Somalie : « L’Homme aux bras de mer », la BD sur un pirate qui a jeté l’ancre à Emmaüs

Condamné à neuf ans de prison pour la dramatique prise d’otages du Tanit, en Somalie en 2009, Mohamed Mahamoud vit aujourd’hui en Bretagne (France), sans papiers. Simon Rochepeau et Thomas Azuélos lui consacrent un roman graphique riche d’empathie.

De gauche a droite	: Simon Rochepeau (scénariste), Mohamed Mahamoud (ex-pirate), Thomas Azuélos (dessinateur). © Vincent Fournier/JA

De gauche a droite : Simon Rochepeau (scénariste), Mohamed Mahamoud (ex-pirate), Thomas Azuélos (dessinateur). © Vincent Fournier/JA

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 6 octobre 2017 Lecture : 6 minutes.

Une silhouette filiforme, comme perdue dans des vêtements trop amples. Un homme au long visage triste, comme perdu dans une histoire trop vaste. Où qu’il aille, Mohamed Mahamoud emporte avec lui tous les fantasmes liés à la piraterie dans les eaux somaliennes. Il ne peut plus être le pêcheur qu’il était autrefois et rien ne lui permet encore de se fondre dans la foule, blanche et anonyme, de la Bretagne. Pour tous ceux qu’ils croisent, il est « le pirate ». Et pas n’importe quel pirate, l’un de ceux qui prirent en otage le voilier Tanit, en avril 2009, et furent condamnés à neuf ans de prison, quelques années plus tard, par la cour d’assises de Rennes.

Peut-être, pourtant, qu’un livre changera sa vie. Une bande dessinée, pour être plus précis, qui porte ce joli titre : L’Homme aux bras de mer. Au texte, Simon Rochepeau. Au dessin, Thomas Azuélos. Et dans le rôle-titre, Mohamed Mahamoud. Pas un rôle de pirate, pas un rôle de preneur d’otages, mais plutôt un rôle d’homme charrié par le destin loin de chez lui et loin des siens.

L'Homme aux bras de Mer, de Simon Rochepeau et Thomas Azuélos. © DR / Futuropolis

L'Homme aux bras de Mer, de Simon Rochepeau et Thomas Azuélos. © DR / Futuropolis

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Le drame du Tanit

« Entraîné par un ami journaliste au quotidien régional Ouest-France, j’ai assisté au procès de Rennes, se souvient Simon Rochepeau. C’était un moment intense et étonnant. Cela m’interpellait, j’avais envie de comprendre pourquoi ces jeunes gars étaient jugés en France… Mohamed est arrivé libre au procès, accompagné par Maryvonne et des gars d’Emmaüs. » Encouragé par l’avocat de Mohamed, Rochepeau prend contact avec ladite Maryvonne – elle enseigne le français, en prison, au jeune Somalien – et commence à mener sa propre enquête, qui n’est pas une enquête policière.

De l’histoire, la presse ne retient que l’acmé. Quelques jours, quelques heures et le drame final. Le 4 avril 2009, le voilier français Tanit fait voile vers les Seychelles quand il est abordé par cinq pirates armés de kalachnikov. À bord, un petit garçon de 3 ans, ses parents et deux amis de la famille. Parti de Vannes en juillet 2008, le Tanit avait pour destination finale Madagascar. Le 5 avril, 50 commandos de marine quittent la France pour Djibouti, où 20 autres les rejoignent. Ces forces d’élite sont ensuite parachutées depuis un C-130 Hercules et récupérées par des frégates françaises qui patrouillent dans la zone pour traquer les pirates.

Ça m’a touché, toutes ces choses que j’avais presque oubliées déjà

Pris en chasse, les preneurs d’otages tentent de rejoindre la côte somalienne. Les négociations ne donnent rien. Les forces françaises, inquiètes pour le sort des prisonniers, décident d’agir. Deux Somaliens sont abattus par des tireurs d’élite et les commandos donnent l’assaut. Dans la confusion de la fusillade, le capitaine du Tanit, Florent Lemaçon, trouve la mort, touché par une balle française. Capturés, les trois pirates encore en vie sont ramenés en France pour y être jugés.

L'une des premières pages du récit. © DR / Futuropolis

L'une des premières pages du récit. © DR / Futuropolis

Cinq mois de rencontres au parloir

« J’avais presque peur de rencontrer Mohamed », confie Simon Rochepeau. Pourtant, il finit par demander une autorisation de visite à la prison de Vezin-le-Coquet. « Je ne m’attendais à rien, poursuit Rochepeau, mais ce qu’il m’a raconté était très clair, très structuré. Au fond, cela peut paraître étrange mais les conditions du parloir sont idéales pour discuter. Bien entendu, je ne pouvais venir que les poches vides, sans stylo, et je devais tout écrire après l’entretien. »

