Venezuela : les dernières sentinelles du chavisme
L’armée est le dernier pilier du régime de Nicolás Maduro. Alors que le pays s’enfonce dans le chaos, abandonnera-t‑elle le président en rase campagne ?
Et si la dernière initiative politique de Nicolás Maduro se retournait contre lui ? Certes, le 30 juillet, il est parvenu à faire élire les 545 membres de « son » Assemblée constituante. Mais à quel prix ! La rue s’est enflammée, et une dizaine de personnes ont trouvé la mort. Censée diriger le pays pour une durée indéterminée, cette assemblée a surtout pour vocation de court-circuiter le Parlement, où l’opposition est majoritaire.
Une provocation pour nombre de Vénézuéliens qui manifestent depuis plus de quatre mois au péril de leur vie. Non seulement 120 personnes ont été tuées depuis le début de la crise, mais, plus grave pour Maduro, les militaires semblent vaciller à leur tour. Or ils sont le pilier d’un régime très affecté par la chute du prix du pétrole et à bout de souffle sur le plan économique…
La dernière alerte remonte au 6 août. Deux jours à peine après l’entrée en fonction de la Constituante, le gouvernement se félicite d’avoir étouffé une insurrection dans une caserne de Valencia, à 170 km de Caracas.
Un groupe d’officiers, parmi lesquels Juan Carlos Caguaripano, qui a déserté l’armée trois ans plus tôt, ont tenté de s’emparer de l’arsenal puis de provoquer un effet domino dans les autres casernes.
L’armée, dernier rempart du chavisme
Si les hauts gradés restent loyaux, le mécontentement est palpable dans la troupe. À en croire Henrique Capriles, le chef de file de l’opposition, 85 officiers ont été arrêtés, début mai, pour trahison, rébellion ou désertion, et un millier de soldats souhaitent prendre congé de l’armée.
Si ces chiffres sont difficiles à vérifier, la mutinerie de Valencia n’en constitue pas moins un sérieux avertissement. « Les militaires souffrent, comme tout le monde, des pénuries alimentaires et du manque de médicaments. Leur moral est en berne », souligne Álvaro Fernández Ortega, analyste en politique internationale à Madrid.
À la mi-juin, la démission du général Alexis López Ramírez de son poste de secrétaire du Conseil de défense de la nation n’a-t‑elle pas déjà révélé que le malaise s’étendait aux gradés ?
« Le danger pour le Venezuela ne vient pas de Washington, mais du gouvernement vénézuélien lui-même », déclare alors celui qui, en 1992, tenta avec Hugo Chávez de renverser le président social-démocrate Carlos Andrés Pérez, puis fut le chef de la garde présidentielle d’el Comandante de 1999 à 2013.
L’opposition, estime que l’armée est le dernier verrou du système : s’il sautait, c’en serait fini de la folie chaviste !
Aujourd’hui, López Ramírez ne se reconnaît plus dans le chavisme tel que le pratique Maduro. Et il n’est pas le seul. L’opposition, évidemment plus catégorique, estime que l’armée est le dernier verrou du système : s’il sautait, c’en serait fini de la folie chaviste !
Hugo Chàvez a récompensé ses compagnons d’armes
Lorsque le lieutenant-colonel Hugo Chávez finit par accéder au pouvoir en 1999, à la faveur d’élections démocratiques, ce fervent admirateur de Simón Bolívar s’inscrit dans la lignée de deux dirigeants « réformistes militaires » : le Péruvien Juan Velasco Alvarado (1968-1975) et le Panaméen Omar Torrijos (1968-1981).
Il s’empresse de récompenser ses compagnons d’armes et de confier l’exécution de ses réformes économiques et sociales à l’armée, rebaptisée Forces armées nationales bolivariennes (FANB).
Les militaires pénètrent le secteur public, jusque-là réservé aux civils. Une disposition de la Constitution de 1999 leur permet de récupérer le droit de vote, qui leur avait été retiré en 1961 pour les « punir » d’avoir soutenu la junte de Marcos Pérez Jiménez (1952-1958).
Ils obtiennent en outre plusieurs ministères, et une forte augmentation de leur solde. D’anciens généraux sont nommés à la direction de PDVSA, la compagnie nationale pétrolière. Ces nouveaux « gardiens de la nation » deviennent les bras droits du président.
Après la tentative de coup d’État à laquelle il est confronté en 2002, Chávez crée des milices populaires, sur le conseil du Cubain Fidel Castro. Objectif : mater des troubles à l’intérieur du pays ou contrer une éventuelle invasion étrangère.
Surtout, les services de renseignements travaillent en étroite collaboration avec La Havane, qui supervise une grande partie de la formation militaire et signe avec Caracas un pacte de coopération mutuelle.
Avec Maduro, un régime militaire endurci
Si l’armée avait déjà un pouvoir considérable du temps de Chávez, son rôle n’a cessé de croître depuis l’arrivée au pouvoir de Maduro en 2013.
88 % des ministres, 38 % des gouverneurs, 70 % des maires et 85 % des ambassadeurs étaient issus des rangs de l’armée
Entre 2010 et 2014, ses effectifs sont passés de 117 400 à 197 744 (soit 40 à 63 militaires pour 10 000 habitants).
