Audrey Azoulay : « Ce que je veux pour l’Unesco »

Avant l’élection d’octobre, la candidate de la France au poste de directeur général de l’Unesco formule ses propositions pour revitaliser l’institution onusienne. Protection du patrimoine, restitution d’œuvres d’art, financement, communication… La tâche est immense.

L’ancienne ministre française de la Culture, à La Rotonde, à Paris, le 11 septembre. © Vincent Fournier/JA

L’ancienne ministre française de la Culture, à La Rotonde, à Paris, le 11 septembre. © Vincent Fournier/JA

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier CRETOIS Jules

Publié le 22 septembre 2017 Lecture : 6 minutes.

À peine arrivée, elle tend deux dépliants : son programme en arabe et en français. Audrey Azoulay, 45 ans, ministre de la Culture de François Hollande (de février 2016 à mai 2017) et fille d’André Azoulay, conseiller du roi Mohammed VI, est candidate au nom de la France au poste de directeur général de l’Unesco. Lors de cette élection, qui se tiendra courant octobre à Paris, cette énarque, mariée et mère de deux enfants, affrontera huit candidats. Parmi eux, quatre Arabes, persuadés qu’il est temps que l’un des leurs accède à cette fonction. De son côté, la Française d’origine marocaine met en avant sa double culture, ainsi que son savoir-faire en matière d’administration culturelle et scientifique. Outre son année au ministère, elle se prévaut de son expérience au Centre national du cinéma (CNC), où elle a occupé des fonctions de direction entre 2006 et 2011. Installée à La Rotonde, la brasserie du boulevard du Montparnasse où Emmanuel Macron avait fêté sa qualification au soir du premier tour de la présidentielle française et dont elle semble être une habituée, elle nous livre les grands axes de sa campagne.

Jeune Afrique : Qui a eu l’idée de votre candidature ?

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Audrey Azoulay : Des personnalités du monde culturel et scientifique. La décision a ensuite été prise, en mars, avec le ministre des Affaires étrangères et le président Hollande alors que j’étais encore ministre. La France a une longue histoire avec l’Unesco. Celle-ci se trouve à la croisée des chemins. Le moment est venu de nous impliquer.

Quelle expérience avez-vous de cette institution ?

Lorsque je travaillais au CNC, j’ai pu apprécier l’apport essentiel de la Convention de 2005 sur la diversité des expressions culturelles, qui protège la culture des lois du marché pures et dures et évite qu’elle ne se réduise à un commerce. Puis, en tant que ministre, je me suis particulièrement impliquée dans le dossier du patrimoine en danger, notamment en Afghanistan et au Mali. J’ai également participé à la préparation de la conférence d’Abou Dhabi qui, en décembre 2016, a débouché sur la création d’un fonds financier et d’un réseau de refuges destinés à sauvegarder de manière temporaire les biens culturels menacés par les conflits armés ou par le terrorisme. J’ai eu l’honneur de présenter une résolution à ce sujet en avril devant le Conseil de sécurité de l’ONU. J’ai aussi pu travailler avec l’Unesco sur la promotion des femmes dans le monde culturel ou sur des questions liées à la diversité culturelle, notamment dans le domaine du numérique.

Il ne m’appartient pas de donner le nom des pays qui nous soutiennent. Mais, à l’évidence, ma candidature est bien accueillie

S’agissant de protection du patrimoine, l’Unesco a-t-elle une réelle capacité d’action ?

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Elle n’a pas de pouvoir de coercition, mais elle n’est pas impuissante. Au contraire ! Elle mobilise les pays, éveille les consciences et pousse à agir. Elle intervient dans les actions de protection. Ensuite, grâce à son expertise, à la mobilisation de ses ressources et à son savoir-faire, elle peut contribuer directement à la reconstruction, comme cela a été le cas avec les manuscrits et les mausolées de Tombouctou.

Lors de son allocution à la conférence des ambassadeurs, le 29 août, le président Macron vous a soutenue timidement…

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Pas du tout ! Et ce n’était pas la première fois qu’il parlait de la candidature française. Il l’a fait au G7, puis au G20. J’ai pu apprécier le travail de nos ambassades, qui m’aident lors de mes déplacements. Le président facilite mes prises de contact avec les autres chefs d’État, il s’implique réellement. Il a écrit à un grand nombre de ses homologues pour soutenir ma candidature. J’accompagne Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, dans ses voyages. L’appui de la France est total.

