Poutine avance ses pions
Depuis le début de ce mois, c’est ce qu’on appelle dans beaucoup de pays de l’hémisphère Nord « la rentrée » : la léthargie estivale s’estompe pendant que s’anime à nouveau la scène internationale.
Les quelque deux cents chefs d’État de notre petite planète sont (presque) tous à New York pour l’Assemblée générale de l’ONU : chacun s’y exprimera et rencontrera celles ou ceux de ses homologues qui le voudront.
Un chef d’État n’est pas une personne comme les autres ; il m’a donc paru intéressant de relever la pensée centrale de deux d’entre eux : un sortant et un nouvel élu.
Le sortant est Barack Obama. Peu après avoir quitté la Maison-Blanche, il nous a fait part de ce qu’il a ressenti et de ce qu’il entrevoyait :
« La présidence ne vous change pas, elle a seulement tendance à “amplifier” ce que vous étiez déjà. Dès lors, si durant votre campagne électorale vous avez accepté le soutien de sympathisants du Ku Klux Klan, ou même si vous avez seulement tergiversé ou tardé à rejeter ce soutien, il n’y a aucune raison que vous vous comportiez différemment une fois élu président. »
Macron le nouvel élu
Le nouvel élu est le jeune président français, Emmanuel Macron. Peu l’attendaient à la plus haute fonction ; lui-même la découvre et a ressenti d’emblée la solitude du pouvoir suprême. Il en a dit ceci à l’un de ses derniers amis :
« Elle est absolue, cette solitude. D’abord le lieu isole, il est silencieux, chargé. Mais surtout la fonction isole. Même si tu t’efforces d’avoir une méthode collégiale, tu es la clé de voûte et tu n’as plus de gens à qui tu peux dire les choses innocemment. Tu ne peux avoir une minute de relâchement.
Il y a une part irréductible de mystère, la nécessité du secret. Tu retrouves une sorte d’épaisseur métaphysique. Ce n’est pas une fonction, c’est un être. »
Si vous êtes africain ou si, ne l’étant pas, vous vous intéressez à la place de l’Afrique dans le monde, vous pouvez penser que ce continent ne devrait pas être tronçonné en 54 États qui se croient indépendants mais dont beaucoup ne sont pas viables.
L’Afrique aurait pu devenir, à l’instar de l’Inde, un État fédéral : l’une et l’autre sont comparables par la population, le PIB (produit intérieur brut), le nombre de langues et de groupes ethniques.
États-Unis d’Afrique
Ce pays qui se serait appelé « les États-Unis d’Afrique » aurait regroupé en une fédération d’États autonomes la cinquantaine d’« États indépendants » d’aujourd’hui. Il aurait alors constitué le troisième État du monde par la population (après la Chine et l’Inde, qu’il dépasserait dans les deux prochaines décennies) ; son économie en aurait été la quatrième (après celles de la Chine, des États-Unis et de l’Inde).
Cet État rêvé aurait produit 75 % du platine, 55 % du diamant et 20 % de l’or extraits dans le monde.
Aucun autre pays n’aurait égalé les États-Unis d’Afrique par les richesses de son sous-sol…
Mais cessons de rêver et regardons si, en 2017, les relations internationales ont connu des changements significatifs.
Les médias parlent beaucoup de Donald Trump, car il continue à faire des siennes et à détruire pierre par pierre ce que son prédécesseur a édifié. Ils parlent tout autant du nouveau président français, Emmanuel Macron, personnage aussi volontaire qu’inattendu.
Les projets de Poutine
En vérité, c’est Vladimir Poutine qui avance ses pions et ceux de son pays, la Russie.
Il la dirige depuis le début de ce siècle et risque d’être encore au pouvoir pendant de nombreuses années. Qu’en a-t‑il fait et que veut-il en faire ?
Développer l’économie, moderniser l’industrie, exporter autre chose que les produits du sous-sol n’ont pas compté parmi les priorités de Poutine ou de ses gouvernements. L’immense Russie – 150 millions d’habitants – est à ce jour un nain économique : son PIB est très inférieur à celui de la France ou même de l’Italie, et comparable à celui de l’Espagne. Mais elle consacre chaque année plus de 5 % de son PIB aux dépenses militaires et demeure la deuxième puissance nucléaire du monde.
Poutine a modernisé son armée, l’a dotée de moyens nucléaires et conventionnels impressionnants, en a fait un instrument de puissance et d’intervention tous azimuts.
Les finances de son pays sont très bien gérées par des femmes et des hommes compétents qu’il a choisis avec soin et qui disposent d’une grande latitude.
La diplomatie russe, héritière de celles des tsars et de Staline, est innovante, très souvent supérieure à celles de ses adversaires.
Disposant de pouvoirs très étendus, d’une armée moderne et d’une diplomatie performante, Vladimir Poutine a entrepris de démontrer que la Russie n’est pas la « puissance régionale » décrite de façon blessante par Barack Obama.
Il y parvient de façon étonnante.
Faire oublier que l’URSS a cessé d’exister
La Russie de Vladimir Poutine avance ses pions un à un, en particulier au Moyen-Orient, où les États-Unis reculent : n’est-elle pas aujourd’hui, plus que l’Amérique, l’interlocuteur principal de l’Iran et de la Syrie ? N’a-t‑elle pas renoué avec la Turquie ? Ses relations avec l’Arabie saoudite ne se sont-elles pas affirmées, ainsi d’ailleurs qu’avec le Qatar et même Israël ?
L’Égypte, la Jordanie, l’Autorité palestinienne sont désormais ses partenaires.
Et on l’a vue inviter et accueillir le « maréchal » libyen Khalifa Haftar, bien qu’il soit réputé agent de l’Amérique, qui l’avait exfiltré du Tchad et hébergé pendant vingt ans.
Vladimir Poutine pense et agit pour faire oublier que l’URSS, dont la Russie était la clé de voûte, a cessé d’exister. Refoulé d’Europe, il se rapproche de l’Asie et s’implante au Moyen-Orient.
Son objectif est de faire de la Russie, grâce à son armée et à sa diplomatie, l’un des « trois grands ».
Les deux autres, la Chine et les États-Unis, rivalisent d’égards pour cette Russie que Poutine a remise en selle.
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