Jihadistes tunisiens : Leïla Chettaoui cherche « la vérité, coûte que coûte »

À l’origine de la commission d’enquête parlementaire sur l’envoi de jeunes dans les zones de conflits, la députée tunisienne s’est attiré de nombreuses inimitiés. Mais rien n’ébranle sa détermination.

Son petit sourire déstabilise ses détracteurs. © hichem

Son petit sourire déstabilise ses détracteurs. © hichem

Publié le 8 septembre 2017 Lecture : 3 minutes.

Elle aurait pu se contenter de figurer parmi les femmes que le parti Nidaa Tounes mettait en avant pour remporter les législatives de 2014, mais c’est bien mal connaître Leïla Chettaoui que de croire qu’elle pouvait se satisfaire d’un rôle de figuration. Gestionnaire de formation, son intérêt pour l’humain l’oriente vers une carrière de coach, spécialiste en programmation neurolinguistique (PNL). En 2011, la victoire des islamistes aux élections pour la Constituante lui fait l’effet d’un électrochoc. Elle s’engage alors avec un collectif féminin pour protéger les acquis des Tunisiennes et entre en politique. « Mes choix sont des chemins de vie », confie la députée.

La sécurité et la défense, secteurs prioritaires

En janvier 2017, elle fait voter par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) la création d’une commission parlementaire, qu’elle présidera, destinée à enquêter sur l’envoi des jeunes dans des zones de combats. « La sécurité et la défense, plaide-t-elle, me semblaient prioritaires pour le pays. » Une initiative qui lui vaut des inimitiés, y compris au sein de son propre parti.

 Quand plus de 6 000 jeunes partent au combat, il faut interroger nos institutions chargées de la sécurité : qu’ont-elles fait ?

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En mars, Nidaa Tounes suspend son adhésion après la fuite sur les réseaux sociaux de l’enregistrement d’une réunion de son bureau exécutif qui projetait de l’exclure et de l’empêcher ainsi de siéger à la commission d’enquête.

Néanmoins convaincue que cette démarche est nécessaire pour le pays, Leïla Chettaoui résiste, encaisse les coups et refuse que les tractations entre les islamistes d’Ennahdha et la direction de Nidaa Tounes compromettent son objectif. Elle rejoint alors le mouvement Machrou Tounes, ce qui lui permet de nouveau d’intégrer la commission à titre de membre et de poursuivre sa bataille pour faire éclater la vérité.

Responsabilité des institutions

« Le dossier des jeunes envoyés sur les fronts de guerre est un crime contre la Tunisie, la jeunesse et les familles, qui ont été détruites. Il faut que les responsabilités soient établies », assène-t-elle avec ce petit sourire et cette parfaite maîtrise de soi qui déstabilisent ses détracteurs. Elle reproche à l’État sous la troïka gouvernementale de 2012-2013 de ne pas avoir géré ce dossier en bon père de famille.

« Quand plus de 6 000 jeunes partent dans des zones de combat, il faut s’interroger sur nos institutions chargées de la sécurité. Qu’ont-elles fait ? Quels moyens ont été mis en place pour arrêter ce fléau ? Des rapports ont-ils été produits ? Quelles ont été les décisions des premiers responsables et celles de l’exécutif ? Il faut définir sans parti pris les responsabilités directes ou indirectes pour ne plus jamais vivre cela », explique celle que la détresse des familles émeut.

Elle s’expose au point que la société civile demande au gouvernement de la protéger

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Vivement critiquée pour avoir rencontré, avec une délégation de l’ARP, le 7 août, le président syrien Bachar al-Assad à Damas, elle a contribué à obtenir son accord pour une coopération technique entre les deux pays sur la question des jihadistes tunisiens. Cette mère, qui cache son stress à ses deux enfants, enchaîne les déclarations dans les médias et donne des noms. Elle dénonce l’implication de Mohamed Frikha, député d’Ennahdha, dans l’envoi de candidats au jihad avec sa compagnie aérienne Syphax Airlines jusqu’à Sabiha-Gökçen, en Turquie, à proximité de la frontière syrienne.

Syphax Airlines, dont le montage financier comporte de nombreuses anomalies et entorses à la loi, ne vole plus depuis 2015 et s’est vu refuser le renouvellement de son autorisation d’exploitation par le Conseil national de l’aviation civile ce 30 août. Frikha a porté plainte contre elle, mais elle persiste et s’expose au point que la société civile demande au gouvernement de lui assurer une protection.

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Malgré la cabale politique, rien n’ébranle la détermination de Leïla Chettaoui. Qui s’apprête à ouvrir une nouvelle boîte de Pandore : le blanchiment d’argent par le biais de collecte de fonds pour la construction de nouvelles mosquées.

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