Maroc : Saadeddine El Othmani au centre d’une drôle de guerre au PJD

Quatre mois après son investiture, le chef du gouvernement, Saadeddine El Othmani, dresse un premier bilan de l’action de son gouvernement. Sans convaincre et sous le regard critique de son prédécesseur.

Le chef du gouvernement marocain Saadeddine El Othmani (g.) et son prédécesseur Abdelilah Benkirane lors d’un meeting pour les législatives en septembre 2016. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Le chef du gouvernement marocain Saadeddine El Othmani (g.) et son prédécesseur Abdelilah Benkirane lors d’un meeting pour les législatives en septembre 2016. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

fahhd iraqi

Publié le 3 octobre 2017 Lecture : 5 minutes.

Pour masquer le retard pris dans la présentation du bilan des cent jours du gouvernement, Saadeddine El Othmani n’a pas trouvé mieux comme pirouette que la formule « 120 jours, 120 mesures ». Nommé le 5 avril, le chef de l’exécutif bouclait son cent soixantième jour « au pouvoir » en cette soirée du lundi 11 septembre quand il a dévoilé son bilan préliminaire.

« Le centième jour suivant l’obtention du vote de confiance du Parlement, le 26 avril, tombait le 5 août, plaide Mustapha Khalfi, porte-parole du gouvernement. Mais nous avons préféré attendre la fin des vacances et arrêter le bilan à l’issue des travaux de notre Conseil du 24 août, soit cent vingt jours après l’investiture. »

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Ce que Khalfi s’est bien gardé de dire, c’est que Mohammed VI avait précédé le gouvernement dans l’évaluation de sa conduite des affaires publiques. Coup sur coup, le roi a tancé – à l’occasion d’un Conseil des ministres – le cabinet El Othmani sur sa gestion du Hirak du Rif, le mouvement de contestation sociale le plus marquant du règne. Puis, dans son discours du trône, le souverain a enfoncé le clou en pointant la médiocrité de la classe politique et des hauts fonctionnaires.

S’il ne peut convaincre le roi, il peut au moins tenter de duper l’opinion publique

« Après un tel désaveu royal, El Othmani ne pouvait se contenter de présenter un bilan léger et superficiel, soutient un élu de l’opposition. Il fallait donc le conceptualiser et capitaliser sur la moindre réalisation pour donner l’impression que l’exécutif est en action. S’il ne peut convaincre le roi, il peut au moins tenter de duper l’opinion publique. »

Dans le détail, les départements ministériels ont été invités, tout au long du mois d’août, à faire remonter la liste de leurs initiatives à la primature. Au cabinet El Othmani, une équipe a pris soin de les compiler dans un document récapitulant les 120 mesures engagées durant ces quatre premiers mois d’un mandat qui a connu quatre mois de retard à l’allumage avec le blocage ayant marqué la nomination du Premier ministre.

« Une fois les 120 mesures identifiées, il a fallu faire des allers-retours avec les partis de la majorité pour présenter notre bilan de manière commune, argue Mustapha El Khalfi. C’est un exercice de reddition des comptes qui engage un bloc homogène. »

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L’homogénéité, une affaire de com’

Des propos qui tendent à confirmer qu’il ne s’agit que d’une opération de communication destinée à mettre en avant « l’homogénéité de la majorité gouvernementale ». Une formule que Saadeddine El Othmani a répétée à l’envi durant sa conférence de presse.

« La majorité est unie autour d’un programme approuvé par le Parlement, et il n’y aura pas de retour en arrière », a ressassé El Othmani tout au long de la semaine qui a suivi dans les nombreuses interviews qu’il a accordées à la presse écrite.

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Ses partenaires de la coalition gouvernementale ont abondé dans le même sens : tour à tour, à la tribune du centre de conférences de la Fondation Mohammed VI, les zaïms des cinq partis alliés du Parti de la Justice et du Développement (PJD) ont loué « la logique d’entraide qui règne au sein du gouvernement » ou encore « la volonté commune de placer l’intérêt supérieur de la nation au-dessus de toute considération partisane ».

Ironie du sort, le PJD s’est présenté en rang dispersé lors de cet événement sur lequel planait l’ombre d’Abdelilah Benkirane, qui a brillé par son absence.

