Jean-Marc Leccia : « Eurapharma va créer plus de valeur ajoutée au niveau local »
La filiale du géant CFAO vient de racheter 51 % du laboratoire marocain Maphar. Le distributeur se renforce ainsi dans le secteur de la production de médicaments.
Les laboratoires face aux trafics de faux médicaments
Alors que la législation fait souvent défaut, les faux produits pharmaceutiques prolifèrent sur les marchés du continent, au grand dam des fabricants, souvent démunis devant l’ampleur du phénomène.
Ajouter la fabrication à la distribution, c’est la stratégie menée désormais par le groupe CFAO pour toutes ses activités. La filiale, détenue à 100 % par le japonais Toyota Tsusho Corporation (TTC), s’est associée à Heineken pour monter l’usine Brassivoire à Abidjan en avril. Au Nigeria, le distributeur a inauguré, en mai 2016, une usine de deux-roues avec Yamaha.
Un mouvement qui implique aussi sa division santé, Eurapharma (1,25 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2016). Ce grossiste-répartiteur pharmaceutique présent dans 23 pays africains a acquis en juin 51 % du fabricant marocain Maphar (1,29 milliard de dirhams de chiffre d’affaires en 2016, soit 120,48 millions d’euros), auparavant détenu à 100 % par le laboratoire Sanofi. Et comme avec Heineken ou Yamaha, il s’est associé à un acteur de classe mondiale. Mais Eurapharma compte bien remonter toute la chaîne de valeurs. Jean-Marc Leccia, son président-directeur général depuis 2012, nous en dit plus.
Jeune Afrique : En juin, Eurapharma a acquis 51 % du capital du laboratoire Maphar. À quelle logique répond cette reprise ?
Jean-Marc Leccia : Maphar a cet avantage d’être à la fois importateur, distributeur et fabricant. Il produit majoritairement pour Sanofi, mais également pour un nombre important d’autres laboratoires pharmaceutiques. C’est ce business model qui nous a intéressés.
Maphar offre une porte d’entrée alternative sur le marché marocain. Pour distribuer des produits dans le royaume, il est en effet nécessaire de les enregistrer auprès des autorités de tutelle via un laboratoire local. Mais certains laboratoires pouvaient être réticents à confier à Maphar, filiale de Sanofi, leur autorisation de mise sur le marché. Ils auront désormais affaire à un nouvel actionnaire majoritaire, Eurapharma, neutre commercialement et qu’ils connaissent déjà. Notre entrée dans Maphar créera donc un appel d’air.
Par ailleurs, le Maroc se dirige de plus en plus vers un modèle de santé familiale axé sur la parapharmacie, où le prescripteur n’est plus forcément le médecin, et où les liens entre le fabricant et l’officine seront renforcés.
Nous avions depuis longtemps des ambitions sur le marché marocain, mais il nous était impossible de les réaliser seuls
De quelle manière Eurapharma intègre-t-il Maphar à son développement ?
L’usine de Maphar a de grandes capacités de production, avec un chiffre d’affaires qui pourrait progresser rapidement. Sanofi restera le premier client de Maphar. Notre objectif est de devenir un hub qui attire de plus en plus de laboratoires sur le site de production et de nous servir du réseau d’Eurapharma en relation avec des milliers d’officines en Afrique pour distribuer leurs produits. Les médicaments produits par Maphar devaient auparavant repasser par la France pour être ensuite distribués au sud du Sahara. Nous avions depuis longtemps des ambitions sur le marché marocain, mais il nous était impossible de les réaliser seuls en tant que répartiteur pharmaceutique, compte tenu du paysage concurrentiel…
Votre partenariat avec Sanofi ira-t-il plus loin ?
Notre accord est aussi synonyme d’un renforcement du partenariat entre Sanofi, qui apporte son expertise industrielle, et Eurapharma, dont l’expertise logistique n’est plus à démontrer. Depuis le 1er juillet, la distribution exclusive de tous les produits Sanofi dans 35 pays d’Afrique a été confiée à notre filiale E.P. Dis, basée dans la banlieue de Rouen. À long terme, le Maroc reste un pays stratégique pour Sanofi, et comme nous avons une communauté d’intérêts, nous partagerons avec eux toutes les grandes décisions de l’entreprise.
