À la rencontre de Fousseyni Djikine, patron du restaurant BMK Paris-Bamako
Fousseyni Djikine, trentenaire d’origine malienne, a quitté son confortable poste de consultant pour lancer un resto à Paris. Solidaire, afro-chic, infusé à la culture, le lieu cartonne.
L’élégante devanture vert-bleu tranche dans cette ruelle parisienne où s’agglutinent salons de coiffure afro, agences de voyages low cost et supérettes exotiques zébrées de tags. Situé à deux pas de Château-d’Eau, le QG africain de la capitale, et d’artères devenues branchées, le restaurant BMK Paris-Bamako, ouvert en juillet, emprunte aux deux univers. Ce que résume bien le logo de l’établissement : un masque africain suffisamment stylisé pour évoquer une galerie d’art.
À l’intérieur de cette cantine chic sur laquelle veille un gigantesque portrait de Mandela, un jeune homme discret s’affaire derrière un comptoir. Baskets, tee-shirt sobre, barbe de trois nuits, il ponctue son salut d’un large sourire, tout en arrangeant la présentation d’un mafé végan (oui, oui, ça existe !). On comprend rapidement que ce serveur effacé est le patron du lieu. Fousseyni Djikine a 31 ans. Et a priori rien ne prédisposait ce garçon studieux, passé par une école de management à Grenoble, à verser du jus de bissap (maison) dans des verres customisés.
Un restaurant à succès
L’entrepreneur, dont le projet a été plusieurs fois salué (prix La Tribune BNP Paribas, Paris Initiative Entreprise…), commence par s’excuser de ne pas pouvoir servir plus rapidement. Les tables (25 couverts) ont été prises d’assaut. « On a été étonnés de la rapidité du succès… J’ai même demandé l’aide de mon petit frère pour le service. » La famille, d’origine malienne, n’est jamais loin de l’assiette. Son père, qui a immigré en France en 1973, a commencé comme plongeur au restaurant créole La Rhumerie, dans le centre de Paris, avant d’en devenir le gérant. Sa mère, elle, a longtemps travaillé dans des cantines scolaires… Aujourd’hui, elle met la main à la pâte dans l’arrière-cuisine de BMK Paris-Bamako.
Pourtant, les parents ont mis du temps à accepter le projet de leur rejeton. « Ma carrière était toute tracée, sourit Fousseyni. J’ai décroché un poste de consultant chez Accenture en 2010. Quand six ans plus tard j’ai dit à mon père que je voulais tout arrêter pour faire comme lui, il n’a pas compris. Pour lui, la restauration, avec ses horaires lourds, ses problèmes liés aux fournisseurs, ne pouvait pas être un choix. »
Pourquoi le jeune cadre a-t-il décidé de troquer le col blanc pour un tablier en jean, un salaire régulier pour des fins de mois hasardeuses ? « J’ai toujours suivi le souhait de mes parents, puis une voie confortable. À 30 ans, je me suis dit : “Si tu ne prends pas le risque de tout plaquer maintenant, tu ne le feras jamais.” » Cet ambitieux raisonnable voulait être son propre patron et imagine aujourd’hui créer deux autres adresses à Paris d’ici à deux ans. La cuisine s’est naturellement imposée à lui, qui passait beaucoup de temps avec sa mère près des casseroles et qui continue aujourd’hui de mitonner pour sa compagne de délicats crumbles de légumes confits sauce tamarin.
Son but est de faire découvrir l’Afrique
Mais il n’aurait pas tenté l’aventure si elle n’avait pas eu un sens plus profond. « J’ai été marqué par un ouvrage de la géographe Sylvie Brunel [L’Afrique est-elle si bien partie ?, Éditions Sciences humaines] qui, pour une fois, ne porte pas de regard fataliste sur le continent et estime que des leviers de croissance existent. Je suis convaincu que l’on a un patrimoine d’une extraordinaire richesse, dont la gastronomie fait partie, mais qu’on ne sait pas le valoriser. »
Plus qu’un restaurant, BMK Paris-Bamako est donc une fenêtre ouverte sur les trésors méconnus ou mésestimés de l’Afrique. Un coin épicerie fine propose sur des rayonnages de l’huile vierge d’avocat du Kenya ou du jus de fleurs d’hibiscus. Parmi d’autres auteurs du continent, Amadou Hampâté Bâ apparaît sur des étagères réservées aux livres. Le site internet (bmkparis.squarespace.com) poursuit l’exploration en répertoriant des contes et des témoignages d’enfances africaines, en plus de recettes de cuisine.
Contribuer au développement du continent
Le jeune homme a créé également, en janvier, une plantation d’arbres fruitiers à Gabou, le village de son père, près de Kayes, dans l’ouest du Mali. « Il y avait des champs à perte de vue, un sol riche, mais rien n’était planté… Je passe peut-être pour un “fada” de Français, mais nous finirons par prouver qu’il y a un vrai potentiel commercial. »
Avec son restaurant, ce Parisien pur jus, né dans la capitale, s’est finalement reconstruit un Mali miniature, un deuxième foyer où plonger ses racines. Il avait 10 ans lorsqu’il s’est rendu pour la première fois à Gabou. Et se souvient encore de son émotion quand il a pu mettre des images sur ce village tant de fois raconté par son père. « La douche à l’eau froide, l’assiette dans laquelle on mange à dix, les mains dans le plat, ça ne nous faisait pas peur, nous étions préparés, explique le jeune homme, qui a appris à parler bambara et soninké. Nos parents ont fait en sorte que nous soyons intégrés à la société française sans perdre de vue notre héritage. »
Chaque fois qu’il parle de son projet, le jeune patron finit par évoquer ses parents. « Ils nous ont tellement donné, ils ont fait tellement de sacrifices. Maintenant que j’ai l’occasion de leur rendre un peu en contribuant au développement économique de l’Afrique, je dois le faire. »
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