Sénégal : nouvelle donne présidentielle et vieilles recettes
Alors que Macky Sall semble mieux placé que jamais pour rempiler en 2019, ses anciens « frères » du Parti démocratique sénégalais tirent sur lui à boulets rouges. Quitte à oublier que c’est à leurs côtés qu’il a appris l’art de l’endurance en politique.
Sénégal 2019, c’est déjà demain…
La majorité vient de remporter les trois quarts des sièges à l’Assemblée, le bilan du gouvernement présente d’indéniables résultats en matière de croissance, mais, à seize mois de la présidentielle, beaucoup reste à faire pour améliorer le quotidien.
«J’ai été accueilli par des millions de personnes. […] Macky Sall sait qu’il a déjà perdu ! » La modestie n’a jamais été la qualité première d’Abdoulaye Wade. Et l’ancien chef de l’État se damnerait pour un bon mot : « Je peux prêter mon avion à Macky Sall pour qu’il quitte le pays », ironisait-il dans l’effervescence de son retour à Dakar, le 10 juillet, pour y être intronisé tête de liste nationale de la Coalition gagnante Wattu Senegaal (opposition).
Mais il en va de l’esbroufe comme de l’écume : elle a tôt fait de se dissiper. Au lendemain des législatives du 30 juillet, les fanfaronnades du roué nonagénaire avaient laissé place à une potion plus amère que le gingembre. En obtenant 49,5 % des suffrages et 125 des 165 sièges à l’Assemblée nationale, la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY), emmenée par le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne, a assommé ses adversaires, qui invoquent depuis un « sabotage » électoral pour expliquer leur défaite.
Les législatives de 2012 furent une simple formalité
Cinq ans et demi après son élection, il serait exagéré de dire que Macky Sall bénéficie toujours d’un état de grâce. Dans les rues, les taxis, les maquis ou les dibiteries, de nombreux Sénégalais bougonnent, critiquent, voire boudent ouvertement celui qui avait fait naître tant d’espoirs, en mars 2012, en prenant la place du Roi-Soleil sénégalais – exilé depuis à Versailles, après avoir brigué le mandat de trop. Néanmoins, à seize mois de la prochaine présidentielle, les prédictions sur son déclin inexorable que profèrent les leaders de l’opposition semblent relever de la méthode Coué.
Pots cassés
« Imbattable ? », avait titré Jeune Afrique au lendemain des législatives du 30 juillet, provoquant quelques grincements de dents à Dakar. Un rapide survol des dernières échéances électorales suffit pourtant à étayer la pertinence de l’interrogation. En février 2012, au premier tour de la présidentielle, l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade s’était qualifié sans peine, surclassant ses concurrents avec plus de 26,5 % des suffrages. Son parti, l’Alliance pour la République (APR), n’avait pourtant été créé que trois ans plus tôt. Au second tour, soutenu par l’ensemble des candidats malheureux, Macky Sall avait terrassé le président sortant en réunissant pas moins de 65,8 % des suffrages exprimés.
Les législatives de juin 2012 furent une simple formalité. La coalition présidentielle BBY avait concentré 53 % des voix et remporté 119 des 150 sièges à l’Assemblée nationale.
En juin 2014, les élections locales allaient tourner, elles aussi, en faveur de la mouvance présidentielle. Avec quelques pots cassés toutefois : Dakar lui a échappé au profit de Khalifa Sall, ce qui a valu à la Première ministre, Aminata Touré, tête de liste dans la capitale, d’être sèchement congédiée. Une poignée de ministres, défaits dans leur circonscription, ont dû eux aussi faire leurs valises. Mais au niveau national, BBY remportait la mise à l’échelon des collectivités territoriales.
Les législatives ont fini de paver la route vers une réélection que Macky ne s’est jamais caché de revendiquer
Le troisième test arrive en février 2016. Et cette fois, Macky Sall part avec un sérieux handicap. Un mois avant le référendum constitutionnel de mars, le chef de l’État apprend à ses compatriotes qu’il ne réduira pas la durée de son premier mandat de sept à cinq ans, comme il l’avait promis urbi et orbi.
Certes, le Conseil constitutionnel a émis un avis défavorable, mais ce revirement réveille de mauvais souvenirs. Et chacun de faire le parallèle avec le wax waxeet (« dire, puis se dédire ») d’Abdoulaye Wade, qui avait tenté un passage en force en 2012 après avoir fait inscrire dans la Constitution la limitation des mandats présidentiels à deux successifs. Malgré un vaste « front du non » qui entendait faire payer au président sa volte-face par le verdict des urnes, l’issue du référendum tourne en faveur de ce dernier : la réforme est adoptée à 62,5 %.
