Gabon : Pierre-Claver Maganga Moussavou, la politique, une affaire de famille

Le nouveau vice-président, Pierre-Claver Maganga Moussavou, ne conçoit pas son parcours en homme seul. Chez lui, le pouvoir est une passion qui concerne tout le clan.

Pierre-Claver Maganga Moussavou à Paris le 27 juillet 2016. © V. Fournier/JA

Pierre-Claver Maganga Moussavou à Paris le 27 juillet 2016. © V. Fournier/JA

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 5 octobre 2017 Lecture : 6 minutes.

Pierre-Claver Maganga Moussavou est un vieux routier de la politique gabonaise. La jeune femme qui, ce jour-là, l’accueille alors qu’il est venu acquitter une facture de téléphone portable le reconnaît aussitôt. Ils échangent quelques amabilités. Elle lui confie connaître aussi son fils Biendi Maganga Moussavou, actuel ministre de la Promotion des petites et moyennes entreprises. Pierre-Claver Maganga Moussavou lâche un « il les lui faut toutes ! » lourd de sous-entendus mais empli de fierté.

Un fils ministre, une mère présidente de parti

Il est comme ça, Maganga Moussavou. Quand il s’agit de sa famille, il n’hésite pas à donner dans l’exagération. À travers son ministre de fils, il se revoit des années en arrière, à l’époque de la création du Parti social-démocrate (PSD, fondé en 1990), même si Biendi a déjà l’échine plus souple que lui au même âge.

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Le jeune homme se meut dans le Libreville politique avec l’aisance du courtisan ambitieux porté par cette passion congénitale pour le pouvoir. Car chez les Maganga Moussavou, la politique est une affaire de famille.

Albertine, la mère de Biendi, ne préside-t‑elle pas le groupe des Démocrates réunissant les élus indépendants et PSD à l’Assemblée nationale ? Connue pour ses talents d’oratrice, elle a étrillé plus d’un membre du gouvernement.

Jamais avare de superlatifs, son époux aime parler d’elle comme de « la députée la plus en vue » du moment, et on doit bien reconnaître que cette grande estime qu’il a de lui-même et des siens a été le carburant de sa carrière. Cela lui a même plutôt réussi puisque, le 21 août, Ali Bongo Ondimba l’a fait vice-président de la République.

Tantôt ministre, tantôt opposant

Après avoir échoué à conquérir la magistrature suprême à quatre reprises (1993, 1998, 2009 et 2016), Pierre-Claver Maganga Moussavou pose donc ses cartons dans l’annexe du Palais du bord de mer. À Libreville, certains disent qu’il aurait pu s’y installer plus tôt mais que l’influent Maixent Accrombessi s’y était opposé du temps où il était le directeur de cabinet du chef de l’État. Méfiant, il n’était pas favorable à l’idée de promouvoir ce baron provincial difficile à contrôler. Celui-ci a dû attendre que l’issue contestée de la dernière présidentielle engendre un dialogue et un partage du pouvoir.

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Provocation. Ainsi Maganga Moussavou trace-t‑il sa route en zigzag, entre séjours au gouvernement et retours au sein de l’opposition. Il tente même l’entre-deux en 1990, lorsque son parti rejoint l’opposition radicale alors que lui-même est commissaire général à l’aménagement du territoire. Omar Bongo Ondimba n’avait pas apprécié et avait limogé l’impudent.

Ce docteur en relations économiques internationales, diplômé de la Sorbonne et passé par le FMI, ne s’était pas laissé ébranler puisqu’il avait, dès 1993, retrouvé Omar Bongo sur la ligne de départ de la course à la présidentielle.

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À l’époque, il se distingue par une trouvaille qui frise la provocation : le concept de « provincialisation », un avatar mêlant déconcentration et décentralisation, avec des gouverneurs-ministres d’État à la tête de chacune des neuf provinces du pays, chacun doté d’un budget annuel de 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros)…

Un homme qui a démissionné à plusieurs reprises

L’idée fait long feu. Bongo est élu, mais l’opposition conteste le résultat. S’ensuivent un dialogue politique et des accords signés à Paris qui contraignent le gouvernement à l’ouverture. Maganga Moussavou obtient le titre de ministre d’État chargé de la Planification. L’expérience ne dure pas.

