Diplomatie : le nouveau visage de la Chinafrique

Les relations sino-africaines entrent dans une nouvelle ère : après la diplomatie économique, la politique reprend ses droits.

Le 11 mai, à Nairobi, une enseignante portant le costume chinois. © Sun Ruibo/XINHUA-REA

Le 11 mai, à Nairobi, une enseignante portant le costume chinois. © Sun Ruibo/XINHUA-REA

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Publié le 28 septembre 2017 Lecture : 6 minutes.

Le 11 mai, à Nairobi, une enseignante portant le costume chinois. © Sun Ruibo/XINHUA-REA
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Quoi de neuf en Chinafrique ?

Entre l’empire du Milieu et le continent africain, les relations ne s’envisagent plus seulement sous l’angle économique.

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«Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », disait au super-héros Spider-Man son oncle mourant. C’est un peu l’idée que se fait l’empire du Milieu de sa diplomatie. À travers six épisodes de 45 minutes diffusés en Chine en août, cette dernière a été détaillée par le menu. Le leader Xi Jinping y est dépeint comme l’apôtre d’un nouvel ordre mondial, « l’envoyé de Dieu », selon Robert Mugabe, lequel apparaît dans ce documentaire.

Premier investisseur en Afrique en 2016 avec 36,1 milliards de dollars (30 milliards d’euros) engagés, porteur du projet pharaonique de la nouvelle route de la soie (One Belt One Road), incluant en partie l’Afrique de l’Est, la Chine veut désormais s’imposer sur le terrain diplomatique. Avec un double objectif : conforter ses positions commerciales et diffuser le « rêve chinois » du président Xi Jinping.

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Soutenu par les deux piliers qui régissent sa politique étrangère depuis la fin des années 1940, à savoir la reconnaissance d’une « Chine unique » – l’abandon des relations avec Taïwan est un préalable à toute coopération – et la non-ingérence, le soft power chinois censé équilibrer depuis dix ans sa puissance économique et militaire gagne du terrain. Cette nouvelle stratégie lui aurait coûté la bagatelle de 10 milliards de dollars, a estimé David Shambaugh, professeur à l’université George-Washington et auteur notamment de China’s Future.

Un magazine sur les relations entre la Chine et le continent africain

Pékin a déjà gagné sa bataille contre Taïwan. Le Burkina Faso et le Swaziland sont les deux derniers pays africains à reconnaître Taipei. En décembre, São Tomé-et-Príncipe rompait ainsi avec son vieil allié. « Une option géostratégique qui s’inscrit dans une vision plus large et cohérente de nos intérêts, de nos besoins réels de développement », explique le Premier ministre santoméen, Patrice Trovoada. Côté ingérence, les diplomates chinois spécialisés sur l’Afrique ne nient pas les difficultés auxquelles ils sont parfois confrontés en raison de la situation politique (citant pêle-mêle l’Algérie, l’Angola ou la RD Congo), ils « n’interviennent pas car cela n’est dans l’intérêt de personne », affirme l’un d’eux. Tout en assurant : « Mais nous rencontrons tout le monde : pouvoir, grands partis d’opposition et certains représentants de la société civile. » Une position qui a parfois ses limites. Lorsqu’une trentaine de salariés chinois ont été arrêtés en juin en Tanzanie, soupçonnés d’extraire illégalement du cuivre, Pékin est aussitôt intervenu, rappelant d’abord que les autorités sont vigilantes quant au respect des règles locales par ses ressortissants, mais s’inquiétant officiellement du manque de preuves ayant conduit à cette arrestation.

Car le dragon se soucie aussi de son image, et ce depuis longtemps. Peu enclin à communiquer, le géant asiatique y a pourtant travaillé minutieusement. D’abord en développant sa presse internationale. Lancé en 1988, le magazine Chinafrique est édité par le groupe de presse en langue étrangère le plus important du pays, le China International Publishing Group (CIPG publie 50 journaux en dix langues et 3 000 livres par an). Distribué en Chine et en Afrique, ce mensuel qui cible avant tout les milieux d’affaires impliqués dans la coopération sino-africaine a ouvert un bureau en Afrique du Sud et engagé une collaboration avec le quotidien sénégalais Le Soleil. Le gouvernement se repose également sur son agence de presse Xinhua, dont le nombre de bureaux devrait atteindre 200 dans le monde d’ici à 2020.

