Direction générale de l’Unesco : qui vote pour qui ?
Ils sont neuf à briguer le poste de directeur général de l’organisation onusienne. À quelques jours du scrutin, chacun multiplie les opérations séduction, notamment à l’égard de l’Afrique, et compte ses soutiens.
Qui succédera à Irina Bokova au poste de directeur général de l’Unesco ? À quelques jours du scrutin (le premier tour, à la majorité simple, est prévu pour le 9 octobre), l’effervescence est à son comble au siège de l’institution onusienne, à Paris, où la Bulgare achève son second mandat. Alors que les rumeurs vont bon train et que l’on spécule sur l’abandon de tel ou tel candidat, les neuf concurrents multiplient les initiatives. Plusieurs d’entre eux se sont rendus à New York, à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU.
Polad Bülbüloglu (Azerbaïdjan), Qian Tang (Chine), Moushira Khattab (Égypte), Audrey Azoulay (France), Juan Alfonso Fuentes Soria (Guatemala), Saleh al-Hasnawi (Irak), Vera El Khoury Lacoeuilhe (Liban), Hamad Ibn Abdulaziz Al-Kawari (Qatar) et Pham Sanh Chau (Vietnam)…
Difficile de prédire qui, de ces six hommes et de ces trois femmes, l’emportera tant cette élection a toujours donné lieu à des surprises. « Ceux qui semblent disposer des plus grosses réserves de voix sont le Chinois Qian Tang et la Libanaise Vera El Khoury Lacoeuilhe », hasarde une source impliquée dans la campagne. Un avantage que tous deux retirent de leur bonne connaissance des rouages de l’institution.
L’avènement du monde arabe ?
Les atouts d’El Khoury ? Son dynamisme, sa double nationalité (elle est aussi française), une expérience de plus de vingt ans dans les institutions internationales, et en particulier à l’Unesco.
Elle a en effet présidé des groupes de réflexion indépendants, chargés par cette institution de décortiquer son fonctionnement et de lui proposer des améliorations. Et a également œuvré à l’adoption, en 2005, de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, considérée comme un texte majeur. Bref, son profil est susceptible de répondre aux attentes de ceux qui font de la réforme de l’Unesco une priorité.
C’est justement en invoquant l’urgence de cette réforme que la France et la Chine ont avancé leurs pions, au dernier moment. L’usage veut que le pays hôte ne présente pas de candidat, mais cette règle reste tacite.
À Paris, on vante le savoir-faire de l’énarque Audrey Azoulay, ex-ministre de la Culture de François Hollande, pour remettre sur les rails une institution en péril. Un argument qui fait grincer des dents, notamment dans le camp arabe. Lequel compte fermement installer l’un de ses représentants dans le fauteuil de directeur général. Ce serait une première…
Nous sommes quatre, choisissez le meilleur
En 2009, les pays arabes s’étaient tous rangés derrière la candidature de l’ancien ministre égyptien de la Culture Farouk Hosni, qui avait finalement échoué de peu. Cette année, changement de stratégie : ils présentent plusieurs candidats, espérant ainsi multiplier leurs chances. En 2009, la Bulgare Irina Bokova n’avait-elle pas été élue alors que deux autres pays d’Europe de l’Est (Lituanie et Russie) avaient chacun présenté un champion ?
« Nous avons choisi de susciter plusieurs candidatures pour faire passer le message suivant : nous sommes quatre, choisissez le meilleur d’entre nous », nous confiait le Qatari Al-Kawari en mai. « Les autres nations n’appréciaient pas que nous ne proposions qu’un seul candidat », ajoute Vera El Khoury.
« À l’issue du premier tour, les pays arabes étaient censés se rassembler autour d’une candidature, mais la donne a changé », explique un haut fonctionnaire. La crise diplomatique qui, depuis juin, oppose le Qatar à l’Arabie saoudite – soutenue par les Émirats arabes unis et l’Égypte – est passée par là. Et Hamad Al-Kawari, qui faisait figure de favori, semble en faire les frais.
L’Afrique courtisée
Le Maroc, quant à lui, pourrait changer de pied. « Il est probable que Rabat, qui avait d’abord donné l’impression de soutenir l’initiative qatarie, décide de se positionner en faveur d’Audrey Azoulay », poursuit ce fonctionnaire.
« Ce n’est pas à moi qu’il revient d’exprimer la position d’États souverains dans leur choix, mais l’amitié entre nos pays [la France et le Maroc] n’est un secret pour personne », nous a répondu la principale intéressée, qui n’est autre que la fille d’André Azoulay, le conseiller du roi Mohammed VI. En juin, son voyage au Maroc, lors duquel elle a visité des sites inscrits au patrimoine de l’Unesco, n’est pas passé inaperçu.
Pour conserver toutes ses chances, l’Égyptienne Moushira Khattab joue sur deux tableaux. Lors de son audition, elle a souligné son attachement à la langue arabe, dans laquelle elle a commencé son intervention avant de poursuivre en français. Et a insisté sur l’intérêt qu’elle porte au continent africain et que l’Union africaine lui rend bien, puisqu’elle soutient sa candidature.
Une Afrique décidément très courtisée, puisque le Chinois Tang a lui aussi assuré qu’elle serait sa « priorité » s’il était élu. À JA, il explique vouloir lancer un programme d’accompagnement de l’Agenda 2063 établi par l’UA.
Washington a suspendu sa contribution au budget de l’UNESCO soit environ 20 % de l’enveloppe totale de fonctionnement
Toujours dans nos colonnes, Azoulay a, elle, promis de ne pas éluder le débat très sensible de la restitution des objets d’art africains exposés en France. Quant à El Khoury, elle s’est montrée, lors de notre entrevue, très au fait de l’actualité africaine et enthousiasmée par la visite en Algérie qu’elle avait entreprise en juin, pays où elle compte retourner rapidement si elle est élue.
Le cas israélo-palestinien
Autre dossier qui s’impose : le conflit israélo-palestinien. En 2011, le passage de la Palestine du statut d’observateur à celui de membre à part entière avait suscité l’ire d’Israël. Par solidarité avec son allié, Washington a, depuis, suspendu sa contribution au budget de l’institution, soit environ 20 % de l’enveloppe totale de fonctionnement. Sur ce point, tous les candidats s’accordent à dire que les différends bilatéraux ne doivent pas freiner l’action de l’Unesco.
Les soutiens de la candidate égyptienne n’hésitent pas à mettre en avant la place privilégiée qu’elle occupe pour parvenir à un règlement du conflit. Vera El Khoury, elle, promet de « parler à tout le monde et dans l’intérêt commun », invoquant sa connaissance forcément « très complète » du dossier.
Leur concurrent chinois assure vouloir « établir un groupe de travail spécial au sein du conseil exécutif pour faciliter le dialogue et parvenir à un consensus entre Palestiniens et Israéliens ». Tout un programme…
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