Corruption : quand les patrons serrent la vis

Face au durcissement de la législation des grandes puissances et à la multiplication des condamnations, le secteur privé change ses pratiques.

Campagne de sensibilisation au Rwanda, un des pays africains les plus engagés contre les passe-droits. © Adam Jones, Ph.D/CC/WikimediaCommons

Campagne de sensibilisation au Rwanda, un des pays africains les plus engagés contre les passe-droits. © Adam Jones, Ph.D/CC/WikimediaCommons

Julien_Clemencot

Publié le 24 août 2017 Lecture : 5 minutes.

Cadeauter, autrement dit corrompre, pour obtenir un passe-droit, s’assurer une décision favorable ou parfois seulement pour faire appliquer la loi… Rares sont les entreprises qui n’ont pas un jour été confrontées à cette tentation. Mais, à la faveur de l’évolution des législations, ces pratiques deviennent plus risquées pour les acteurs économiques. Car sous la pression de leurs citoyens, certaines des plus grandes économies du monde ont renforcé au cours de la dernière décennie les législations pénalisant les délits relatifs à la corruption. Ces lois s’appellent UK Bribery Act au Royaume-Uni, loi Sapin 2 en France ou Foreign Corrupt Practices Act aux États-Unis. Leur particularité : elles peuvent sanctionner des faits commis hors de leur juridiction nationale.

L’Afrique est aussi visée

En 2008, le groupe allemand Siemens a fait partie des premières multinationales à en faire les frais.

Le continent n’échappe pas à cette chasse aux petits arrangements.

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La Securities and Exchange Commission, le gendarme des marchés financiers américains, l’avait condamné à payer 800 millions de dollars pour avoir versé des pots-de-vin afin d’obtenir des contrats aux quatre coins du monde.

Le continent n’échappe pas à cette chasse aux petits arrangements. En juillet, le Serious Fraud Office (SFO), qui lutte contre la délinquance financière au Royaume-Uni, a par exemple ouvert deux enquêtes distinctes contre le fabricant de cigarettes British American Tobacco et le minier Rio Tinto pour des faits présumés de corruption concernant leurs activités africaines.

Dans le monde, une cinquantaine de pays ont activé ou réactivé leur législation anticorruption depuis la fin des années 1990

Et fin 2016 la société d’investissement américaine Och-Ziff a accepté de payer 413 millions de dollars d’amende et de pénalités au gendarme des marchés financiers américain et au département de la Justice, dont plus de 2,2 millions directement réglés par son fondateur, Daniel Och, pour avoir versé quelque 100 millions de dollars de dessous-de-table en Afrique entre 2007 et 2011.

Dans le monde, une cinquantaine de pays ont activé ou réactivé leur législation anticorruption depuis la fin des années 1990. Sur le continent, c’est le cas du Maroc, de la Tunisie, de la Côte d’Ivoire, du Rwanda et de l’Afrique du Sud. Mais, faute de protéger efficacement les lanceurs d’alerte, les États africains peinent à lutter contre ce phénomène.

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Chawki Tabib, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption en Tunisie, estime que ces petits arrangements coûtent à son pays quatre points de croissance du PIB chaque année.

Le Maroc s’organise contre la corruption

Le Maroc est en pointe dans l’amélioration de la bonne gouvernance dans les entreprises et les administrations. En 2007, le royaume a ratifié la convention des Nations unies sur ce sujet et créé une autorité centrale de prévention de la corruption.

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En 2011, l’adoption d’une nouvelle Constitution a réaffirmé la volonté du pays d’agir, et l’an dernier le gouvernement a adopté une stratégie nationale de lutte contre la corruption qui court jusqu’en 2025, incluant des programmes de sensibilisation, de prévention, de formation, et aussi des mesures de répression.

Sensibles à leur réputation, les multinationales ont été les premières à prendre conscience de la nécessité de mettre fin à leurs mauvaises habitudes

Mais c’est encore insuffisant, estiment plusieurs de nos interlocuteurs, qui pointent le manque de moyens accordés aux agences publiques chargées de ces questions en Afrique.

« C’est tout un système. Tout le monde est conscient des conséquences négatives de ces pratiques (perte de pouvoir d’achat, problèmes de qualité des produits, mauvaise gestion de l’argent public). Mais y mettre un terme brutalement pose aussi un problème social puisque cela reviendrait à supprimer une partie des revenus de certains fonctionnaires, voire des emplois si l’on dématérialise certaines opérations », souligne l’une de nos sources.

Source : Ethic Intelligence © JA

Source : Ethic Intelligence © JA

Les multinationales veulent désormais bien gouverner

Sensibles à leur réputation, les multinationales ont été les premières à prendre conscience de la nécessité de mettre fin à leurs mauvaises habitudes. « Elles observent que les lois ne restent plus théoriques, mais aboutissent à des condamnations financières et pénales. Lutter contre la corruption devient une obligation », constate Anne Le Rolland, PDG d’Acte International, cabinet d’audit et de conseil spécialiste des chaînes d’approvisionnement et de distribution.

Le groupe allemand Bosch veille lui aussi à appliquer en Afrique sa politique de bonne gouvernance

Sanctionné en 2006 au Lesotho pour des faits de corruption, Schneider Electric fait partie des repentis qui ont choisi de faire radicalement évoluer leurs pratiques.

En 2007, le groupe français a obtenu en Égypte la certification du cabinet Ethic Intelligence, créé par Philippe Montigny, ancien membre du cabinet du secrétaire général de l’OCDE. Puis il a étendu cette démarche à ses filiales marocaine, nigériane et sud-africaine.

Le groupe allemand Bosch veille lui aussi à appliquer en Afrique sa politique de bonne gouvernance. « Le comité directeur a renforcé ses exigences en matière de contrôles. Cela concerne nos clients comme nos fournisseurs, à qui nous faisons signer un code de conduite. Le fait d’afficher une ligne claire fait d’ailleurs que nous sommes moins sollicités. Nous préférons perdre de l’argent plutôt que de nuire à notre réputation », explique Mondher Sassi, chargé de ces questions au Maroc, en Tunisie et en Algérie.

Les grandes entreprises africaines sont elles aussi de plus en plus sensibles à l’amélioration de leur gouvernance

« Pour les entreprises internationales, la priorité est de maîtriser les règles d’exportation. Quand on les suit à la lettre, on élimine 80 % des situations à risque, dans lesquelles on s’expose à la corruption », estime Anne Le Rolland.

Les entreprises africaines sur la bonne voie

Les grandes entreprises africaines sont elles aussi de plus en plus sensibles à l’amélioration de leur gouvernance.

Même si beaucoup de sociétés locales intègrent encore le fait de distribuer des cadeaux à leur fonctionnement habituel, avec parfois une comptabilité précise des montants donnés.

L’apparition des normes ISO 19600, portant sur le management de la conformité, en 2014, et surtout ISO 37001, sur les systèmes de management anticorruption, l’an dernier, leur donne un cadre pour transcrire dans leur fonctionnement l’évolution des mentalités.

En avril, la société Maghreb Steel mais aussi la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) ont ainsi participé à la formation sur cette dernière norme, organisée par le cabinet Acte International à Casablanca. « Maintenant, nous allons concevoir un plan d’action. Il est certain que notre engagement, impulsé par notre actionnaire Eranove, peut inciter d’autres entreprises à faire la même chose », juge Kouakou Lataille Yao, chargé de la lutte contre la corruption au sein de CIE.

« Quand nous avons ouvert notre filiale au Maroc il y a deux ans, nous ne pensions pas que cette partie de notre activité recevrait un accueil aussi favorable », affirme Anne Le Rolland.

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