« Bongo voulait inverser le calendrier électoral, raconte le vice-président. Il souhaitait commencer par les législatives, puis terminer par les locales. J’ai claqué la porte en plein Conseil des ministres et je suis parti. » L’insubmersible de Mouila (province de la Ngounié) reviendra au gouvernement en 2002 pour en repartir quelques mois plus tard. Avant de revenir en 2004, cette fois jusqu’en 2007, soit deux ans avant le décès d’Omar Bongo.

Mais à l’ombre du baobab, nul arbrisseau ne deviendra grand. Vice-président mais toujours maire de Mouila, il refuse de lâcher son mandat local, arguant crânement qu’il n’existe pas d’incompatibilité entre les deux. Ses partisans ne sont pas tous d’accord mais bougonnent sous le bâillon. « Il ne veut pas céder le fauteuil. Son adjointe en est réduite à expédier les affaires courantes sous sa tutelle », se plaint un cadre du PSD.

Grand seigneur, il a annoncé qu’il affecterait son salaire (1,2 million de F CFA) à la rémunération de jeunes recrues de la mairie. Mais, au sein du parti, il n’est pas judicieux de se confronter aux Maganga Moussavou. À Mouila non plus, où, promoteur immobilier à ses heures perdues, il a beaucoup investi. Il n’est d’ailleurs pas peu fier d’avoir lancé, en 1996, alors qu’il était ministre de la Planification, la construction de la route Mouila-Fougamou.

Une famille engagée en politique

Sa famille occupe tous les étages ? C’est qu’elle le mérite, rétorque-t‑il. En 2011, lorsque sa femme est élue députée (et que lui-même est battu), il s’en félicite à grand renfort de déclarations publiques. À l’issue des élections locales de 2013, il renchérit : « Si nous avons battu les autres listes, c’est parce que le peuple a estimé que nous méritions d’être élus par le travail que nous faisons. » Avec cette enseignante à l’université Omar-Bongo de Libreville, il dit former « un couple 100 % gabonais ». « Et vous pensez que ce couple-là vient faire de la figuration ? » répondit-il à Jeune Afrique en 2016, alors que le reste de l’opposition le pressait de retirer sa candidature pour rallier Jean Ping.

Et d’ailleurs, insiste-t‑il, pourquoi Ping et pas lui ? « On a l’impression que pour avoir de la considération dans ce pays il faut avoir été Premier ministre, président de l’Assemblée nationale ou de la Commission de l’Union africaine. Ce qu’on oublie, c’est que pour être Premier ministre il faut être la personnalité qui irrite le moins le chef de l’État et qui peut s’opposer le moins aux intérêts du président. »

« Potion amère »

Du reste, peu d’opposants trouvent grâce aux yeux de Maganga Moussavou. Jean Ping ? « Sortir avec la fille du chef de l’État [Pascaline Bongo] pour avoir sa confiance… Ce n’est pas chez ces gens-là que l’on devrait recruter les personnes qui feront l’Afrique de demain. » Jean Eyeghé Ndong ? « Il était le moins bien préparé à assumer les fonctions de Premier ministre [entre 2006 et 2009]. S’il n’avait pas été le cousin de Léon Mba, il n’aurait jamais fait partie du gouvernement. » Casimir Oyé Mba ? « Ce n’est pas un politique. »

Même s’ils apprécient le jeune Biendi, les proches d’Ali Bongo Ondimba disent supporter Pierre-Claver Maganga Moussavou comme une potion amère… et fourbissent leurs armes : le ministre de l’Agriculture, Yves-Fernand Manfoumbi, rêve de lui disputer le leadership punu, le deuxième groupe ethnique au Gabon. Une belle empoignade en perspective qu’observera avec gourmandise l’autre poids lourd punu de Mouila, l’ex-vice-président en semi-retraite Didjob Divungi Di Ndinge.

Dans l’ombre du chef de l’État

Le statut de vice-président est fait d’honneurs et d’avantages. Le titulaire du poste n’a pas de réel pouvoir mais bénéficie de fonds politiques, d’un salaire confortable et de frais de représentation. Il a aussi à sa disposition un parc automobile et des gardes du corps dans ses résidences de Libreville et de Mouila. Il voyage en avion privé ou en aéronef de la flotte présidentielle – avec l’autorisation du chef de l’État. Il vit dans l’ombre du président, qu’il « supplée dans les fonctions que celui-ci lui délègue ». Pierre-Claver Maganga Moussavou est le troisième vice-président après Omar Bongo Ondimba (1966-1967) et Didjob Divungi Di Ndinge (1997-2009). Le poste n’était plus pourvu depuis 2009, sans qu’aucune explication officielle ait été donnée.

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