1997-2017 : coups et blessures au Congo-Brazzaville

Vingt ans après la guerre civile qui l’a déchiré, le pays s’est reconstruit, ses communautés se sont rapprochées. Mais toutes les plaies ne semblent pas guéries. Comme le montre la crise qui sévit à nouveau dans le Pool.

Vue de la ville de Brazzaville. © Creative Commons/Jomako

Vue de la ville de Brazzaville. © Creative Commons/Jomako

Publié le 30 août 2017 Lecture : 4 minutes.

Exploitation d’hydrocarbure à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville, en février 2011. © Antonin Borgeaud /JA
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Congo : sortir d’un monde de brut

Frappé de plein fouet par la chute des cours du baril, le pays doit gérer l’urgence en réduisant drastiquement ses dépenses, mais aussi chercher des solutions à long terme.

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Le 5 juin 1997, le Congo basculait dans la guerre civile. Le conflit entre les milices de Pascal Lissouba, alors président en exercice, et celles de son prédécesseur, Denis Sassou Nguesso (DSN), s’était achevé le 15 octobre suivant par la victoire militaire de DSN, obtenue avec l’appui de l’armée angolaise. Déchirure du tissu social et économique, destruction de nombreux équipements et de bâtiments publics et privés, traumatismes psychologiques… La guerre a fait des ravages, laissant le pays profondément divisé. En 2002, DSN remportait la présidentielle, initialement prévue en juillet 1997 – il a depuis été réélu deux fois.

Sur le plan matériel, les traces du conflit ont quasiment disparu. Bénéficiant de confortables recettes budgétaires tirées des hydrocarbures pendant près de deux décennies de conjoncture pétrolière favorable, l’État a fait des efforts pour équiper et moderniser le pays : renforcement des infrastructures de transport, dont la grande dorsale routière Nord-Sud ; augmentation de la capacité énergétique, avec trois nouvelles centrales ; construction d’infrastructures de base, de bâtiments publics, de stades et d’hôpitaux à travers le pays… La liste est longue. Un bémol cependant : une partie des équipements, notamment des aéroports, sont en surnombre, et certaines infrastructures sont encore inachevées dans certains départements.

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Diverses fractures au sein de la population

Sur le plan sociopolitique, la fracture entre le Nord et le Sud, notamment entre les communautés kongo-lari et mbochi, très palpable en 1997, n’est plus aussi marquée. Certes, des méfiances persistent.

À Brazzaville, où certains arrondissements présentent une homogénéité ethnique, les habitants de Bacongo ou de Makélékélé (dans le sud-ouest de la capitale), majoritairement laris, hésitent à aller à Talangaï (Est), où vivent surtout des Mbochis. Et réciproquement. « Je ne me sens pas très en sécurité dans le sud de Brazza. Si je vais au marché Total, j’évite de parler lingala », confie un Brazzavillois originaire de la Cuvette (nord du pays).

Mais, preuve du rapprochement entre les communautés, Jean-Marie Michel Mokoko, natif de la Cuvette et candidat malheureux à la présidentielle de mars 2016, a cependant obtenu des voix dans tous les départements.

Quant à la reprise des violences dans le Pool, où, depuis la présidentielle de 2016, des opérations sont menées par l’armée congolaise contre des milices locales, beaucoup de Congolais avouent ne pas comprendre ce qui se passe.

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Certains avancent que la crise sécuritaire serait orchestrée par des politiques « pour tenter de diviser les Congolais » ; d’autres, qu’elle serait entretenue par les autorités « pour faire oublier la crise économique » (lire p. 63).

Divers facteurs ont contribué à rapprocher les Congolais au cours des vingt dernières années : la dureté du quotidien, le chômage, les difficultés d’accès à l’eau et à l’électricité, les déficits en matière de santé, d’éducation… Des problèmes qui touchent tout le monde, à l’exception d’une poignée de privilégiés.

Au fil des ans les préoccupations ont évolué, notamment chez les jeunes et avec l’émergence des réseaux sociaux

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Le fossé entre ces derniers et le reste de la population s’est creusé, et la fracture sociale s’est doublée d’une divergence sur la conception de la démocratie et de la gestion de la « chose publique ». Car au fil des ans les préoccupations ont évolué, notamment chez les jeunes et avec l’émergence des réseaux sociaux.

Au même titre que celle de voir les conditions de vie s’améliorer, l’exigence d’information, de débat, de démocratisation s’est imposée.

Besoin d’un renouveau idéologique

Or, l’ancien système issu de l’expérience monopartite et marxiste (1964-1990) est encore bien ancré dans les mentalités d’une partie de la classe politique, dans la majorité comme dans l’opposition. Alors qu’on se serait attendu à une rupture après la Conférence nationale souveraine, qui se déroula de 1990 à 1992, il n’en a rien été.

« Nous sommes passés au multipartisme, avec des dizaines de formations politiques, mais, en leur sein, on a gardé le mode d’organisation pyramidal et les mêmes réflexes qu’autrefois », explique l’historien congolais Jérôme Ollandet.

Des élites au pouvoir, anciens et nouveaux venus, s’accrochent à un système d’une autre époque

Force est de constater que ce cycle commencé en 1991, et dont la guerre de 1997 fut un douloureux épisode, n’en finit pas de finir. Des élites au pouvoir, anciens et nouveaux venus, s’accrochent à un système d’une autre époque sans se rendre compte que de nombreux Congolais sont las d’un espace politique sclérosé où la pensée unique reste la règle.

« Plutôt que de faire le bilan du nombre de kilomètres de routes et de bâtiments réalisés, la population a aujourd’hui besoin de changements et de débats sur des sujets majeurs, comme la question de la terre ou celle du franc CFA », observe Jérôme Ollandet.

Même dans les villages, on ne se satisfait plus d’un pagne ou d’un tee-shirt et d’un billet de 2 000 F CFA (3 euros). « On demande au “grand frère” de monter un projet qui crée des emplois et développe le village. On s’insurge contre le gaspillage et la corruption », poursuit l’historien. Au Congo, l’heure est au réveil des consciences et des campagnes

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