Son budget, qui représentait 1,06 % du PIB en 2008, a bondi à 4,61 % en 2015. Cette même année, 88 % des ministres, 38 % des gouverneurs, 70 % des maires et 85 % des ambassadeurs étaient issus des rangs de l’armée.
Aujourd’hui, ils occupent dix ministères sur trente et un, notamment l’Agriculture, la Justice, l’Habitat, les Transports, les Travaux publics et l’Alimentation, sans oublier le très influent ministère du Bureau de la présidence.
« L’autre candidat à la succession de Chávez, Diosdado Cabello, était un militaire. Maduro, qui est un ancien chauffeur de bus, a voulu compenser cette faiblesse en accordant une plus grande place à l’armée », explique Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc) de Sciences-Po Paris.
7 Vénézuéliens sur 10 contestent désormais la légitimité de Maduro
Une façon, aussi, de s’assurer un soutien qu’il a perdu auprès de la population, puisque 7 Vénézuéliens sur 10 contestent désormais sa légitimité.
Ces six dernières années, 1 100 officiers ont été promus général ou amiral. « Le pays compte 1 000 généraux, alors que 200 suffiraient largement », ironise l’un d’eux, Clíver Alcalá Cordones, qui a récemment quitté l’armée et pris ses distances avec le gouvernement.
Selon lui, seule la pression de la rue pourrait faire tomber Maduro. « Pourquoi les FANB le chasseraient-elles du pouvoir ? Grâce à lui, elles contrôlent des secteurs stratégiques tels que les mines et le pétrole », a-t-il confié au journal espagnol ABC en avril.
Dès son élection en effet, Maduro a créé une « zone économique militaire socialiste ». En l’espace de trois mois, elle regroupait six entreprises présentes sur des marchés variés : agriculture, boissons, communications, finance, transports et BTP.
En février 2016, la Compagnie anonyme militaire d’industries minières, pétrolières et gazières (Camimpeg) a été la onzième à entrer dans le giron du ministère de la Défense.
Alors que 4 300 sociétés ont mis la clé sous la porte ces dix dernières années, celles qui sont entre les mains des militaires sont plus que florissantes. Et, depuis un an, les officiers supérieurs gèrent aussi toute la chaîne de l’approvisionnement alimentaire.
Une mesure destinée à faire face aux pénuries. Huile, café, riz, papier toilette, couches… Chaque denrée ou produit a son propre responsable de distribution.
Maduro a eu l’idée ingénieuse d’impliquer les gradés dans la gestion des pénuries », estime Alcalá Cordones
Quant au ministre de la Défense, Vladimir Padrino López, qui exerce une influence croissante sur le chef de l’État (lire ci-contre), il dirige la « grande mission d’approvisionnement souveraine », créée en juillet 2016. « Maduro a eu l’idée ingénieuse d’impliquer les gradés dans la gestion des pénuries. Il les oblige ainsi à faire partie intégrante du problème », estime Alcalá Cordones.
Une armée criminelle ?
Selon la police fédérale américaine chargée de la lutte contre les stupéfiants (la DEA), les FANB contrôleraient également le trafic de cocaïne à destination de l’Europe.
Par ailleurs, plusieurs rapports émanant d’organismes nationaux dénoncent l’inefficacité des militaires, débordés par la criminalité, dont le taux explose, comme par les manifestations, qu’ils ne savent pas réprimer autrement que dans le sang.
Julio Borges, président du Parlement et figure de l’opposition, a promis une amnistie automatique aux militaires qui renverseraient le gouvernement
Pour ces chouchous du pouvoir, à qui ils doivent leur carrière et de meilleures conditions de vie, une victoire de l’opposition signifierait la fin d’un âge d’or. Ou pis : des représailles.
Conscient de cet écueil, Julio Borges, président du Parlement et figure de l’opposition, a promis une amnistie automatique aux militaires qui renverseraient le gouvernement, tandis que l’opposition tente de les convaincre de rejoindre ses rangs.
Selon Hernán Castillo, professeur de sciences politiques à l’université Simón-Bolívar de Caracas et spécialiste des questions de sécurité et de défense, « la meilleure solution serait que l’armée contribue à une sortie de crise pacifique débouchant sur des élections générales ». Mais est-elle prête à sacrifier le régime chaviste pour survivre ?
Vladimir le dauphin
Pour nombre d’analystes, il est celui qui parvient à maintenir l’unité de l’armée. Celui, aussi, qui a convaincu Nicolás Maduro de reconnaître sa défaite aux législatives de décembre 2015 – l’opposition avait alors remporté les deux tiers des sièges au Parlement.
Allié de la première heure de Maduro, Vladimir Padrino López, 54 ans, passe pour le dauphin du président. Ce père de deux enfants – qui a, dit-on, quitté son épouse pour une femme de plus de vingt ans sa cadette – a été nommé ministre de la Défense en octobre 2014 et chef des forces armées dans la foulée.
Il gère non seulement la sécurité et l’économie du pays, mais aussi tous les programmes sociaux. Un véritable rôle de Premier ministre…
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