Innovation : les drones décollent sous haute surveillance

Évaluation des stocks miniers, cartographie, livraisons… Les services offerts par ces engins volants se multiplient et attirent les investisseurs. Mais beaucoup d’États s’inquiètent des risques sécuritaires.

RocketMine, filiale de Delta Drone, a signé en août un accord avec le sud-africain Exxaro. © delta drone

RocketMine, filiale de Delta Drone, a signé en août un accord avec le sud-africain Exxaro. © delta drone

Julien_Clemencot

Publié le 15 septembre 2017 Lecture : 4 minutes.

«Voir le prix des drones baisser au niveau de celui des smartphones va être très excitant », se réjouit par avance l’homme d’affaires kényan Mbwana Alliy. Début août, le fonds Savannah, qu’il a créé en 2012, et la société d’investissement sud-africaine 4Di Capital ont injecté 8 millions de rands (environ 515 000 euros) dans la start-up sud-africaine Aerobotics, spécialisée dans l’analyse d’images prises par ces engins volants. Bien qu’encore modeste, cette campagne de financement est une nouvelle marque de l’intérêt des investisseurs pour les services commerciaux offerts par les appareils sans pilote. En février 2017, le groupe français Delta Drone, coté à la Bourse de Paris, avait pris le contrôle de la société sud-africaine RocketMine moyennant 633 000 euros, à ce jour la plus importante opération réalisée en Afrique dans ce domaine.

Surveillance, évaluation de stocks miniers, assurance, télécommunications, visite virtuelle, modélisation 3D, transport de marchandises… Les drones ont dépassé depuis longtemps le stade du simple jouet high-tech

Si en Europe les leaders du secteur ne réalisent que quelques millions de chiffre d’affaires, « dans cinq ans on pourra ajouter un zéro », prédit Richard Sanz, conseiller du PDG de Delta Drone. Et l’Afrique devrait offrir aux pionniers du marché de très belles opportunités, notamment dans les secteurs agricole et minier. En trois heures de survol, Aerobotics, fondée en 2014, est par exemple capable de s’assurer de l’état de santé d’une exploitation qu’un fermier mettrait dix jours à parcourir.

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La société s’est aussi tournée vers les compagnies d’assurance, appelée à la rescousse pour indemniser les dégâts causés par les maladies ou par les intempéries. Ses dirigeants assurent que la précision des données recueillies élimine tout risque de fraude. Les assureurs sont évidemment intéressés, à commencer par le géant sud-africain Old Mutual et le réassureur Swiss Re, qui ont noué un partenariat avec Aerobotics. Grâce à sa collecte de fonds, la start-up espère commercialiser ses offres dès l’an prochain.

Dans le secteur extractif, RocketMine s’impose comme le leader. En août, il a signé un accord d’un an avec le sud-africain Exxaro pour mesurer le stock de minerai de ses sites tout au long du processus d’exploitation. La start-up, dont le chiffre d’affaires approchait le million d’euros l’an dernier, compte également Glencore, Anglo American et BHP Billiton parmi ses clients. En avril, elle avait déjà décroché deux contrats d’une valeur de 200 000 euros pour survoler quasi quotidiennement des mines d’or au Ghana.

Patte blanche

Reste que beaucoup de pays, inquiets du risque sécuritaire que peut impliquer la multiplication des drones civils, ont adopté des réglementations strictes. Dans le royaume chérifien, « l’appareil est classé dans la même catégorie que les explosifs », déplore M’hamed Tarek Benkhmis, président de l’association Drone Maroc, interrogé par nos confrères de L’Économiste. À peine une dizaine d’entreprises y détiendraient les autorisations nécessaires à leur fabrication et à leur exploitation.

À Madagascar, les vols de drones sont tout bonnement interdits. Même l’Afrique du Sud, où les compétences et les investisseurs ne manquent pas, a adopté des textes imposant de montrer patte blanche à l’Aviation civile, au ministère des Transports et à celui de la Défense. Seules huit sociétés sont homologuées. « Réglementer est une bonne chose. Les risques de crashs existent et il faut canaliser les ardeurs pour protéger la vie privée. Mais si vous avez un bon dossier, des dérogations sont possibles », relativise Christian Viguié, PDG de Delta Drone.

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Conscients des services que peuvent rendre ces engins volants dans des zones où les déplacements sont compliqués, certains États commencent néanmoins à faire évoluer leur législation. Mi-février, le Kenya a adopté un texte réglementant leur usage commercial. Le logisticien Astral Aviation, qui a créé une filiale spécialisée dans les drones l’an dernier, prévoit déjà d’ouvrir un droneport dès 2018.

Malgré son obsession sécuritaire, le Rwanda est sans doute le pays le plus avancé en matière d’usages. Depuis octobre 2016, il expérimente le premier service de livraison par drone au monde avec Zipline. Un simple fil barbelé entourant un champ, une tente blanche, une catapulte pour le décollage et un matelas gonflable pour l’atterrissage… Les infrastructures installées sur une colline à 50 km de Kigali sont encore rudimentaires. Mais la société dont le siège se trouve à San Francisco est capable de livrer des poches de sang aux centres de transfusion rwandais.

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Les commandes sont passées en ligne, via SMS, par téléphone ou WhatsApp. Le colis est alors acheminé par les airs dans des engins pouvant parcourir 150 km aller-retour. Larguées avec de petits parachutes, les poches de 500 g environ arrivent en trente minutes, contre plusieurs heures pour une livraison classique. En mai, Zipline affirmait avoir ainsi effectué 350 missions. Même si certains spécialistes émettent des doutes sur la fiabilité des livraisons, la Tanzanie serait en discussion avec Zipline pour lancer un service similaire.

Cadre légal

Aujourd’hui, les start-up américaines, européennes et israéliennes décrochent la plupart des contrats sur le continent. Mais en Afrique francophone quelques entrepreneurs locaux participent à l’essor de ce secteur. Après avoir aidé la municipalité à cartographier Douala, le Camerounais William Elong, fondateur de la société Will & Brothers, entend construire ses propres drones. Il aurait collecté 200 000 dollars (près de 170 000 euros).

Petit-fils de Seyni Kountché, président du Conseil militaire suprême du Niger entre 1974 et 1987, Aziz Kountché s’est également lancé dans l’aventure via sa société Drone Africa Service. À Niamey, les ONG, les institutions et quelques entreprises font appel à son expertise. Le jeune patron, qui conçoit lui aussi ses appareils pour disposer d’engins plus polyvalents, a déjà bouclé le planning de sa flotte pour les deux prochains mois. Pionnier du secteur dans son pays, il a en parallèle engagé un dialogue avec l’Aviation civile pour réfléchir à un futur cadre légal.

« Les drones sont souvent associés aux opérations militaires et peuvent faire peur. D’où l’intérêt de sensibiliser les autorités », juge Aziz Kountché, qui déjà rêve de son propre service de livraison par les airs au Niger.

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