Pourquoi il faut sauver le patrimoine équestre de l’Afrique
Le premier festival équestre d’envergure en Afrique subsaharienne devrait s’ouvrir en février 2018 à Ouagadougou. Une initiative salutaire en faveur d’un trésor méconnu du patrimoine culturel continental.
Il y a urgence. Un pan entier du patrimoine culturel de l’Afrique est en train de s’écrouler sous nos yeux, dans l’indifférence générale – y compris celle des Africains eux-mêmes. J’évoque ici le patrimoine équestre d’un continent qui a connu de nombreux empires cavaliers : l’empire du Kanem-Bornou (nord du Tchad), l’empire du Mali, l’empire songhaï (Afrique de l’Ouest), pour n’en mentionner que quelques-uns… Tous ont dû leur gloire à la possession de cavaleries efficaces et à la maîtrise des arts équestres.
Il y a peu, on pouvait encore voir, au nord du Nigeria, du Cameroun ou du Bénin, de touchantes survivances de l’époque où, en Afrique comme dans le reste du monde, le cheval – signe de richesse et de pouvoir – était l’indispensable attribut de l’aristocratie et où, habillés de somptueux harnachements, des cavaleries d’apparat faisaient la fierté de sultans et autres chefs traditionnels, en particulier dans le vaste espace sahélien.
La coutume se perpétue par endroits
Et puis la modernisation, la mécanisation, l’urbanisation, mais aussi la sécheresse, l’appauvrissement des chefferies, les guerres (notamment du Darfour), le pillage et dernièrement le terrorisme, avec Boko Haram, ont contribué à la disparition de ces cavaleries, des fêtes et des cérémonies qui y étaient associées.
Il y a bien, ici ou là, des lieux où la coutume se perpétue : la Gaani, à Nikki (au nord-est du Bénin, près de la frontière avec le Nigeria), continue à être l’occasion de beaux rassemblements équestres ; au Burkina, les Peuls du département de Barani, non loin de la frontière malienne, continuent chaque année, au moment de la Tabaski (l’Aïd-el-Kebir), à exhiber ce qui reste de leur cavalerie. Mais ces réjouissances n’ont plus le lustre d’antan.
Et il est à craindre que la situation ne s’améliore guère dans les décennies qui viennent, où les démographes annoncent un doublement des populations – et donc une aggravation de la pauvreté – dans ces régions déjà souvent touchées par des famines.
S’inspirer des nations cavalières pour conserver l’équestre du continent
Comment sauvegarder ce qui peut encore l’être ? Toutes les grandes nations cavalières d’Europe ont créé des conservatoires afin que leur savoir-faire équestre ne disparaisse pas définitivement. En Espagne, c’est l’École royale andalouse d’art équestre de Jerez ; à Lisbonne, l’École portugaise d’art équestre ; en Autriche, l’École – dite « espagnole » – de Vienne.
Même les Russes cherchent actuellement à réunir les moyens de créer à leur tour un établissement de ce genre, dans une des merveilleuses écuries construites par le tsar Pierre le Grand à Saint-Pétersbourg.
En Afrique, seul le Maroc pourrait avoir les moyens de soutenir une initiative de ce genre. Mais au sud du Sahara, rien !
Unesco. La France, qui dispose à Saumur d’une École nationale d’équitation et où l’État entretient (pour combien de temps encore ?) un groupe d’écuyers classiques, connu sous le nom de Cadre noir, a réussi quant à elle à faire admettre « l’équitation de tradition française » par l’Unesco et à obtenir en 2011 son inscription sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité.
Le chorégraphe et metteur en scène Bartabas a en outre redonné vie à la grande écurie du château de Versailles, abandonnée depuis la Révolution, pour en faire, en s’appuyant sur la tradition, un lieu de création, une sorte de corps de ballet équestre.
Février 2018 : possible ouverture du premier festival équestre à Ouagadougou
Certes, il faut être reconnaissant aux Sénégalais, qui maintiennent, vaille que vaille, l’existence d’un régiment monté : la fameuse Garde rouge.
Mais ces quelques escadrons ne suffisent pas à représenter la grande richesse équestre – ethnique, historique, folklorique – du continent. Aussi faut-il applaudir l’initiative du jeune voltigeur burkinabè Madi Dermé, qui rêve de créer, à défaut d’une structure permanente, un festival annuel où les cavaliers de toute l’Afrique pourraient, dans une saine émulation, comparer leurs techniques et leurs savoir-faire aussi bien dans les domaines du dressage et du spectacle que dans ceux des pratiques vétérinaires ou de la fabrication de selles et harnachements. Pourquoi attendre ? Madi a déjà fixé les dates de la première édition : elle se tiendra les 24 et 25 février 2018.
Une telle manifestation n’aura d’intérêt, bien sûr, que si elle est, à la différence des petites fêtes locales auxquelles on peut encore assister ici ou là, réellement pluriethnique et même panafricaine. Comme l’est, par exemple, dans le domaine cinématographique, le célèbre Fespaco, qui se tient tous les deux ans, depuis un quart de siècle, à Ouagadougou.
