Humour : Roukiata Ouedraogo, féminin singulier

En racontant sur scène jusqu’à sa vie intime, l’humoriste burkinabè Roukiata Ouedraogo, installée en France, renouvelle un genre où ses confrères masculins sont encore surreprésentés.

L’humoriste, comédienne et ancienne mannequin burkinabè Roukiata Ouedraogo. © Véronique Besnard/J.A.

L’humoriste, comédienne et ancienne mannequin burkinabè Roukiata Ouedraogo. © Véronique Besnard/J.A.

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Publié le 22 août 2017 Lecture : 4 minutes.

Mamane (Niger), humoriste, acteur (Mohamed Mustapha de son vrai nom). A Paris, le 15.02.2017. Vincent Fournier/JA © Vincent Fournier/JA
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À l’école du rire africain

Les amuseurs publics parviennent désormais à vivre (plus ou moins bien) de leurs blagues sur le continent. Indispensables à la bonne santé des populations, ils restent tout de même surveillés du coin de l’œil.

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Soudain, le public, qui se tordait de rire jusque-là, retient son souffle. Sur la petite scène du Point Virgule, haut lieu de l’humour à Paris, Roukiata Ouedraogo entame un dialogue surréaliste et poignant… avec son clitoris. Ce petit bout de chair et de nerfs qu’on lui a retiré il y a une trentaine d’années, et qu’elle imagine se rappelant à son bon souvenir, cruel, se moquant du plaisir qu’on lui a définitivement ôté. « J’étais encore une enfant pendant mon excision, mais j’ai compris que je devenais une autre personne, la moitié de moi. Je revois la case ; l’odeur du beurre de karité et d’une sorte de pommade antiseptique me colle encore à la peau. On ne fait jamais le deuil de cette disparition. » Le sketch durant lequel la comédienne évoque le « traquenard sanglant » que lui ont réservé les adultes dans son Burkina natal est peut-être le moment le plus fort de son troisième et dernier spectacle, Roukiata tombe le masque. Peut-être parce qu’elle va au bout de sa démarche : raconter sans fard l’expérience intime d’une femme africaine.

Roukiata Ouedraogo évoque tous les sujets

Qu’on ne s’y trompe pas, la comédienne sculpturale de 37 ans, ancien mannequin, n’aborde pas que des thématiques « féminines ». Éducation, immigration, paludisme… l’humoriste avec « un accent à couper au coupe-coupe » traite de sujets qu’on pourrait tout à fait retrouver chez ses confrères masculins.

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Mais l’éclairage, la façon de faire sont souvent différents. Aguicheuse, loufoque, dans le sillage d’une Claudia Tagbo, Roukiata met de la pommade… pour frapper encore plus fort.

À Ouagadougou, où l’humoriste a grandi, jouer la comédie aurait été inenvisageable.

Comme lorsqu’à l’issue de son sketch sur l’excision elle rappelle au public parisien, qui ne se croyait pas directement concerné, que cette opération s’est aussi pratiquée jusqu’au XXe siècle en France pour soigner l’hystérie.

« Les filles ont une approche parfois plus fine, mais peuvent être plus dures ; cela tient aussi au fait que nous devons souvent trimer plus pour monter sur scène et que le milieu n’est pas toujours très sain », estime celle qui raconte avoir reçu plusieurs propositions indécentes, comme celle de jouer nue sans que l’intrigue du spectacle en question le justifie.

Elle était beaucoup trop timide pour ce métier

À Ouagadougou, où l’humoriste a grandi, jouer la comédie aurait été inenvisageable. « Ce n’était pas pour des filles “correctes”. Quand à la sortie du lycée je partais faire du théâtre, mon frère se fâchait fort, il n’était pas d’accord. »

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Arrivée en France à 20 ans, elle enchaîne les petits boulots, avec plus ou moins de bonheur… Sur scène, elle raconte, dans un clin d’œil, qu’elle a été licenciée lorsqu’elle était caissière dans une supérette, à force de confondre francs et francs CFA.

On a du mal à me croire, mais j’étais assez timide

Après avoir été modèle, puis maquilleuse pendant douze ans, elle se dirige sur le tard vers le théâtre, d’abord sans objectif professionnel.

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« On a du mal à me croire, mais j’étais assez timide. Pour me dégourdir, apprendre à prendre la parole de manière plus assurée, j’ai fait un stage d’une semaine au Cours Florent. Le professeur m’a encouragé à intégrer l’école, et finalement j’ai été prise directement en deuxième année. »

La jeune femme apprendra plus tard par hasard que son père avait lui aussi fait du théâtre, écrivant et mettant en scène des pièces dans l’est du Burkina !

Roukiata incarne son rôle

En France, les castings n’aboutissent pas pour cette comédienne au teint sans doute un peu trop foncé au goût des recruteurs. De toute façon, Roukiata veut porter des œuvres personnelles qui aient du sens pour elle, et pourquoi pas s’appuyer sur la comédie pour parler de drames intimes.

Elle écrit ses propres spectacles. D’abord Yennenga, l’épopée des Mossis, où elle incarne une redoutable princesse amazone burkinabè meneuse d’hommes. Aux frontières du conte, le spectacle raconte aussi l’histoire d’une femme moderne qui se bat pour construire son propre destin, quitte à contester l’autorité du père.

En 2013, elle se lance dans le comique avec Ouagadougou pressé, un one-woman-show autobiographique, depuis sa folle jeunesse de « gazeuse » dans les faubourgs ouagalais jusqu’à son arrivée dans le cœur africain de Paris, le quartier de Château-Rouge.

En 2015, enfin, elle commence à jouer Roukiata tombe le masque. Elle s’ancre plus profondément dans l’Hexagone grâce à l’émission de France Inter Si tu écoutes, j’annule tout, où elle réalise des chroniques, et en Afrique francophone, où elle tourne régulièrement, notamment grâce au réseau des Instituts français.

À l’instar de son amie Charlotte Ngo Ntamack, avec laquelle elle a déjà échangé des répliques sur le plateau du Parlement du rire, Roukiata peut enfin incarner un rôle qui lui parle, le sien.

Et dans un univers encore masculin, qui joue la provoc machiste, ces amazones détonnent. Concubinage, rapport d’une femme à sa belle-famille, répudiation expresse, harcèlement sexuel… Elles s’emparent de sujets inattendus et moquent gentiment les mâles du public. La bouche en cœur.

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