Ultime échéance avant la présidentielle de février 2019, les législatives du 30 juillet ont fini de paver la route vers une réélection que Macky Sall ne s’est jamais caché de revendiquer. Pour lui et sa garde rapprochée, la défaite n’est pas une option.
Concept inédit
L’opposition a beau vitupérer, accusant de tous les maux l’actuel président, ses anciens camarades du Parti démocratique sénégalais (PDS) sont pourtant bien placés pour savoir que Macky Sall, subitement renié en 2008 par Abdoulaye Wade, a tiré profit des leçons apprises aux côtés de son père en politique. N’a-t‑il pas été, notamment, son directeur de campagne en 2007, lorsque Wade fut réélu dès le premier tour ?
Les recettes qu’il a appliquées depuis cinq ans pour conforter son assise rappellent à bien des égards celles que son prédécesseur avait lui-même mises en œuvre après sa première élection, en 2000. D’abord, s’assurer la loyauté des principaux leaders politiques non ralliés au PDS ou au Parti socialiste (à l’époque : Moustapha Niasse, Amath Dansokho et Abdoulaye Bathily), afin de remporter confortablement les législatives et de neutraliser leurs velléités de s’opposer à son régime.
Puis, comme le résumait Momar-Coumba Diop dans son ouvrage Le Sénégal sous Abdoulaye Wade. Le Sopi à l’épreuve du pouvoir (paru en 2013), construire « l’hégémonie du PDS » en usant de deux ficelles, « le clientélisme, qui est une donnée fondamentale de la vie politique sénégalaise, et la transhumance politique ».
Une précampagne sans poids lourds
Si Macky Sall a su se comporter en habile tacticien depuis 2012, l’opposition lui a par ailleurs facilité la tâche. Difficile en effet de trouver en son sein un leader déclaré susceptible de l’inquiéter en 2019. En guise de challengers possibles, deux noms reviennent avec insistance : Khalifa Sall, le maire de Dakar, et Karim Wade
, l’ancien « ministre du Ciel et de la Terre ». Mais ni l’un ni l’autre ne se sont officiellement déclarés candidats et, outre le fait qu’ils observent un silence médiatique durable qui cadre mal avec une ambition présidentielle, tous deux ont maille à partir avec la justice : le premier risque une condamnation à une peine de prison ferme et le second, gracié en 2016, doit toujours s’acquitter d’une amende colossale.
Idrissa Seck, le président de Rewmi, semble prêt à tenter sa chance pour sa troisième présidentielle d’affilée. Mais depuis plusieurs années, il se fait étonnamment discret, au risque de se faire oublier. De plus, le résultat décevant de la Coalition Manko Taxawu Senegaal lors des législatives est de mauvais augure – notamment sa défaite dans le département de Thiès, fief électoral d’« Idy ». Restent divers leaders politiques dont le poids électoral, dans le cadre d’une présidentielle, est plus qu’incertain. Car au Sénégal, si les candidats sont toujours pléthore, rares sont ceux à même de dépasser la barre des 10 %. M.B.
En 2012, à l’identique, Macky Sall a absorbé dans BBY la majorité des partis historiques, à commencer par ceux dont le poids électoral faisait des alliés de choix : l’Alliance des forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse et le Parti socialiste (PS) d’Ousmane Tanor Dieng. Le premier a obtenu en échange le perchoir de l’Assemblée nationale, auquel il vient d’être reconduit pour la nouvelle législature. Le second a casé deux de ses camarades au gouvernement, avant d’être nommé en 2016 à la tête du Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT), fraîchement créé.
Pour satisfaire ses nouveaux alliés, Macky Sall a par ailleurs généralisé le concept inédit de « ministre-conseiller ». Un terme généralement réservé à la diplomatie (où il désigne le numéro deux d’une ambassade) mais que la présidence de la République sénégalaise a institutionnalisé. D’après un récent décompte effectué par le site sénégalais Pressafrik, pas moins de 83 personnes disposeraient ainsi du statut de ministre, entre les membres du gouvernement, les ministres d’État sans portefeuille et les conseillers érigés au rang de « ministres-conseillers ». Le 24 septembre, Mamadou Ndoye, l’ancien secrétaire général de la Ligue démocratique, jetait un pavé dans la mare à propos de cette pratique, dans une interview à la radio Sud FM : « Quand j’ai été élu secrétaire général, je suis allé, dans le cadre de l’alliance [BBY], me présenter au président de la République. Il m’a proposé ceci : “Mamadou, je te donne un poste de ministre-conseiller, ou bien, comme je le fais pour d’autres, je te donne 4 millions [de F CFA, soit 6 100 euros] par mois.” » L’intéressé affirme avoir décliné l’offre.
