis-Abeba, à celui du G20, à Hambourg. Installé dans son bureau, qui offre une vue imprenable sur Genève, Tedros Adhanom Ghebreyesus – on l’appelle parfois tout simplement Tedros – regarde ses équipes s’agiter autour de lui : les rendez-vous vont s’enchaîner, aujourd’hui comme tous les jours ou presque depuis son élection, le 23 mai, à la tête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), poste pour lequel il a obtenu le soutien actif de l’UA.
À 52 ans, ce natif d’Asmara, marié et père de cinq enfants, a un beau parcours derrière lui. Ministre de la Santé (2005-2012), puis des Affaires étrangères (2012-2016) de son pays, l’Éthiopie, il reste étonnamment décontracté et souriant, maîtrisant aussi bien l’anglais que l’amharique ou le tigrigna.
Tout en restant prudent sur les grandes lignes de l’action qu’il entend mener durant son mandat de cinq ans, il met en avant son expérience pour se présenter comme le réformateur idéal : un homme pondéré, qui s’appuie sur une excellente connaissance du terrain et sur une solide formation académique – il est docteur en santé communautaire.
Tedros Ghebreyesus semble avoir laissé un bon souvenir dans la plupart des institutions où il est passé, notamment au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qu’il a aidé à lever d’importants fonds et dont il a amélioré la gestion. Rencontre.
Jeune Afrique : Quelle sera votre priorité à l’OMS ?
Tedros Ghebreyesus : la couverture de santé universelle, qui figure dans les objectifs onusiens de développement durable. Je la considère comme un droit de l’homme. Et je ne suis pas le seul. C’est aussi, par exemple, une vision que partage Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’UA. Je pense par ailleurs que la mise en place d’une couverture santé efficace n’est pas seulement une question de moyens, mais de volonté politique. À preuve, des pays qui sont loin d’être riches ont lancé des programmes ambitieux.
« Ebola a été un drame, mais aussi une bonne leçon pour le monde.
Irez-vous jusqu’à demander aux gouvernements d’adopter des réformes fiscales pour financer cette couverture universelle ?
C’est une possibilité, mais nous pensons surtout, dans un premier temps, à réaliser un audit des pratiques les plus intéressantes dans le monde afin que tous les pays puissent s’en inspirer. Nous envisageons également d’aider les États les plus démunis à lever des fonds, et ce même si l’investissement intérieur reste le meilleur levier.
Comment éviter de nouveaux Ebola ?
Ebola a été un drame, mais aussi une bonne leçon pour le monde. Cette crise a prouvé que nous n’étions pas préparés à faire face à ce type de phénomène. En 2016, une réforme visant à développer un programme de gestion des situations d’urgence sanitaire a été engagée. Nous allons la poursuivre. L’OMS peut aider à mettre en place des exercices de simulation à échelle régionale, comme cela a été le cas à Berlin durant le G20, en mai, en présence de nombreux ministres de la Santé. Ces exercices permettent de préparer les esprits et de vérifier si tout le monde est prêt à répondre à de telles crises.
Voulez-vous dire que l’OMS doit devenir une institution opérationnelle ?
Elle est avant tout une agence normative, ce qui n’empêche pas qu’elle puisse se doter d’un volet opérationnel. Avec 150 bureaux mondiaux, 6 bureaux régionaux et plus de 7 000 employés, nous constituons un véritable réseau international, qui pourrait se révéler très utile, par exemple, pour aider à réaliser les exercices régionaux que j’évoquais. L’objectif est de disposer d’équipes prêtes à être déployées dans différentes régions du monde pour assister les autorités locales en cas d’urgence. Mais un tel programme reste très coûteux, et il nous faudra obtenir des financements spéciaux, qui pourraient être ajustés en fonction des premiers résultats.
Mon expérience s’est forgée sur un continent, l’Afrique, qui porte un lourd fardeau en matière de santé
Certaines ONG aimeraient que l’OMS se montre plus active sur les questions ayant trait aux droits de propriété et aux brevets sur les médicaments, afin de faciliter l’accès aux génériques. Qu’en pensez-vous ?
Je suis d’accord avec les acteurs de la société civile pour qui cette question de la propriété intellectuelle et commerciale a un impact important sur l’économie de la santé, et j’aimerais que l’OMS pèse davantage dans les négociations et les prises de décisions, aux côtés d’autres partenaires, comme l’Organisation mondiale du commerce. Tout cela nécessite un débat ouvert et franc.
Votre expérience personnelle joue-t-elle un rôle dans votre approche ?
Mon expérience s’est forgée sur un continent, l’Afrique, qui porte un lourd fardeau en matière de santé. J’en ai fait l’amère expérience au sein de ma propre famille. Mon frère cadet est décédé dans son enfance d’une maladie virale, faute de soins. J’ai ensuite affronté cette réalité sur le terrain, en tant que ministre de la Santé, et même avant cela, en tant qu’étudiant, lorsque j’ai organisé le déploiement d’agents de veille sanitaire en Éthiopie. Tout cela change forcément votre approche personnelle. Vous êtes aguerri, vous gagnez en maturité et vous posez un regard neuf sur ces questions, qui concernent l’humanité tout entière.
L’UA restera-t-elle un partenaire proche ?
Bien entendu. J’étais présent à son dernier sommet, début juillet, et j’irai à la rencontre d’autres organisations régionales, comme l’Asean [Association des nations de l’Asie du Sud-Est], dès que possible. L’OMS a besoin de ces partenaires qui ont un ancrage local, car les besoins diffèrent selon les continents. De plus, ces organisations ont un réel poids politique. Or, comme je l’ai rappelé, les réponses à de nombreuses questions sont tout autant politiques que techniques.
Nous entretenons d’ailleurs de bonnes relations avec de nombreux acteurs (comme Médecins sans frontières), dont nous respectons le travail.
Vous parlez beaucoup d’urgence sanitaire. Qu’en est-il des maladies non transmissibles, notamment en Afrique ?
Ces maladies sont un problème mondial. On remarque l’ampleur de leur développement en Afrique, car les changements de mode de vie et l’urbanisation galopante se font là, sous nos yeux. Il n’est pas question de baisser les bras. La principale réponse reste l’accès aux soins de santé primaires (éducation, hygiène…). C’est précisément la raison pour laquelle je vais me battre pour l’adoption d’une couverture universelle, qui permettrait de réduire fortement l’exclusion dans le domaine de la santé. Autre volet majeur : la prévention, car les citoyens sont encore trop peu informés. Or, dans une certaine mesure, leur santé est aussi entre leurs mains. C’est particulièrement vrai pour le tabagisme, l’obésité, le diabète. Nous aiderons activement les États à élaborer des programmes efficaces. Là encore, je m’inspirerai de mon expérience en Éthiopie : lorsque j’étais ministre de la Santé, j’avais créé un système de soins préventifs qui donnait une place centrale aux différentes catégories de population concernées, et en premier lieu aux femmes.
Quelle place accorderez-vous aux acteurs non étatiques ?
Leur rôle ne cesse de grandir. Les défis étant de plus en plus complexes et multiformes, les réponses à leur apporter impliquent toujours plus d’acteurs : investisseurs, chercheurs, ONG menant des actions de sensibilisation et des missions logistiques ou techniques. En 2016, l’OMS a adopté un « Cadre de collaboration avec les acteurs non étatiques ». Nous travaillerons sur cette base en nous efforçant d’aller plus loin. Nous entretenons d’ailleurs de bonnes relations avec de nombreux acteurs (comme Médecins sans frontières), dont nous respectons le travail.
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