À la lecture, le document concocté par la présidence du gouvernement et mis à la disposition de la presse est en outre loin d’être convaincant. Il consiste en un fourre-tout où la moindre mesurette est présentée comme la plus originale des réalisations. Exemple : une rencontre organisée le 10 mai dernier avec une centaine d’ONG œuvrant dans le domaine de l’immigration est qualifiée par le document d’avancée pour le rayonnement du Maroc dans le monde.

« S’il faut comptabiliser tous les colloques ou forums organisés par les départements ministériels, il y aurait de quoi recenser 1 200 événements du genre et non 120 mesures », ironise un député.

Nombre de mesures par axe programmatique :

  • Soutien du choix démocratique, principes de l’État de droit et consécration de la régionalisation avancée : 17
  • Renforcement de la transparence, réforme de l’administration et consécration de la bonne gouvernance : 9
  • Développement du modèle économique, promotion de l’emploi et développement durable : 54
  • Renforcement du développement humain, cohésion sociale et spatiale : 34
  • Renforcement du rayonnement international du Maroc au service de justes causes : 6

Et, même quand le gouvernement El Othmani présente des réalisations concrètes, il s’en attribue tout le mérite sans la moindre mention de l’origine des projets. L’une des mesures phares présentées par le gouvernement est l’approbation de 51 accords d’investissement totalisant 67 milliards de dirhams (6 milliards d’euros).

Or ces projets sur lesquels El Othmani a apposé sa signature – en mai dernier, dans le cadre de sa première réunion de la commission interministérielle des investissements – avaient été bouclés des mois auparavant, soit bien avant que le chef du gouvernement ne soit désigné pour remplacer Abdelilah Benkirane.

Idem pour les 31 décrets relatifs à la régionalisation, qui avaient déjà été élaborés avant la formation du gouvernement. Le document du bilan d’El Othmani pousse l’audace jusqu’à faire référence aux accords signés avec les pays africains, alors que les affaires étrangères restent un domaine de souveraineté géré directement par le palais.

Abdelilah Benkirane, dirigeant du Parti de la justice et du développement chef du gouvernement actuel marocain en compagnie de M. Saad Eddine Othman ancien dirgieant du parti de la Justice et du Développement (PJD), dimanche 20/07/2008 à Rabat. © Alexandre Dupeyron pour JA

Abdelilah Benkirane, dirigeant du Parti de la justice et du développement chef du gouvernement actuel marocain en compagnie de M. Saad Eddine Othman ancien dirgieant du parti de la Justice et du Développement (PJD), dimanche 20/07/2008 à Rabat. © Alexandre Dupeyron pour JA

C’est dire si les véritables réalisations d’El Othmani et de son cabinet restent pour l’heure bien maigres. Ou du moins ne fédèrent-elles pas grand monde.

« Le gouvernement n’avait même pas à se plier à la tradition du bilan des cent jours. Tout le monde connaît les difficultés qui ont précédé sa formation, les événements d’Al Hoceima, le retard pris dans l’adoption de la loi de finances… Il est trop tôt pour dresser un véritable bilan de son action », assène Hamid Chabat, secrétaire général de l’Istiqlal. Une manière de souligner que le plus dur reste à faire.

Dossiers chauds

D’autant plus que les dossiers chauds ne manquent pas. Comme la loi organique pour la mise en œuvre de l’officialisation du tamazight, qui est au point mort. Pourtant, un chef de gouvernement amazigh, allié à des partis dont quatre des leaders sont également amazighs, aurait pu s’impliquer davantage dans ce domaine et accélérer le tempo.

Le document présentant le bilan gouvernemental ne souligne ainsi qu’une seule réalisation relative à la langue amazigh : le lancement de son enseignement dans six instituts supérieurs publics.

Dans le domaine social, le gouvernement El Othmani a pour principal défi de mettre en œuvre sa stratégie nationale pour l’emploi. Surtout qu’il a obtenu ce qu’aucun gouvernement précédent n’a pu décrocher : la possibilité de recruter des contractuels. Ce qui a été fait dès cette rentrée scolaire pour combler le nombre insuffisant d’enseignants dans les écoles publiques.

Un avantage qui peut cependant envenimer les discussions avec les centrales syndicales, lesquelles ont déjà commencé à faire résonner les tambours de la guerre à l’approche de la rentrée parlementaire…

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