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De son côté, Mohamed Mahamoud accepte de recevoir cet homme qu’il ne connaît pas : « J’ai pensé que c’était normal… Maryvonne m’en avait parlé. » Les rencontres durent cinq mois, jusqu’au transfert de Mohamed à la prison de Ploemeur, près de Lorient. Rochepeau boucle son scénario, le fait relire par les protagonistes, le propose à quelques éditeurs. « Je me suis reconnu à 100 %, confie Mohamed. Ça m’a touché, toutes ces choses que j’avais presque oubliées déjà… »

L’histoire violente appartient aux pirates et aux otages

Quant au dessinateur, Thomas Azuélos, il porte sur le texte un regard professionnel : « J’ai été étonné parce que ça ne ressemblait pas du tout à un scénario, il y avait un chapitre par page et un narrateur différent à chaque fois. Cela relevait à la fois du sujet documentaire et du sujet littéraire, ce qui aurait pu paraître contradictoire, mais il y avait des choix très affirmés et c’est ce qui m’a intéressé. »

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Ces choix, empreints de respect et de modestie, évitent tous les pièges du sensationnalisme et du vite fait. Le parcours de Mohamed Mahamoud avant la prise d’otages, puis son vécu en France, les personnes qu’il y rencontre occupent la grande majorité des pages, tandis que les épisodes les plus violents – l’attaque du Tanit, l’assaut des forces spéciales – sont essentiellement suggérés. « Il est évident que l’événement en lui-même ne m’intéressait guère, explique Rochepeau. L’histoire violente appartient aux pirates et aux otages, je n’ai pas du tout envie de savoir ce qui s’est passé durant ces six jours… »

Emmaüs

Et puis ce sujet, séduisant au possible, a déjà été traité dans bon nombre de fictions, notamment par Hollywood. Le long-métrage le plus connu est sans doute Capitaine Phillips, de Paul Greengrass, avec Tom Hanks, que Mahamoud confie avoir vu trois fois : « C’est la même histoire que moi… », dit-il avec naturel. Mais la BD insiste surtout sur ce qui a pu conduire de simples pêcheurs à prendre les armes, et sur l’accueil qu’un étranger poursuivi par la justice peut recevoir au sein des communautés d’Emmaüs, le mouvement fondé par l’abbé Pierre dans les années 1950.

« Si je suis arrivé chez Emmaüs, c’est un peu par hasard, se souvient Mohamed Mahamoud. J’y ai trouvé une certaine liberté, parmi des gens qui sont un peu paralysés de la vie, au bord de tout. Certaines personnes venaient pour chercher le pirate. Ils me disaient : “On t’a vu dans les journaux, tu as pris des otages…” Cela a été difficile de trouver des amis, au début. »

La piraterie, au départ, c’était pour défendre notre mer

Azuélos privilégie un trait léger et des à-plats d’aquarelle pour rendre l’essentiel, et quelques rehauts de rouge et de bleu pour évoquer la violence. Le texte de Rochepeau fait le choix de dialogues réalistes pour brosser avec délicatesse le portait de Mahamoud et de ceux qu’il rencontre, ne laissant aucun « personnage secondaire » sur le bord de la route. Ainsi L’Homme aux bras de mer, n’étaient quelques éléments de fiction introduits pour fluidifier le récit, relève presque du reportage dessiné.

« Je ne regrette pas d’être devenu pirate »

Au bout du compte, Mohamed Mahamoud n’est pas traité comme un personnage de BD. « J’ai remarqué qu’il transforme les gens quand il les rencontre, soutient Rochepeau. Nous entretenons toujours des liens. On ne peut pas raconter une histoire comme celle-là pour s’en débarrasser ensuite. » Et puis Mohamed Mahamoud est toujours là, en France, sans papiers, dans ses vêtements trop amples, dans l’impossibilité de s’en retourner en Somalie où il serait considéré comme un traître.

« La piraterie, au départ, c’était pour défendre notre mer, explique-t‑il. Avant que tous les pays viennent pêcher chez nous ou jeter leurs déchets dans nos eaux, je gagnais bien ma vie, j’avais trois femmes. J’ai des remords par rapport aux familles des otages, mais je ne regrette pas d’être devenu pirate. Même si ici je suis toujours coupable aux yeux des gens, comme si j’avais été condamné à perpétuité. » Aujourd’hui, il appuie son espoir sur le recours déposé auprès de la Cour nationale du droit d’asile, après que sa demande initiale a été rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Et surtout, il aimerait revoir sa mère, pour lui demander pardon.

Caméras embarquées

La piraterie dans les eaux somaliennes est un phénomène qui s’est développé à partir de 2005 et a fini par diminuer à partir de 2012-2013. Ponant, Playa de Bakio, Faina, Sirius Star, Maran Centaurus, Samho Dream, nombreux furent les navires pris d’assaut par des pirates qui prétendaient – pas toujours à tort – agir comme des gardes-côtes de leur pays.

La prise d’otage du Maersk Alabama a ainsi inspiré le film Capitaine Phillips à Paul Greengrass en 2013. Avant cela, en 2012, il y avait eu Stolen Seas, de Thymaya Payne, sur celle du navire danois CEC Future. Quant à Hijacking, sorti la même année, c’est un film de Tobias Lindholm qui raconte l’attaque du Rosen.

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