Cédric et Jacky Ido, deux frères qui réinventent le cinéma français en couleurs

L’un coréalise le long-métrage La Vie de château. L’autre y tient le premier rôle. Rencontre avec les Franco-Burkinabè Cédric et Jacky Ido.

Pour Jacky (à g.) et Cédric, 40 et 36 ans, qui se définissent comme « des guerriers au service de l’art », le cinéma est une affaire de famille. © Cyrille Choupas pour JA

Pour Jacky (à g.) et Cédric, 40 et 36 ans, qui se définissent comme « des guerriers au service de l’art », le cinéma est une affaire de famille. © Cyrille Choupas pour JA

Clarisse

Publié le 1 septembre 2017 Lecture : 7 minutes.

Accolades appuyées, phrases de l’un achevées par l’autre, taquineries mordantes, éclats de rire fréquents… L’alchimie entre Cédric et Jacky Ido est évidente. Unis par les liens du sang, les frères franco-burkinabè le sont aussi par l’amour du cinéma. Illustrateur mais également acteur, le premier cosigne à 36 ans avec le Russo-Guinéen Modi Barry le scénario et la réalisation d’un premier long-métrage, La Vie de château, sorti en France le 9 août.

Profil quasi identique – talent de slameur en sus –, le second, âgé de 40 ans, tient avec brio le rôle principal de cette comédie lumineuse sur l’univers des salons de coiffure afro dans l’un des quartiers les plus cosmopolites de Paris, Château-d’Eau. Il est l’élégant Charles, dit « le Prince », chef charismatique d’un groupe de rabatteurs de rue qui traquent les clientes afin de les orienter vers les établissements de beauté du coin. Son rêve : racheter le salon d’un barbier kurde dont les affaires périclitent. Un projet irréaliste dans un périmètre où magouilles, jalousie et système D sont rois.

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Une relation fusionnelle

Cédric Ido et son complice Modi Barry confient avoir écrit le film en pensant à Jacky Ido, attribuant à Charles certains de ses traits de caractère, comme son amour immodéré pour la poésie.

Ils ont le même sens de l’humour et, surtout, une confiance absolue l’un en l’autre », explique Barry

Avec un sourire éclatant, l’acteur dit avoir remisé au vestiaire sa casquette de réalisateur et s’être laissé faire. « Cédric et Jacky ont une relation fusionnelle qui facilite le travail : on ne s’égare pas dans d’inutiles explications, argumente encore Barry. Ils ont le même sens de l’humour et, surtout, une confiance absolue l’un en l’autre. »

« Je peux le balader de gauche à droite sans courir le risque de voir tout s’effondrer, car c’est l’une des personnes que je connais le mieux », confirme Cédric, qui s’est déjà inspiré de son aîné pour créer d’autres personnages.

Comme dans ses deux courts-métrages, dont Jacky tient aussi le premier rôle : Hasaki ya Suda, un film de samouraïs en lingala et en japonais, et Twaaga, une allégorie de la vie de Thomas Sankara. « Cédric l’acteur m’a appris des choses, révèle de son côté Jacky. Je lui en ai enseigné en tant que réalisateur. J’ai autant fait jouer Cédric qu’il m’a fait jouer. Nous empruntons à l’univers l’un de l’autre, en faisant taire nos ego, en passant outre le sacro-saint droit d’aînesse à l’africaine. »

Jacky Ido, acteur et réalisateur, en septembre 2009. © Frédérique Jouval/Picturetank pour JA

Jacky Ido, acteur et réalisateur, en septembre 2009. © Frédérique Jouval/Picturetank pour JA

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Nés de parents cinéphiles, Cédric et Jacky Ido ne sont pas des enfants du sérail.

Ils ont parfois été choisis tous les deux par des réalisateurs qui ignoraient leur filiation

Cadets d’une fratrie recomposée de onze garçons, ils ont trouvé leur voie seuls, sans plan de carrière, ignorant les tentatives de dissuasion, guidés par leur curiosité et leurs seules envies, le petit frère calquant ses pas sur ceux du grand, quelquefois en courant les castings ensemble, mais sans jamais se faire concurrence.

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Et ils ont parfois été choisis tous les deux par des réalisateurs qui ignoraient leur filiation. Comme pour la série française Duval et Moretti. Ou pour Les Enfants du pays, le dernier film de Michel Serrault, un huis clos mettant en scène neuf comédiens, dans lequel les Ido incarnent deux tirailleurs sénégalais.

Un rôle risqué ?

Pour certains, jouer le rabatteur dans La Vie de château alors qu’on est l’agent Jules Dao du FBI dans la série The Catch, de Shonda Rhimes, prêtresse du petit écran américain, c’est prendre le risque de ternir son image. Jacky Ido jure au contraire qu’il « aurait pu jouer pour trois francs six sous, tant il était important pour [lui] de travailler avec les gens dont [il] se nourrit et qui se nourrissent de [lui] ».

L’acteur décrit La Vie de château comme « un film fait avec amour, pour les communautés oubliées ». À ceux qui reprochent au biotope professionnel une succession de clichés, les Ido opposent leur droit à un cinéma distrayant, Cédric mettant en avant son désir d’humaniser les personnages.

« Le moindre des ‘‘clichés’’ met en lumière une problématique. Le personnage de Moussa, qui vit de petites magouilles, éclaire sur la précarité chez les rabatteurs. Nous n’avons pas fait un film sur la sape non plus, mais sur un dandy, confronté à l’universelle crise de la quarantaine, qui s’interroge sur ses choix de vie. »

Les deux frères plaident pour un cinéma qui représente la communauté noire telle qu’elle est

Nés en France, les deux frères qui ont séjourné au Burkina Faso et arpenté les trottoirs de Château-d’Eau plaident aussi pour un cinéma qui représente la communauté noire telle qu’elle est.

