Nigeria : Nnamdi Kanu, le nouveau « roi » du Biafra
Considéré par nombre d’Igbos comme un demi-dieu, le chef indépendantiste Nnamdi Kanu exige un référendum d’autodétermination. Faisant resurgir le spectre de la guerre civile.
Cinquante ans après le déclenchement de la guerre du Biafra, jamais la cause indépendantiste n’avait autant fait parler d’elle. Ces derniers mois, elle s’est même trouvé un nouveau leader en la personne de Nnamdi Kanu – un homme que le gouvernement fédéral a, bien malgré lui, contribué à rendre populaire.
Kanu affirme qu’il est assiégé dans sa résidence d’Umuahia, l’ex-capitale du Biafra, cette région du sud-est du Nigeria qui fit sécession à la fin des années 1960, et que le chef de l’État fédéral, Muhammadu Buhari, a tenté de le faire assassiner le 11 septembre. Ce jour-là, l’armée aurait attaqué son domicile, tuant quinze de ses partisans.
Si nous n’obtenons pas la création du Biafra, tout le monde devra mourir
Pourtant, lorsqu’il lance Radio Biafra depuis Londres en 2009, il n’a encore que peu d’influence. Mais progressivement son discours se radicalise, et son audience augmente. Au point qu’en septembre 2015 il n’hésite pas à agiter le spectre de la guerre. Invité à s’exprimer lors d’un congrès igbo organisé en Californie, Nnamdi Kanu déclare : « Nous avons besoin d’armes et de balles. Si nous n’obtenons pas la création du Biafra, tout le monde devra mourir. »
Sa montée en puissance, Kanu la doit en grande partie au régime de Buhari, qui en a fait un héros en l’embastillant à Abuja, la capitale fédérale (il y a été détenu pendant dix-huit mois sans jugement). Les Igbos se sont mobilisés pour obtenir sa libération, mais les manifestations ont été réprimées avec férocité. Selon Amnesty International, plus de 150 de ses sympathisants ont été tués par les forces de l’ordre en 2016.
Depuis sa détention, il est perçu comme un demi-dieu par beaucoup de gens
Libéré sous caution en avril 2017, juste avant le 50e anniversaire de la déclaration d’indépendance du Biafra, Nnamdi Kanu a interdiction de parler à la presse, mais multiplie les interviews. Il affirme notamment qu’aucune élection n’aura lieu « au Biafra » tant qu’un référendum sur l’indépendance n’aura pas été organisé. Un combat qui séduit nombre d’Igbos, surtout parmi les jeunes, qui n’ont pas connu les ravages de la guerre civile et de la famine qui l’a accompagnée (près de 1 million de morts entre 1967 et 1970).
« Depuis sa détention, il est perçu comme un demi-dieu par beaucoup de gens », confirme Emeka Ugwu, haut fonctionnaire à Enugu (Sud-Est). Portant beau et parlant un anglais châtié, Kanu est un chef charismatique. « Il est rapidement devenu le boss de la prison, estime un dignitaire igbo lui ayant rendu visite pendant son incarcération. C’est lui qui procédait aux arbitrages. »
Cadeau médiatique
Jusqu’alors très divisés, les Igbos manquaient de leaders médiatiques. Or Kanu leur rappelle Emeka Ojukwu, le colonel qui a déclaré l’indépendance du Biafra. Diplômé d’Oxford, issu d’une famille fortunée et influente, Ojukwu en imposait, lui aussi, par son charisme et sa maîtrise de l’anglais. Mais Kanu n’est pas un militaire. Il se revendique plutôt comme un « chef spirituel » : il affirme que les Igbos sont une tribu perdue d’Israël, qu’ils sont persécutés par un Buhari qui voudrait islamiser le pays et que le Biafra est « la terre promise ».
Une vision sans doute manichéenne, mais le régime actuel n’a rien fait pour rassurer les Igbos. Depuis son élection en 2015, Buhari s’est bien gardé de mettre les pieds dans le Sud, une « région hostile », à l’en croire, qui a majoritairement voté pour son rival, Goodluck Jonathan. Surnommé le président du Nord, Buhari ne s’est même jamais rendu en visite officielle à Lagos.
Plus inquiétant encore : l’Arewa Youth, un mouvement des jeunes du Nord, a adressé en juin un ultimatum aux Igbos : ils ont été sommés de quitter la partie septentrionale du Nigeria avant le 1er octobre. Depuis, l’Arewa est revenu sur ses positions, mais la tension reste forte. « En 1967, la déclaration d’indépendance du Biafra avait suivi des pogroms anti-Igbos dans le Nord, rappelle Chioma Uche, universitaire à Lagos. Faisons tout pour que l’Histoire ne se répète pas. »
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