Allemagne : et à la fin, c’est toujours Angela Merkel – alias « Mutti » – qui gagne !
Ses compatriotes la surnomment Maman. Au pouvoir depuis douze ans, Angela Merkel a les meilleures chances d’être reconduite dans ses fonctions à l’issue des législatives du 24 septembre. Mais qu’est-ce qu’elle a que ses rivaux n’ont pas ?
Certains médias l’ont surnommée la chancelière Teflon, du nom de ce polymère antiadhésif qui recouvre le fond des poêles. Une manière ironique d’évoquer l’incroyable résistance d’Angela Merkel à l’usure du pouvoir : alors qu’elle gouverne l’Allemagne depuis douze ans déjà, elle a les meilleures chances de se voir confier par les électeurs, le 24 septembre, un quatrième mandat. À quelques jours du scrutin, la CDU, son parti chrétien-démocrate, recueille en effet 37 % des intentions de vote, loin devant les sociaux-démocrates du SPD (24 %). Comment expliquer une telle longévité quand l’instabilité prévaut presque partout en Europe ?
« Merkel cultive un style qui plaît à une majorité de ses compatriotes, explique le politologue Michael Spreng. Calme et réfléchie, elle ne recherche pas l’affrontement et mène une politique sans éclat peut-être, mais rassurante. Quand il y a un problème, beaucoup se disent : “Angela va s’en occuper, on peut lui faire confiance.” » Toute une génération a grandi avec elle et a du mal à concevoir qu’on puisse gouverner autrement.
Le parcours de la chancelière allemande
Longtemps sous-estimée, cette fille de pasteur âgée de 63 ans élevée en Allemagne de l’Est au temps du communisme a peu à peu fini par imposer sa personnalité. Si certains lui reprochent son manque de charisme, la plupart apprécient sa rigueur et sa modestie. Physicienne de formation, ce bourreau de travail avoue prendre son temps pour analyser les situations et prendre des décisions.
Julian, 23 ans, est un inconditionnel de Mutti (« maman »), comme on surnomme souvent la chancelière. Son discours est bien rodé : « Grâce à elle, le pays et son économie se portent bien. Elle a créé des emplois et géré au mieux différentes crises. C’est la meilleure pour diriger le pays. » La blonde Christine, 34 ans, partage cet engouement : « Que ce soit lors des négociations à Bruxelles ou face à Donald Trump et à Vladimir Poutine, elle sait imposer sa volonté. Dans les temps incertains que nous vivons, c’est important d’avoir une personne d’expérience aux commandes. » Merkel a d’ailleurs fait de son bilan et de sa connaissance des grands dirigeants de la planète ses principaux arguments de campagne.
Merkel face à la crise des migrants
Au début de cette année, on l’avait pourtant crue irrémédiablement plombée par la crise des migrants. Beaucoup ne lui pardonnant pas le débarquement de près de 1 million de réfugiés, sa cote de popularité était en chute libre. Comment est-elle parvenue à redresser la barre ? « Elle a d’abord durci les conditions d’asile puis concédé que si c’était à refaire elle agirait différemment, explique Oskar Niedermayer, professeur à l’Université libre de Berlin. En faisant amende honorable, elle est parvenue à reconquérir nombre de ses partisans déçus. » Pas tous, bien sûr. Certains ne sont nullement disposés à passer l’éponge et risquent de voter pour l’extrême droite : on s’attend que l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) dépasse la barre des 10 % des suffrages (il faut 5 % pour entrer au Parlement). « Elle a certes fait une erreur, mais je voterai quand même pour elle car c’est une femme courageuse. Et puis il fallait bien que ces migrants aillent quelque part, vu que personne ne voulait d’eux en Europe », tempère Birgit, une retraitée de 64 ans.
À la CDU, Merkel a réussi à évincer tous ses rivaux
« Depuis la Seconde Guerre mondiale, poursuit Michael Spreng, les Allemands n’aiment ni les expérimentations ni les bouleversements. Quand quelque chose marche bien, ils choisissent la stabilité. » Certains jugent quand même que les succès à répétition de la chancelière tiennent surtout au manque d’alternative politique. À la CDU, Merkel a réussi à évincer tous ses rivaux. « Ce n’est pas nouveau, rappelle Niedermayer. N’est-ce pas elle qui, en 1999, a fait tomber Helmut Kohl, son mentor, empêtré dans des scandales politico-financiers ? » Dans le camp d’en face, le SPD a bien du mal à lui opposer un concurrent qui fasse le poids. Ce ne sera sans doute pas le cas de Martin Schulz, son candidat, qui a multiplié les erreurs de communication et dont l’image est jugée trop austère. Et puis le thème principal de sa campagne, la justice sociale, ne séduit guère…
Le changement ou la sécurité ?
Les Allemands se retrouvent donc devant un choix restreint. Winfried, 64 ans, en est bien conscient. Tiraillé entre désir de changement et besoin de sécurité, il s’est résolu, par pragmatisme, à soutenir une nouvelle fois Merkel. « Je ne vois aucun autre parti capable d’assurer la continuité », commente-t‑il. Mais quatre mandats, n’est-ce pas excessif ? Il sourit : « Bien sûr, si je fais pendant seize ans le même travail, la routine risque de s’installer. Merkel n’aime pas la confrontation et pourrait être tentée de mettre certains thèmes controversés entre parenthèses. »
Pour ne pas heurter la puissante industrie automobile mise en cause dans des scandales à répétition, la chancelière a longtemps rechigné à taper du poing sur la table
La crise du diesel l’a bien montré. Pour ne pas heurter la puissante industrie automobile mise en cause dans des scandales à répétition, la chancelière a longtemps rechigné à taper du poing sur la table. Acculée, elle a fini par annoncer que la fin de ce type de motorisation était inéluctable, mais sans fixer d’échéance. « Elle n’a aucune vision à long terme et change sans cesse d’avis », objecte un opposant. Les exemples de cette versatilité sont légion : de l’arrêt du nucléaire au mariage homosexuel, auquel elle a longtemps été opposée avant de le faire légaliser par le Bundestag en juin tout en précisant qu’à titre personnel elle y restait hostile. « Ses adversaires estiment qu’elle n’a pas de principes, ce qui est vrai, analyse Niedermayer. Mais on peut aussi estimer que, plutôt que de nourrir pour l’avenir de grands desseins qui resteront sans suite, elle préfère se montrer souple, opportuniste, et prendre ses décisions au coup par coup. »
Quoi qu’il en soit, le parcours d’Angela continuera d’étonner et de fasciner partisans et adversaires. Mieux : si elle devient la première chancelière depuis Helmut Kohl à rester aussi longtemps au pouvoir, elle s’assurera une place dans les livres d’histoire.
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