Votre opération ne se fait-elle pas dans un environnement défavorable au Maroc ?
Il y a eu en effet une baisse des prix. Quand un pays n’arrive pas à faire diminuer la consommation en unités, il baisse le prix. Cela n’est pas exceptionnel, on l’a vu dans tous les pays où existe une problématique de financement d’une sécurité sociale. Cela fait que le Maroc est un marché moins dynamique qu’il ne l’a été. Cependant, notre potentiel de progression ne passera pas essentiellement par la croissance organique des laboratoires, mais par la captation de nouveaux laboratoires clients. Ainsi, nous pourrons évoluer de 10 % à 20 % sur un marché qui n’évolue que de 2 % à 3 %.
Est-ce la contraction de vos activités en Algérie qui vous a décidés à vous implanter au Maroc ?
L’imposition du tarif de référence (TR) en Algérie s’est traduite par une baisse des prix. Pour le même nombre de boîtes vendues, le chiffre d’affaires a diminué mécaniquement. Aussi, depuis 2012, des pans entiers de produits ont été interdits d’importation du jour au lendemain. Cela nous a poussés à y développer une activité de production dès la fin de 2011, avec l’idée que ce qui ne sera plus importé sera produit localement. Jusqu’en juin, notre activité au Maghreb ne se résumait qu’à l’Algérie. Les clients de Maphar au Maroc peuvent être intéressés par nos activités de production et de distribution en Algérie, et inversement. Ils auront ainsi un partenaire unique pour les deux pays, et il nous sera plus facile de communiquer avec des laboratoires qui ont souvent un management pour toute la zone Maghreb.
Mis à part la Centrafrique, le Burundi et le Rwanda, notre maillage est assez complet
Envisagez-vous le rachat d’autres réseaux de distribution en Afrique subsaharienne ?
Nous ne sommes pas dans une démarche de recherche active. Nous sommes toujours en observation sur la RD Congo, mais c’est un marché compliqué, avec des droits de douane importants sur les médicaments et où il est difficile d’être compétitif. Mis à part la Centrafrique, le Burundi et le Rwanda, notre maillage est assez complet. Par ailleurs, nous avons démarré nos activités en Zambie cette année.
Vous amorcez donc un repositionnement plus important de vos activités de distribution vers plus de production ?
Dans le contexte actuel d’industrialisation de l’Afrique, en lien avec la stratégie globale de CFAO, nous sommes convaincus qu’il faut créer plus de valeur ajoutée au niveau local. L’Afrique ne peut plus vivre majoritairement d’importations. Nous ne pourrons pas avoir une usine dans chaque pays, mais certains d’entre eux ont du potentiel et nous ne pourrons plus avoir un simple rôle de distributeur de médicaments. Nous comptons ainsi remonter dans la chaîne de valeurs par rapport à nos métiers historiques d’importation et de distribution. Nous étudions donc les opportunités de développement de sites de production. Le Nigeria pourrait faire partie des cibles potentielles, mais toutes les bonnes conditions n’y sont pas réunies – problèmes d’accès à l’eau, à l’électricité, questions de sécurité…
CFAO a reçu, en mars, tous les actifs africains de TTC. Cela vous permettra-t-il un plus large déploiement en Afrique anglophone et lusophone ?
Aujourd’hui, il y a peu de synergies entre Eurapharma et TTC, chez qui l’activité santé était jusque-là peu développée. CFAO est présent dans 53 pays d’Afrique. Quand nous avons voulu faire une entrée sur le marché du Ghana, je me suis adressé à mon collègue de la distribution automobile de CFAO. Chacune des branches du groupe constitue un support indéniable en matière de relations avec des acteurs économiques et de connaissance de marché.
