Comment le textile tunisien tente de sortir de l’ornière

Alors que le secteur souffre de la baisse de ses exportations vers l’Europe, les professionnels estiment qu’il doit dépasser la seule logique de sous-traitance et monter en gamme.

Le textile tunisien est mis à mal par la concurrence grandissante du Maroc et de la Turquie en Méditerranée, et des pays asiatiques. © QuinnKampschroer/CC/Pixabay

Le textile tunisien est mis à mal par la concurrence grandissante du Maroc et de la Turquie en Méditerranée, et des pays asiatiques. © QuinnKampschroer/CC/Pixabay

Publié le 30 août 2017 Lecture : 5 minutes.

«Des idées coupe-feu, dont certaines avaient déjà été formulées il y a vingt ans. » C’est ainsi que Néjib Karafi, l’ancien directeur général du Centre technique du textile (Cettex), à Tunis, a accueilli les vingt-trois mesures annoncées par le gouvernement de Youssef Chahed au début de juin pour sauver le secteur. L’objectif de l’équipe du Premier ministre tunisien est pourtant de sortir de l’ornière une industrie mise à mal, depuis la révolution, par la concurrence grandissante du Maroc et de la Turquie en Méditerranée, et des pays asiatiques (cinquième fournisseur de l’Union européenne en 2010, la Tunisie occupe désormais le neuvième rang).

Au début du mois de juin, Zied Ladhari, le ministre du Commerce et de l’Industrie, est en effet monté au créneau pour annoncer aux industriels du textile-habillement ce que la Kasbah avait à leur offrir : des allégements fiscaux, la promesse de leur donner la priorité dans les appels d’offres publics et la limitation des importations, qui grappillent des parts de marché aux enseignes tunisiennes (Mabrouk, Zen, Moncef Barcous, Blue Island…).

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Innover pour une meilleure qualité

Pour un secteur qui a vu se réduire ses exportations vers l’Union européenne (2,2 milliards d’euros en 2016, contre 2,6 milliards en 2004), le nombre de ses entreprises (2 020 en 2005, 1 600 dix ans plus tard) ainsi que de ses emplois (de 250 000 en 2001 à 160 000 actuellement), ces mesures sont insuffisantes, estime Néjib Karafi, qui regrette l’absence d’une vision stratégique à dix ans.

Une vision qui inciterait davantage les acteurs du secteur à une montée en gamme et à la sortie de la seule logique de sous-traitance. Comme ce que tentent de faire Claire et Sofiane Ben Chaabane.

Depuis cinquante ans, le textile tunisien a développé une image bas de gamme. Nous voulions proposer autre chose », explique Sofiane Ben Chaabane

Ces deux diplômés de l’ESCP Europe, à Paris, ont fait émerger leur marque de textile, Lyoum, après s’être lancés au lendemainsde la révolution (en 2011) dans une boutique unique à La Marsa, dans la banlieue de Tunis, où il s’est écoulé quelque 2 000 pièces la première année…

Dans un pays pris en étau entre la sous-traitance à bas coût – dont les produits sont destinés à l’Europe –, dominante depuis les années 1970, et un marché national monopolisé par des répliques du prêt-à-porter de masse en vogue à l’international, le pari était osé.

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Pour se démarquer, les deux associés ont misé sur des produits de meilleure qualité, vendus plus cher (tee-shirts, sweat-shirts et pantalons à partir de 60 dinars, [21 euros], dans les magasins tunisois, et 75 euros pour le pantalon chino sur la boutique en ligne, dont le stock est logé à Paris), mais aussi sur un style qui se veut résolument moderne, avec des vêtements griffés pour enfants, femmes et hommes ornés d’inscriptions humoristiques (« Lennon loved couscous », « Prince loved harissa »…).

Des inscriptions qui pointent désormais le bout de leur nez chez Hamadi Abid, le leader du prêt-à-porter dans le pays. « Depuis cinquante ans, le textile tunisien a développé une image bas de gamme. Nous voulions proposer autre chose », explique Sofiane Ben Chaabane, ancien de la communication qui a fait ses armes chez BETC et Saatchi & Saatchi.

