Excision, mariage forcé, viol : Diaryatou Bah a su mettre des mots sur les maux

Excisée à 8 ans, mariée à 13, la Guinéenne Diaryatou Bah a converti ses traumatismes en énergie militante. Portrait.

La trentenaire est aujourd’hui ambassadrice de l’association Excision, parlons-en ! © Camille Millerand/ DIVERGENCE pour JA

La trentenaire est aujourd’hui ambassadrice de l’association Excision, parlons-en ! © Camille Millerand/ DIVERGENCE pour JA

Publié le 13 septembre 2017 Lecture : 4 minutes.

«Quand vous écrirez, ne vous concentrez pas sur moi », dicte Diaryatou Bah avec assurance. Si cette battante de 31 ans raconte son histoire depuis dix ans déjà, c’est pour mettre en avant son combat : la lutte contre les mutilations sexuelles et les violences faites aux femmes. Une histoire qui commence en Guinée, au sein d’une famille peule de 32 enfants, marquée par plusieurs terribles chapitres.

À 8 ans, Diaryatou Bah subit l’excision. Un passage obligé, un grand moment qu’elle attendait. Mais sans imaginer ces femmes qui lui maintiendraient les bras et les jambes, ces feuilles d’arbre posées sur son visage pour l’empêcher de voir. Et la douleur. « Le cri que j’ai poussé, je ne pourrais jamais l’oublier », confie-t‑elle. Son visage rond, généreux, souriant, est aussi rassurant que son récit est tragique. Alors qu’elle n’a que 13 ans, son mariage est arrangé avec un homme de 45 ans qui vit en Europe. « Qu’est-ce que tu peux rêver de mieux ? » lui demande sa mère. Alors l’adolescente fantasme sur cet avenir de l’autre côté de la Méditerranée.

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L’Europe n’était pas le paradis qu’on lui avait décrit

À tel point qu’à son arrivée à l’aéroport de Rotterdam elle ne reconnaît pas son mari. Elle découvrira bien assez tôt son vrai visage : un marabout polygame qui la manipule, la bat et la viole. Lorsque son visa de touriste expire, elle se retrouve à sa merci. Elle tombe trois fois enceinte, ce qui n’empêche pas son époux de continuer de la maltraiter. Elle perd ses trois enfants. La deuxième grossesse reste son plus grand traumatisme. À l’hôpital, elle ne comprend pas ce qu’on lui dit, seulement qu’il est trop tard. « J’ai eu la sensation que j’avais perdu mon bébé parce que je ne parlais pas la langue, parce que j’étais seule. » On lui avait décrit l’Europe comme un paradis, elle y vit l’enfer.

Je parle avec beaucoup de recul, mais ça reste très douloureux

Diaryatou déroule le fil de sa vie à toute vitesse. « Je parle avec beaucoup de recul, mais ça reste très douloureux. » En décrivant le jour où le cauchemar a pris fin, elle semble revivre sa délivrance. Seule dans le 15 m2 insalubre de la banlieue parisienne où elle a déménagé et où le marabout la « détient », elle écoute une femme battue expliquer à la télévision comment elle s’en est sortie.

C’est « un déclic » et « un immense espoir ». Des assistantes sociales, des associations, qu’elle ose aller trouver, peuvent l’aider. On lui dit de fuir. Mais la nouvelle Diaryatou veut affronter son mari : « Tu risques vingt ans de prison », bluffe-t‑elle. Il la laisse partir. Après quelques mois d’errance, elle intègre un foyer de jeunes travailleurs où elle perfectionne son français – aujourd’hui presque parfait.

La lutte comme exutoire

En 2005, elle obtient ses papiers, sa « renaissance ». Mais c’est en se racontant dans un livre, On m’a volé mon enfance, en 2006, que cette rescapée met des mots sur ses maux. L’excision (qui touche 50 000 femmes en France, selon l’Institut national d’études démographiques, et 200 millions dans le monde, selon l’Unicef), le mariage forcé… et le viol.

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« C’est un terme qu’il ne faut pas utiliser, mais c’est la réalité, insiste-t‑elle, la voix soudain plus dure. Revenir sur tout ça, ça m’a fait mal. C’était comme un réveil. »

Moi, je me bats sur des sujets beaucoup plus “hard” que de savoir s’il faut écrire mademoiselle ou madame sur les papiers administratifs

Diaryatou comprend alors que c’est dans la lutte qu’elle trouvera le courage d’avancer. Elle fonde l’association Espoirs et Combats de femmes et mène en 2008 une campagne de sensibilisation en Guinée, où 97 % des filles sont excisées, toujours selon l’Unicef, et où elle aimerait un jour construire un centre d’aide pour les jeunes. En 2011, elle devient responsable d’un comité Ni putes ni soumises, pour l’émancipation des femmes en France, notamment dans les quartiers. Féministe, mais pas de n’importe quelle trempe : « Moi, je me bats sur des sujets beaucoup plus “hard” que de savoir s’il faut écrire mademoiselle ou madame sur les papiers administratifs. »

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Après avoir suivi une formation sur la prévention des conduites à risques, elle est aujourd’hui éducatrice dans un centre d’insertion sociale de l’association Aurore, à l’est de Paris. Elle a participé à la campagne de l’association Excision, parlons-en !, lancée en mars par la ministre des Droits des femmes pour alerter les filles qui pourraient être mutilées lors de vacances au bled.

De victime à ambassadrice

Diaryatou est passée du statut de victime à celui d’ambassadrice. À ses risques et périls. Sur les réseaux sociaux, des hommes, essentiellement, l’accusent de trahir sa culture, sa religion ou de servir une propagande orchestrée par « les Blancs ». Déterminée, Diaryatou n’hésite pas à leur répondre. « J’en ajoute certains sur Facebook et je tente de les convaincre. Je ne leur en veux pas. Ils n’ont pas fait le chemin que j’ai fait. » Ils ne perpétuent souvent cette tradition que par ignorance, affirme-t‑elle. Il faut donc les impliquer dans le combat.

Certains membres de ma famille disent que j’ai sali notre nom. D’autres m’encouragent

Son père a d’ailleurs évolué sur le sujet, bien que sa mère reste campée sur ses positions. « Certains membres de ma famille disent que j’ai sali notre nom. D’autres m’encouragent. » En tout cas, elle se battra pour que ses petites sœurs connaissent un sort différent. Elle leur présentera sa fille, Aïcha, 18 mois. « Je veux qu’elle découvre la Guinée. Mais je ne ferai confiance à personne. Je ne la quitterai pas des yeux. »

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