Hémorragie
En matière de transhumance, là aussi, Macky Sall a su remettre au goût du jour d’anciennes recettes. Au lendemain de la première alternance, en 2000, « les nouvelles autorités se lancèrent dans une véritable entreprise de débauchage des dirigeants du PS », rappelle Momar-Coumba Diop. Macky Sall a fait de même avec un certain nombre de barons du PDS ou d’autres ténors de l’opposition, au nom d’une philosophie assumée qu’il a exprimée en 2015 lors d’une conférence de presse : « Lorsque vous avez une majorité, il faut chercher à la consolider en allant chercher dans le camp adverse, dans l’opposition. […] Amenez des gens, d’où qu’ils viennent, par n’importe quel moyen ! Nous allons réduire l’opposition à sa plus simple expression. »
« De tous les anciens Premiers ministres d’Abdoulaye Wade, plus aucun n’est aujourd’hui dans nos rangs », constate avec un sourire ironique un membre du comité directeur du PDS, qui s’attend que l’hémorragie se poursuive jusqu’à la présidentielle. C’est notamment le cas de Souleymane Ndéné Ndiaye, le dernier Premier ministre de Wade, qui a rejoint Macky Sall et BBY avant les législatives. Quelques mois plus tôt, l’ancien ministre de l’Intérieur Ousmane Ngom avait suivi le même chemin.
Pas près de trouver un consensus…
Le 2 septembre, Macky Sall a appelé à l’ouverture d’un dialogue sur l’amélioration du système électoral, faisant référence aux critiques de l’opposition sur l’organisation des législatives. Outre que le grand nombre de listes présentées -47- crée la confusion, le mode de scrutin -à un seul tour et mixte- est complexe et pose un problème en matière de représentativité : 105 députés sont élus au scrutin majoritaire de liste dans les circonscriptions et 60 au scrutin proportionnel de liste au niveau national (avec répartition selon le système du quotient simple).
Réuni le 26 septembre sous la houlette de son secrétaire général national, Abdoulaye Wade, le comité directeur du PDS dit ne pas croire à la sincérité de cet appel au dialogue et le rejette. Il « exige » la réalisation d’un audit indépendant du fichier et du processus électoral, l’installation d’une commission électorale nationale autonome vis-à-vis de l’administration, d’une haute autorité neutre pour l’organisation des élections et, enfin, la proclamation des résultats définitifs par des juges indépendants et non par « un Conseil constitutionnel inféodé au pouvoir », dont le PDS réclame par ailleurs de désigner au moins un voire deux membres.
Arme de Dissuasion
Au nombre des recettes concoctées par Abdoulaye Wade après son accession au pouvoir, une autre semble avoir été recyclée par l’actuel chef de l’État : suspendre au-dessus de la tête de potentiels gêneurs une épée de Damoclès judiciaire susceptible de les inciter à faire profil bas. Après son accession au pouvoir, rappelle Momar-Coumba Diop, Abdoulaye Wade avait ainsi brandi la menace d’un « audit des entreprises publiques et, plus généralement, de la gouvernance socialiste » avec, à la clé, cette alternative posée à ses cadres : « rester au PS et aller en prison ou migrer vers le PDS et conserver leur liberté, avec la possibilité de rester dans les ors du pouvoir ».
Depuis 2012, à en croire plusieurs responsables de l’opposition, la traque aux biens mal acquis a été fort sélective, servant davantage d’arme de dissuasion que d’outil de répression (seuls Karim Wade et un ancien directeur du cadastre, Tahibou Ndiaye, ont fait les frais d’une condamnation). Selon l’état-major du PDS, plusieurs défections enregistrées dans ses rangs pourraient ainsi s’expliquer par les menaces judiciaires qui pesaient sur les intéressés. Et dans l’entourage de Khalifa Sall, on se dit convaincu que les ennuis judiciaires du maire de Dakar doivent tout à son refus d’entrer dans le moule BBY.
Reste à Abdoulaye Wade, jamais avare de saillies assassines envers son ancien disciple, au risque de le sous-estimer, à méditer ce proverbe wolof : « On ne peut enseigner ce qu’on n’a pas appris. »
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