Comment la Centrafrique est devenue un État failli

Dans son essai intitulé « Oubangui-Chari, le pays qui n’existait pas », le journaliste français Jean-Pierre Tuquoi revient sur l’histoire tourmentée de la nation centrafricaine, ballotté depuis des années d’un coup d’État à un autre.

Des Casques bleus protègent des musulmans à l’entrée de la mosquée centrale de Bangui, le 30 novembre 2015. © Jerome Delay/AP/SIPA

Des Casques bleus protègent des musulmans à l’entrée de la mosquée centrale de Bangui, le 30 novembre 2015. © Jerome Delay/AP/SIPA

CRETOIS Jules

Publié le 29 septembre 2017 Lecture : 3 minutes.

«Personne n’en parle. C’est ce qui m’a motivé pour écrire ce livre », confie Jean-Pierre Tuquoi à propos d’Oubangui-Chari, le pays qui n’existait pas, qu’il vient de publier. Et en effet, la littérature sur la Centrafrique – anciennement Oubangui-Chari – est bien pauvre, en dehors de quelques textes destinés aux spécialistes.

Tuquoi s’est concentré sur l’histoire contemporaine de la Centrafrique. Balayant rapidement la période précoloniale, il insiste sur le moment de la décolonisation et les premières décennies de l’indépendance. Les événements les plus récents, notamment la guerre de 2013-2014, sont abordés avec moins de précision. « C’est la période la plus traitée dans la presse », explique le journaliste. L’actualité est cependant mise en lumière par les chapitres précédents, et c’est là l’un des principaux intérêts du livre.

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L’analyse du passé permet de comprendre, par exemple, à quel point l’État centrafricain, qui fait face à de multiples groupes armés, est aujourd’hui un État failli, sans prise réelle sur le pays, son administration ravagée par des décennies d’incurie. Jusqu’à la veille de la guerre civile, « dans le marigot des conseillers occultes, c’est à qui vendra l’idée la plus folle au chef de l’État ». La corruption – y compris celle des mœurs, dans ce cas précis – a touché jusqu’à l’Église, qui a perdu sa légitimité de conciliatrice à l’orée du conflit. Cette catastrophe trouve son origine dans l’« orgie de concessions » qu’explique un chapitre précédent.

Un pays instable

Tuquoi y raconte comment cette région précise de l’Afrique a été « privatisée », la France n’ayant pas les moyens de « mettre en valeur la colonie ». Dès 1899, l’Oubangui est en effet découpé et littéralement distribué à des groupes comme la Compagnie des sultanats du Haut-Oubangui ou la Bretonne du Congo. Les compagnies concessionnaires n’ont pas d’états d’âme. La Centrafrique est d’abord une réserve de caoutchouc et d’ivoire dont les habitants sont réduits dans de très larges proportions à la condition de porteurs, mutilés lorsqu’ils se rebellent ou se montrent trop lents.

La prise du pouvoir par les armes est une habitude qui s’explique aussi par l’Histoire : lorsque Michel Djotodia se lance dans la guerre contre François Bozizé, il s’attaque à un homme qui a ravi la présidence à Ange-Félix Patassé par la force, les deux ayant ensemble essayé de renverser André Kolingba, qui était devenu dirigeant grâce à un coup d’État contre David Dacko… Et l’on pourrait continuer longtemps ainsi.

Un livre dont les plus belles pages sont sans doute celles consacrées à l’abbé Barthélemy Boganda. © AFP

Un livre dont les plus belles pages sont sans doute celles consacrées à l’abbé Barthélemy Boganda. © AFP

L’essai – « il m’a demandé beaucoup, beaucoup de travail », glisse l’auteur – n’est pas à proprement parler ce qu’il appelle lui-même « un livre de journaliste ». On ressent à sa lecture la profonde influence du magistral Congo, une histoire, de David Van Reybrouck (Actes Sud, 2012), et Tuquoi concède avoir eu cette lecture à l’esprit lors de la rédaction de son livre.

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Le passé centrafricain

Un livre dont les plus belles pages sont sans doute celles consacrées à l’abbé Barthélemy Boganda. Prêtre indigène – il prend vite ses distances avec le clergé en poste dans les colonies –, il devient parlementaire lorsque la France ouvre l’Assemblée aux natifs du pays. Évoluant vers l’anticolonialisme radical sans jamais devenir communiste, il bataille souvent seul, soutenu par un peuple qui voit en lui un véritable héros. Premier président d’une Centrafrique qui n’est pas encore entièrement décolonisée, il offre au pays un drapeau et un hymne avant de décéder dans un accident d’avion, en 1959.

La mémoire oubliée de Boganda et le récit national que restitue Tuquoi nourrissent paradoxalement l’espoir

Si Jean-Bedel Bokassa, le président putschiste qui se fait sacrer empereur, est bien un artisan majeur de la Centrafrique moderne et appartient pleinement à l’histoire du pays, cette dernière ne saurait se réduire aux fantasmes sur ce tyran ubuesque dont le règne violent est bien documenté. Là encore, le passé nourrit l’avenir. La mémoire oubliée de Boganda et le récit national que restitue Tuquoi nourrissent paradoxalement l’espoir : au beau milieu de temps ténébreux, il se trouve toujours des figures pour apparaître et changer le cours de l’Histoire.

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