Échanges culturels

Les instituts Confucius servent aussi cet objectif. Les 48 établissements présents en Afrique distillent l’idéologie chinoise et proposent des cours de mandarin. De même, la Chine distribue massivement des bourses aux étudiants africains. Les chercheurs Victoria Breeze et Nathan Moore de l’université d’État du Michigan, ont estimé que pour l’année 2014 le nombre d’étudiants africains en Chine a surpassé le nombre d’étudiants africains aux États-Unis et en Angleterre (la France restant en tête). Dix mille en 2015, ils devraient être 18 000 en 2018. De plus en plus de jeunes actifs sur le continent parlent aujourd’hui le mandarin, un atout indéniable pour trouver un emploi.

La Chine est même citée comme le deuxième modèle de développement à suivre, derrière les États-Unis

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Finalement, l’empire du Milieu bénéficie d’une cote de popularité confortable en Afrique. Selon un sondage réalisé par Afrobaromètre sur 36 pays, 63 % des Africains ont une perception positive de son influence ; ils sont 59 % selon une autre étude de l’agence Pew. La Chine est même citée comme le deuxième modèle de développement à suivre, derrière les États-Unis. « Les relations sino-africaines vont continuer à se développer, l’avenir est prometteur », s’enthousiasme Franck Desevedavy, avocat associé du cabinet Asiallians, basé à Pékin. Lui qui accompagne de nombreux investisseurs chinois sur le continent confirme néanmoins un changement de paradigme dans les relations économiques.

Pour plusieurs chercheurs, la Chine pourrait en effet connaître ce que les Occidentaux ont éprouvé dans les années 1970 : des difficultés à se faire rembourser les dettes contractées par les pays africains. Les grands projets d’infrastructures qui ont mobilisé des dizaines de milliards de dollars sous forme de prêts pourraient ne pas se révéler aussi rentables qu’attendu. « En moyenne, on estime la dette africaine vis-à-vis de la Chine de l’ordre de 5 %, c’est considérable », constate Thierry Pairault, directeur de recherche au CNRS. Une situation d’autant plus visible avec la crise des matières premières que vit actuellement un certain nombre de pays. En Angola comme en Algérie, dont les finances dépendent presque exclusivement des revenus des hydrocarbures, les projets sont suspendus, voire annulés.

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La Chine investit sur le continent africain

Si les grandes entreprises publiques portées par les prêts bonifiés de l’État chinois pourraient voir leur activité faiblir, il en faudra plus pour décourager les entreprises privées. Elles seraient déjà 9 000 sur le continent, majoritairement des PME originaires des provinces de Zhejiang et du Fujian. Elles pénètrent des secteurs aussi variés que la manufacture, l’agriculture, la banque, les assurances, les télécoms, le logement, le transport et la logistique. Le 10 septembre, Huajian Group a par exemple signé avec le Rwanda un accord portant sur l’implantation d’une gigantesque usine de production de chaussures, de vêtements, de sacs, mais aussi d’équipements électroniques. Coût de l’opération sur dix ans : 1 million de dollars. Et 20 000 emplois à la clé.

Les partenariats sont de plus en plus nombreux, y compris avec les établissements financiers du continent

Le ralentissement – relatif – de la croissance en Chine (6,5 % prévu en 2017 contre 14,2 % dix ans plus tôt) pousse les entreprises à s’exporter. Et les taux de rentabilité en Afrique sont très alléchants : selon le cabinet McKinsey, certaines amortissent leurs investissements en moins d’un an. Les profits du secteur privé chinois en Afrique pourraient atteindre 440 milliards de dollars en 2025. Jack Ma, le milliardaire et fondateur du site de vente en ligne Alibaba, ne s’y est pas trompé, et compte lancer prochainement ses activités en Afrique du Sud, où il s’est rendu en juillet. Autre phénomène, la collaboration entre les compagnies chinoises et d’autres sociétés étrangères. Les partenariats sont de plus en plus nombreux, y compris avec les établissements financiers du continent. La tour Rabat-Salé (qui sera la plus haute d’Afrique avec 250 mètres) en est un exemple : porté par le milliardaire marocain Othman Benjelloun, le projet est financé par son établissement BMCE Bank, mais la maîtrise d’ouvrage a été confiée à la China Railway Construction Corporation International, ainsi qu’aux Marocains de TGCC. À Kribi, au Cameroun, la CHEC n’a pas hésité à s’allier au Français Bolloré pour la réalisation et la concession du port. En Égypte, selon nos informations, des investisseurs chinois étudient la possibilité de recourir à la finance islamique.

Après avoir voulu s’imposer militairement dans les années 1960, puis avoir usé de sa puissance financière ces vingt-cinq dernières années, la Chine, qui a su apprendre de ses erreurs initiales, veut aujourd’hui consolider ses relations « par le résultat, en aidant l’Afrique à se développer », confie une source diplomatique chinoise. Le départ d’une nouvelle saison dans la désormais célèbre série « Chinafrique ».

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