Mauritanie : des islamistes modèles ?

Alternance au sommet du parti, débats internes, opposition constructive, rejet de tout sectarisme… Tawassoul semble réunir tous les attributs d’une formation politique moderne. À moins que…

L’ancien président du parti Tawassoul, Mohamed Jemil Ould Mansour, en 2009. © Capture d’écran YouTube

L’ancien président du parti Tawassoul, Mohamed Jemil Ould Mansour, en 2009. © Capture d’écran YouTube

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 8 septembre 2017 Lecture : 3 minutes.

Après deux mandats de cinq ans, Mohamed Jemil Ould Mansour cédera, le 23 décembre, la présidence de Tawassoul à celui que le congrès du parti islamiste aura désigné pour lui succéder. Dans une Mauritanie où les formations politiques sont la chose d’un seul homme, ce changement de direction atteste que Tawassoul est, de façon surprenante, le parti le plus moderne du pays.

Non seulement ses dirigeants pratiquent l’alternance, mais le programme du mouvement, adopté après de vrais débats, ne se résume pas à une hostilité systématique au président Mohamed Ould Abdelaziz. Enfin, ses adhérents se recrutent aussi bien parmi les Beidanes que chez les Haratines ou les Négro-Mauritaniens, alors que nombre de formations sont ethniquement homogènes.

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Une opposition dure mais non sectaire

Tawassoul n’en campe pas moins dans l’opposition. Comme le confirme le fait qu’Ould Mansour est, jusqu’à la fin de l’année, le président du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), qui regroupe la plus grande partie de l’opposition radicale ainsi que des syndicats et des organisations de la société civile.

Les ministères et les entreprises publiques ont fait pression sur leurs personnels pour qu’ils votent oui. Enfin, le pouvoir a recouru à une fraude massive » explique Ould Mansour

Comme le confirme encore sa condamnation du référendum constitutionnel du 5 août, qu’il a boycotté avec ses alliés.

« Ce référendum était anticonstitutionnel parce que la seule voie pour réformer la Constitution passe par la consultation des deux chambres, explique Ould Mansour. D’autre part, la campagne électorale nous a ramenés aux anciennes pratiques des régimes militaires, car les ministères et les entreprises publiques ont fait pression sur leurs personnels pour qu’ils votent oui. Enfin, le pouvoir a recouru à une fraude massive. »

Dès le mois d’octobre, Tawassoul et ses partenaires se mettront en ordre de bataille dans la perspective d’un cycle électoral intense.

Si le pouvoir comprend le message que lui a adressé le peuple en boudant le référendum, nous serons prêts à trouver des solutions pour une sortie de crise » déclare Ould Mansour

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La création de régions prévue par le référendum implique en effet des élections régionales, suivies de scrutins législatifs et municipaux.

Le parti islamiste promet une rentrée musclée, mais ne se montre pas sectaire. « Si le pouvoir comprend le message que lui a adressé le peuple en boudant le référendum, s’il comprend que la voie de l’affrontement dans laquelle il s’est engagé est dangereuse, nous serons prêts à trouver des solutions pour une sortie de crise, déclare Ould Mansour. Mais nous ne pouvons renoncer au changement, à la sécurité, à la liberté. »

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Sous la présidence d’Ould Mansour, le parti a fait preuve de souplesse. À la différence du reste de l’opposition, Tawassoul a participé aux législatives de 2013, se retrouvant seul représentant de l’opposition à l’Assemblée nationale.

La crainte d’être interdit en raison de sa proximité avec le Qatar, excommunié en juin par Riyad et ses alliés, a convaincu Tawassoul de renoncer à appeler, comme cela était prévu, à voter non au référendum du 5 août et de choisir le boycott.

« Ils nous ont obligés à effectuer le même virage en raison de leur importance dans notre coalition ! » regrette le responsable d’un autre parti d’opposition.

Une ouverture de façade ?

Même si certains persistent à penser qu’Ould Mansour est le faux nez d’un parti potentiellement totalitaire, nul ne peut nier son ouverture.

Nous avons choisi la démocratie pour des raisons stratégiques, pas tactiques »  affirme Ould Mansour

« On nous dit islamistes. Nous préférons dire que nous sommes un parti politique avec un référentiel islamique, argumente-t‑il. Nous sommes proches de nos frères tunisiens d’Ennahdha ou du PJD marocain, mais nous sommes avant tout Mau-ri-ta-niens ! Aujourd’hui, un parti politique ne peut plus être un parti idéologique. Nous avons choisi la démocratie pour des raisons stratégiques, pas tactiques. »

Le nombre d’adhérents de Tawassoul est tombé à moins de 70 000. Quatre élus locaux et deux hommes d’affaires l’ont notamment quitté. Ses dirigeants ambitionnent de porter ce chiffre à 100 000.

« Nous avons un débat interne, explique Ould Mansour. Certains jugent que ce recul nécessite un durcissement idéologique de notre direction. Mais une majorité pense que ce n’est pas si grave et que nous pouvons regagner du terrain sans changer de stratégie. »

Le congrès de la fin de l’année et l’élection d’un nouveau président diront si Tawassoul conservera ou non la ligne modérée incarnée par Ould Mansour et son équipe.

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