« Parce que les Africains sont peu représentés, ils ont du mal à embrasser leurs représentations, souligne Jacky Ido. La moindre d’entre elles est scrutée, suspectée. Ils veulent des films avec des Noirs médecins, avocats… C’est une réalité qui doit être représentée. Les Noirs de La Vie de château en sont une autre. Ne pas l’admettre, c’est refuser de se regarder en face par pur snobisme. »

Finalement, Cédric Ido signe un film qui, d’une certaine manière, les renvoie à leur propre histoire.

Plutôt méconnus dans l’Hexagone, ils sont salués à l’international. « Tant que l’intelligentsia ne donne pas son quitus, le public ne suit pas, explique Jacky Ido. On semble me redécouvrir à chacune de mes apparitions dans un film. »

Le réalisateur franco-burkinabè Cédric Ido, le 15 octobre 2013. © Cédric Ido, réalisateur pour J

Le réalisateur franco-burkinabè Cédric Ido, le 15 octobre 2013. © Cédric Ido, réalisateur pour J

Pour ce grand adepte de cinéma expérimental désormais converti au commercial, qui a joué aussi bien pour Quentin Tarantino (dans Inglourious Basterds, au côté de Brad Pitt) que pour Claude Lelouch, « c’est comme remettre toujours la même pierre à l’édifice qu’on essaie de construire. On n’avance pas ».

Jacky dit s’être aperçu que, en France, on ne sait pas quoi faire de lui. « Quand un réalisateur me confie un scénario, je m’autorise à émettre un point de vue. Quelques-uns en sont étonnés et changent d’avis. »

Des guerriers au service de l’art

Cédric et Jacky Ido se définissent comme « des guerriers au service de l’art », qui ne peuvent se satisfaire d’être sur les plateaux de tournage sans poser de questions.

Sélectionné pour le rôle de l’agent Jules Dao, Jacky était parvenu à faire réécrire le scénario en suggérant à la production d’utiliser son bagage franco-africain, alors que la première version lui attribuait des origines hispaniques.

Il affirme avoir été conforté par Claude Lelouch et Luc Besson – également ostracisés – dans son envie de faire un cinéma qui lui ressemble, plutôt qu’un cinéma dans lequel on voudrait bien l’intégrer. « Les obstacles rencontrés, nos convictions et nos choix cinématographiques dessinent en filigrane chez nous un cinéma militant, lequel donne à voir des thèmes et des castings différents, à la manière d’un Alain Gomis.

Et il faudrait plus de projets de cette nature pour prendre, enfin, la mesure de la variété de profils et d’histoires qui existe dans la communauté africaine », soulignent Cédric et Jacky Ido.

Mais, parce qu’ils assument en parallèle une recherche esthétique et une quête de sens qui les classent parmi les cinéastes expérimentaux, ils refusent d’adopter une démarche systématiquement revendicatrice qui aliénerait leur art au politique.

Selon Jacky Ido, le cinéma hexagonal désigne chaque décennie un représentant des Noirs ou un représentant des Arabes

Jacky Ido se félicite ainsi d’avoir osé explorer d’autres voies. Selon lui, le cinéma hexagonal désigne chaque décennie un représentant des Noirs ou un représentant des Arabes, et seuls ces « gardiens du temple » ont voix au chapitre.

« J’adorerais jouer le copain, le rival, ou le frère d’Omar Sy dans un film, poursuit Jacky. Ce n’est pas déraisonnable, mais c’est impossible : il ne peut y avoir qu’un Noir à la fois dans une communauté blanche. Sy a du talent, certes. Mais, autour de lui, on cloisonne, on le veut lui, ignorant la diversité des talents qui existent (lire l’encadré). Puis un jour, on changera. C’est pernicieux. »

Passé par Purchase College (État de New York), l’une des plus prestigieuses écoles américaines de réalisateurs, Cédric approuve.

Jacky Ido rêve d’une France qui crée des stars, comme le cinéma américain l’a fait pour un Will Smith

Celui qui a débuté à 3 ans sur les planches à Ouagadougou et s’est retrouvé à 28 ans dans Miracle à Santa Anna, de Spike Lee, rêve d’une France qui crée des stars, comme le cinéma américain l’a fait pour un Will Smith, par exemple.

Un souhait qui vaut pour le cinéma africain. Les frères Ido verraient d’un bon œil la naissance d’icônes sur le continent. En préparation, le prochain film de Cédric Ido, dont l’action se déroule dans le Ghana des indépendances, pourrait y contribuer.

Un film « communiste »

Cédric Ido et Modi Barry ont créé une vitrine pour des acteurs qu’ils admirent, mais qui parfois souffrent d’un manque de visibilité, en particulier en France. Un film de copains donc ? « Pas le moins du monde, un film “communiste”, à petit budget (moins de 700 000 euros), où tous les acteurs, conquis par notre projet, touchent le même cachet (entre 300 et 400 euros par jour), les techniciens également, qu’ils soient régisseurs, chefs opérateurs ou réalisateurs », se marre Modi Barry.

L’immense William Nadylam est venu de New York, où il est désormais installé. L’Angolais Hoji Fortuna (qui interprète Fela) est parti de Zagreb ; Raghunath Manet est arrivé d’Inde exprès pour le film, tout comme le très populaire artiste ivoirien Serge Beynaud.

Félicité Wouassi a elle aussi répondu à l’appel des réalisateurs. Ces derniers reconnaissent par ailleurs avoir modifié les scènes et les dialogues en fonction des comédiens rencontrés. Résultat : peu présents à l’origine, les personnages d’Ali (Franck Koumba) et de Yu (Yilin Yang) ont fini par s’imposer.

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