À la différence des pays francophones, où la distribution est administrée, le système est libéralisé dans les pays anglophones. Quels sont pour vous les avantages et les inconvénients de ces deux organisations ?
La part de marché en Afrique francophone est simple, tous les distributeurs ont accès aux mêmes produits. La croissance de notre activité y est prédictible car les prix sont fixés par les autorités de tutelle. Notre croissance en Afrique anglophone dépend cependant du nombre de laboratoires qui nous appointent comme agent. Ce sont des marchés beaucoup plus atomisés avec de plus nombreux opérateurs.
N’envisagez-vous pas des synergies plus grandes avec vos activités retail en Afrique francophone ?
Pas tant que le commerce de médicaments sera réservé à des officines. On pourra favoriser l’implantation de nos clients dans nos centres commerciaux, mais on ne vendra pas de médicaments sur les étagères de Carrefour. Dans le cadre de l’enrichissement de notre chaîne de valeurs, en aval, il pourrait y avoir une tentative de gérer des officines. Même si, pour l’instant, la loi ne le permet pas, c’est un prolongement naturel auquel nous réfléchissons.
Quels médicaments feront votre croissance dans le futur ?
Notre évolution suivra celle des maladies chroniques, alors que notre activité était portée jusque-là par les maladies contagieuses. Les maladies chroniques représenteront 50 % des pathologies d’ici à 2020, contre moins de 20 % il y a vingt ans. Par exemple, on vend beaucoup plus d’antidiabétiques à présent, et c’est aussi parce que le pouvoir d’achat a augmenté. Un plus grand nombre de personnes ont accès aux soins. Malheureusement, les traitements pour les maladies chroniques sont chers et un peu plus thermosensibles. En assurer la conservation représente un véritable challenge en matière de logistique.
Cette évolution des pathologies pourrait-elle vous amener à rentrer dans le capital de cliniques ?
Comme le paysage des pathologies est en train de changer, nous devrons nous rapprocher de tout ce qui environne le patient : les maisons de soins, les maisons médicalisées… Après avoir ouvert, en décembre 2016, un premier centre de diagnostic médical Euracare à Lagos, au Nigeria, nous en avons ouvert un second à Accra début septembre, avec le leader mondial de la téléinterprétation Teleradiology Solutions (TRS). Nous nous sommes rendu compte que le tourisme médical au Nigeria équivalait à environ 1 milliard de dollars par an, dont 40 % de diagnostic. Quatre à six heures après le scanner, un médecin basé aux États-Unis ou à Singapour peut aujourd’hui interpréter des images réalisées sur le continent. Notre solution coûte presque dix fois moins cher que de se rendre à l’étranger.
Pierre Labbé prend la tête du pôle Maghreb
Un pôle Maghreb a été créé le 1er juillet au sein d’Eurapharma pour unifier la gestion de ses deux filiales : Maphar au Maroc et Propharmal en Algérie, acquise en 2011. Le poste de directeur du pôle échoit à Pierre Labbé. Un retour chez CFAO pour cet ingénieur qui était depuis 2012 directeur général de Sanofi Algérie. Après avoir été directeur général d’Unilever en Tunisie entre 2000 et 2003, Pierre Labbé a dirigé Ibn Sina Laborex, alors filiale égyptienne d’Eurapharma, puis Bavaria Motors et Diamal, les deux filiales algériennes de distribution automobile de CFAO.
La concurrence réagit
Distributeur présent en Afrique depuis quarante ans, Piex (80 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016, dont près de 50 % en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Cameroun) change de mains. Début septembre, la société LBO France a annoncé l’acquisition du capital de cette entreprise. L’actionnaire devrait l’aider à se développer sur de nouveaux marchés, notamment africains. Fin 2016, Ubipharm, principal concurrent d’Eurapharma, avait aussi noué un accord avec le fonds Phoenix Capital Management pour s’étendre sur le continent, notamment en Guinée, en Mauritanie, à Madagascar, à Djibouti et dans les pays anglophones.
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