Jean-Yves Le Drian, le vieux crocodile

Le ministre français des Affaires étrangères gère tambour battant les dossiers du G5 Sahel et de la Libye. Jouant habilement de son passé à la Défense pour avancer ses pions…

Devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le 20 septembre, à New York. © UN Photo/Manuel Elias

Devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le 20 septembre, à New York. © UN Photo/Manuel Elias

Christophe Boisbouvier

Publié le 28 septembre 2017 Lecture : 3 minutes.

C’est plus fort que lui. Même s’il a changé de portefeuille, Jean-Yves Le Drian continue de parler comme un ministre de la Défense. Le 18 septembre, à New York, lors d’une rencontre avec la presse à l’Assemblée générale de l’ONU, il a présenté la nouvelle force du G5 Sahel avec tant de détails – sur le nombre d’unités, d’hommes, etc. – qu’un chef d’état-major n’aurait pas fait mieux.

De son passé de « meilleur ministre de la Défense qu’on ait jamais eu » – dixit l’avionneur Serge Dassault –, le chef de la diplomatie française joue habilement pour tenter de convaincre les Américains de s’engager dans le financement du G5 Sahel. Pas simple. Le 15 juin, Jean-Yves Le Drian a eu à ce sujet un échange téléphonique très serré avec son homologue américain, Rex Tillerson. « Au début, raconte un témoin, Tillerson ne voulait même pas entendre parler d’une résolution de l’ONU sur cette force. Mais au bout de longues minutes, Le Drian a fini par le convaincre d’en laisser passer une. C’est comme cela que, six jours plus tard, la résolution 2359 a été adoptée par le Conseil de sécurité. »

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L’autre dossier du continent que suit passionnément Le Drian, c’est la Libye. Dès septembre 2014, dans un entretien au Figaro, il a mis les pieds dans le plat. « Nous devons agir en Libye », a lancé le ministre de la Défense de l’époque. Au grand scandale de Laurent Fabius, son collègue des Affaires étrangères, il avait alors envoyé secrètement des conseillers militaires auprès du général Haftar, l’homme fort de l’est du pays. Et le 25 juillet 2017, à la Celle-Saint-Cloud, près de Paris, il a réussi à faire inviter l’officier par Emmanuel Macron, aux côtés du Premier ministre libyen Fayez al-Sarraj – un joli coup diplomatique.

Privilégiant les têtesà-à-tête avec les chefs d’Etat, il a établi des rapports de confiance avec Abdel Fattah Sissi et Idriss Déby

Pour ce Breton taciturne de 70 ans, les réalités du terrain priment tout le reste. « Le Drian ne développe un concept qu’à partir du moment où il est basé sur du concret », explique l’un de ses amis. Pour le ministre français, Haftar est donc le choix du pragmatisme. Mais lors de sa tournée en Libye, début septembre, Le Drian a tenu à rendre visite à la cité-État de Misrata, la pire ennemie de Haftar. De bonnes sources, le chef de la diplomatie française aurait même proposé aux dirigeants de la ville de nouveaux équipements militaires…

Pragmatisme auto-justifié

Jean-Yves Le Drian s’est-il laissé griser par le succès imminent de la Celle-Saint-Cloud ? Dans les heures qui ont précédé ce sommet, il a « oublié » de prévenir les Italiens, qui sont pourtant des acteurs majeurs en Libye. « C’est vrai qu’il les a appelés vingt-quatre heures trop tard, reconnaît un proche, mais il a eu le doigté nécessaire pour les rassurer. »

Autres grands oubliés de la Celle-Saint-Cloud : le Guinéen Alpha Condé, qui préside l’Union africaine, et le Congolais Denis Sassou Nguesso, qui dirige le comité de haut niveau sur la Libye de l’organisation – un oubli délibéré qui a sérieusement irrité les deux chefs d’État. Avant ce sommet du 25 juillet, Le Drian pensait que la solution de la crise libyenne ne passait pas par Sassou. Puis il s’est ravisé. Le 3 août, il a appelé tout miel le président congolais et lui a préparé pour le lendemain une conversation téléphonique avec son homologue français.

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Le Drian sait bien que, s’il est le seul poids lourd du quinquennat Hollande que Macron a gardé auprès de lui, c’est notamment grâce à son carnet d’adresses. Le ministre, qui ne croit qu’aux relations d’homme à homme et aux tête-à-tête, s’appuie sur des chefs d’État comme l’Égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le Tchadien Idriss Déby Itno, avec qui il a établi des rapports de confiance. Certes, ces présidents sont souvent décriés en matière de droits de l’homme, mais, visiblement, ce n’est pas la priorité du pragmatique Le Drian, qui reconnaît lui-même être « un vieux crocodile ».

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