La « loi 72 » offre des avantages fiscaux et douaniers aux entreprises dont la seule activité est l’export, alors que les débouchés sur le marché intérieur sont beaucoup moins incitatifs

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Ce qui n’a pas été sans peine : « La première difficulté lorsqu’on veut produire du textile en Tunisie pour le vendre en Tunisie c’est de trouver des ateliers », se souvient Claire Ben Chaabane, une ancienne de l’enseigne de mode La Halle.

Et pour cause : la « loi 72 » offre des avantages fiscaux et douaniers aux entreprises dont la seule activité est l’export, alors que les débouchés sur le marché intérieur sont beaucoup moins incitatifs.

Mais après avoir tissé un réseau de fournisseurs de confiance, les résultats donnent du crédit au modèle des Ben Chaabane : l’an dernier, Lyoum a multiplié ses ventes par deux (les fondateurs gardent leur chiffre d’affaires confidentiel).

Une deuxième boutique permanente a été ouverte à Mutuelleville (nord de Tunis), plusieurs points de vente éphémères ont connu un certain succès à Hammamet, Paris et Londres.

Après l’entrée d’un troisième associé, Mehdi Majoul, un financier tunisien passé par la City, les Ben Chaabane sont en tractation pour une nouvelle levée de fonds, qui leur permettrait de franchiser Lyoum dans toute l’Afrique du Nord, voire au-delà.

Promotex industries ne cesse d’évoluer

Cette stratégie à rebours de celle des importateurs de marques internationales tels que Maille Club, de Mehdi Abdelmoula, ou BS Invest, des frères Ben Salem, a été adoptée par Hosni Boufaden, patron de Promotex Industries, le groupe familial aux 10 millions d’euros de chiffre d’affaires et aux 500 salariés.

Si son activité se concentre dans la confection de tenues militaires pour l’armée et la garde nationale (60 %), et dans des contrats de fournitures pour l’espagnol Inditex (Zara, Massimo Dutti…) ou l’italien Zegna, l’entrepreneur de 37 ans explore une troisième voie.

Depuis quelques années, il commercialise directement en Europe des costumes plus haut de gamme via des commerciaux multimarques en partenariat avec l’Espagnol Javier Arnaiz.

Une valorisation de l’offre tunisienne que Jean-François Limantour, le président du Cercle euro-méditerranéen des dirigeants textile-habillement (Cedith), appelle à élargir dans le cadre d’un plan d’action sectoriel à cinq ans (2017-2021). Autre urgence, estime-t-il : « mobiliser les professionnels tunisiens du textile et de l’habillement dans une organisation professionnelle restructurée ».

Il a sur ce point été entendu puisque, en mai, 400 industriels ont claqué la porte de l’Utica, la puissante confédération patronale, excédés par la signature d’une nouvelle hausse des salaires qu’ils jugent intenable. Ils ont créé la Fédération tunisienne du textile et de l’habillement. Elle sera opérationnelle en septembre, avec l’objectif de relancer la filière.

Lobbying aux États-Unis

Un groupe informel de cinq jeaners (WIC, Sartex, Demco, VTL et Sitex, qui sont des fournisseurs de marques internationales telles Levi’s, Pepe Jeans…) fait cause commune pour accéder au marché américain.

Leur objectif est d’obtenir une dérogation aux droits de douane de 17 %, qui, selon leurs estimations, sont appliqués à la Tunisie à l’entrée aux États-Unis, un marché annuel de 300 millions de jeans, estiment-ils, dont ils ne captent pour l’heure qu’un infinitésimal 0,1 %.

C’est pourquoi, depuis septembre 2015, les industriels ont souscrit un contrat avec le cabinet de lobbying Cambridge Advisors pour sensibiliser à leur cause l’exécutif et le législateur états-uniens. Ce contrat court jusqu’à la fin de l’année 2017 et s’élève pour l’heure à 500 000 dollars.

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