Un lieu privilégié pour un tel événement
Ouagadougou… Cela tombe bien ! Non pas seulement parce que Madi Dermé est burkinabè, ou parce que Ouagadougou a acquis, avec son festival de cinéma, une précieuse expertise dans l’organisation d’événements internationaux, mais parce que, situé au centre de cette Afrique sahélienne où prospèrent les chevaux, le Burkina Faso est indiscutablement le pays où, depuis des temps immémoriaux, le cheval est roi.
Ici, l’héroïne légendaire est une jolie princesse appelée Yennega (ou Yennenga, comme on voudra), qui vécut au XIIe siècle et aimait tant monter à cheval pour de lointaines aventures qu’un jour elle se laissa emporter jusqu’en des terres inconnues où elle rencontra un beau jeune homme.
Subjugué par la beauté de l’intrépide cavalière, ce dernier s’empressa de lui témoigner son admiration… et lui fit un enfant. Un garçon, qu’ils baptisèrent Ouédraogo.
Ce qui, en langue locale, signifie « l’étalon ». Voilà pourquoi les trophées du Fespaco ne sont pas, comme à Cannes, des Palmes ou, comme à Berlin, des Ours, mais des Étalons (de bronze, d’argent, d’or).
Quant au jeune Madi, il est le dernier rejeton d’une véritable dynastie d’hommes de cheval, les Dermé. Originaires du Mali, ces derniers appartiennent à une ethnie connue pour son double savoir-faire : la fabrication du bronze et le dressage des chevaux.
Dons familiaux
C’est pour bénéficier de cette double compétence qu’au XXe siècle le chef des Mossis (ethnie majoritaire du Burkina, célèbre pour ses vertus guerrières), le Mogho Naba, fit venir à Ouagadougou, où il exerce son rôle de chef traditionnel, l’arrière-grand-père de Madi, prénommé Arzouma (c’est-à-dire « vendredi »). Il y fit souche. Son fils, Issaka, devint célèbre pour son talent à faire danser les chevaux.
Son neveu (prénommé Madi lui aussi) fut l’un des meilleurs jockeys de Ouagadougou, où un hippodrome accueille des courses très suivies (ce Madi-là est aujourd’hui responsable d’une partie des écuries parisiennes de Bartabas, le maître écuyer évoqué plus haut).
Quant au neveu de ce dernier, le petit Madi – celui qui se propose de créer un festival panafricain –, il a hérité des dons familiaux, auxquels il a ajouté beaucoup de travail, en suivant en France, pendant trois ans, des leçons à l’école des arts équestres du cirque de Noailles, dirigé par la descendante d’une illustre famille circassienne, les Fratellini.
Le premier festival équestre d’envergure attend une aide financière
Après avoir participé à de nombreux spectacles, en France et ailleurs, Madi a voulu mettre son expérience au service de son pays et de son continent : en début d’année, il a organisé les joyeuses cavalcades de la cérémonie d’ouverture du Fespaco et lancé l’embryon de ce qui pourrait être un jour un grand festival panafricain des sports et jeux équestres.
Ce qui lui manque ? Devinez ! Une aide financière, bien sûr.
Mais des organismes comme le PMU, par exemple, devraient soutenir l’entreprise pour que, selon la formule, une partie de « l’argent tiré du cheval revienne au cheval »…
La Fédération équestre internationale (FEI), dont le siège est à Lausanne (Suisse), devrait également s’y intéresser et rééquilibrer ainsi quelque peu ses relations, tournées principalement vers les pays arabes producteurs de pétrole.
On peut toujours rêver, et espérer aussi que l’Union africaine trouve là l’occasion de manifester, pour une fois, son intérêt pour la préservation d’un élément vivant du patrimoine culturel de l’Afrique.
Les cavaliers de Djougou
Ils sont négociants en produits exotiques, gérants de société, maîtres d’école, camionneurs… Mais tous ont en commun leur passion pour le cheval pur-sang arabe. Nous sommes à Djougou, petite ville carrefour du nord-ouest du Bénin, à 460 km de Cotonou.
La légende veut que des tribus arabes païennes se soient enfuies de La Mecque lors de l’islamisation de la ville. Elles traversèrent à cheval l’Égypte, l’Éthiopie, la Somalie, le Soudan, le Nigeria, avant de s’installer et de développer leur royaume autour de la ville de Nikki, au Bénin.
Aujourd’hui, les « Bariba », qu’ils soient musulmans, chrétiens ou animistes, ont gardé la passion du cheval arabe, partie intégrante de leur identité.
Les jours de fête, notamment lors de l’anniversaire du prophète Mohammed, les cavaliers organisent une Gaani – le mot signifie joie ou victoire. Des Gaanis sont aussi organisées lors de l’intronisation d’un roi ou à l’occasion d’un événement important dans la vie des cavaliers.
Cette coutume, équivalent subsaharien de la fantasia au Maroc, vient tout droit d’Arabie. Des cavaliers et leurs pur-sang arabes richement parés exécutent des chorégraphies sur fond de percussions, des simulacres de batailles, de folles cavalcades et des démonstrations de dressage.
Tarek Charara
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