Bénéficiez-vous d’autres soutiens ?

Il ne m’appartient pas de donner le nom des pays qui nous soutiennent. Mais, à l’évidence, ma candidature est bien accueillie.

Certains estiment que ce poste devrait revenir à un Arabe

La règle d’une alternance régionale n’existe pas, et je n’ai pas envie de m’engager dans ce débat, qui n’a guère de rapport avec les enjeux de l’Unesco. Je préfère parler du fond.

Quels sont les axes de votre programme ?

Je veux redonner à l’Unesco toute sa place. Marginalisée, elle a eu tendance à s’éloigner de ses missions fondamentales et des centres de décision. Il faut restaurer la confiance dans cette institution afin qu’elle rejoue un rôle moteur dans la gouvernance mondiale. Cela passe, entre autres, par le règlement de la question financière.

 L’Unesco est une institution à la fois éminemment politique et éminemment démocratique, puisque chaque pays y dispose d’une voix. Je suis très attachée à cette égalité et à cet universalisme.

Vous faites allusion au gel de la participation budgétaire des États-Unis et d’Israël depuis le passage de la Palestine du statut d’observateur à celui de membre à part entière en 2011. Comment gérer ces questions politiques ?

Le conflit israélo-palestinien n’est pas le seul foyer de tensions ! L’Unesco est une institution à la fois éminemment politique et éminemment démocratique, puisque chaque pays y dispose d’une voix. Je suis très attachée à cette égalité et à cet universalisme. Mais il y a une limite à ne pas franchir : l’instrumentalisation. Les différends bilatéraux ne doivent pas freiner l’action de l’Unesco. Au contraire, l’institution doit favoriser le dialogue et prévenir les conflits au lieu de les subir ou de les laisser s’exporter chez elle.

Le Bénin demande la restitution d’objets d’art exposés dans les musées français. De manière générale, comment vous positionnez-vous dans ce débat ?

C’est un débat très important, qu’il ne faut pas minorer. Des règles de droit international s’appliquent en la matière, et l’Unesco a d’ailleurs contribué à leur élaboration. Mais on ne peut pas s’en tenir à cela. Car ce qui est en jeu, c’est l’appropriation d’une histoire, d’une identité. Et on touche à un passé extrêmement douloureux s’agissant du Bénin, de l’Afrique en général comme de bien d’autres parties du monde. Certains pays, dont la France, ont engagé des actions de coopération scientifique et culturelle. Il faut travailler avec les institutions qui se créent sur le continent africain, encourager les recherches croisées et les prêts d’œuvre – y compris à long terme –, donner davantage de moyens à la recherche et faciliter l’accès au patrimoine afin que les artistes contemporains puissent s’en inspirer. On peut s’y atteler dès maintenant. Bref, cette question n’appelle pas une réponse binaire – restituer ou ne pas restituer. Au-delà de sa fonction normative, l’Unesco doit être facilitatrice et encourager tous ces types de coopération.

Son action n’est-elle pas méconnue ?

En effet, en matière de recherche scientifique, où l’institution a été pionnière, sur des questions cruciales pour l’Afrique comme le rapport de l’homme à la biosphère ou les ressources hydriques, son travail mériterait d’être mieux connu. On a trop tendance à s’enfermer dans un langage de spécialistes alors qu’il faudrait s’adresser aux sociétés civiles du monde entier de manière intelligible. L’Unesco doit s’ouvrir à tous, mieux communiquer.

J’ai été bercée par les muezzins comme par les cloches de Montparnasse et les chants des synagogues

Quelle est votre position sur les financements privés ?

Il faut déjà que les États reviennent autour de la table, afin de garantir l’universalité de l’action de l’Unesco. Ensuite, rien n’empêche que, dans le cadre d’actions d’intérêt général, on puisse recueillir des financements privés.

Votre deuxième pays, le Maroc, vous soutient-il ?

Ce n’est pas à moi qu’il revient d’exprimer la position d’États souverains dans leur choix, mais l’amitié entre nos pays n’est un secret pour personne. Pour ma part, je puise ma force dans mon histoire personnelle, dans ma relation au Maroc, au monde arabe et à l’Afrique. J’ai été bercée par les muezzins comme par les cloches de Montparnasse et les chants des synagogues. Je compte mettre cette diversité au service de mon action.

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