« Couscousgate » : et si l’Afrique perdait sa cuisine ?
Un grain de couscous s’est glissé dans l’actualité avec l’affaire dite du « couscousgate ». Le souverainiste français Florian Philippot s’est retrouvé cloué au pilori à cause d’une photo en compagnie de commensaux fort joyeux ripaillant autour d’un couscous.
La polémique née dans le restaurant Sheherazade de Strasbourg a dépassé le plus délirant des rêves des Mille et Une Nuits en provoquant la démission de l’éminence grise du Front national. Considérant le pouvoir d’un simple petit grain de couscous sur la vie politique française, on peut se demander ce qu’il adviendrait si toute la cuisine africaine disparaissait…
Imaginons. Le mafé, le poulet yassa, le tajine, le bobotie, l’attiéké, le ndolé, l’alloco, le foufou, le tikorvavine, le tiéboudienne, le couscous, bien sûr, et tous les autres plats traditionnels africains disparaissent d’une Afrique frappée par une météorite.
On ne peut plus devenir PDG devant un poulet directeur général, on ne peut plus frimer en disant « ekòkamakwamba », plat camerounais aussi difficile à écrire qu’à prononcer, on ne peut plus s’interroger sur la mystérieuse composition de la mloukhiya tunisienne aux faux airs de henné, on ne peut plus se pincer le nez devant du bouzelouf algérien…
Kebabs plutôt que bananes plantains
La cuisine séchée, salée, fermentée, fumée, qui donne leur saveur si particulière aux plats du continent, est effacée de la cartographie culinaire mondiale, et avec elle une forme de poésie du nom. Le spectre du goût se rétrécit, comme si on enlevait des octaves à la gamme musicale. Ce sont les couleurs chaudes de l’arc-en-ciel qui disparaissent.
Les poulets, dont les populations d’Afrique subsaharienne sont si friandes, et les moutons et agneaux, dont le Maghreb se délecte, voient leur consommation chuter. La production mondiale de piments et d’épices est divisée par 10. La cuisine asiatique, seule à peu près comparable en la matière, devient une drogue de substitution. Un ersatz bien pâle comparé aux originaux…
Aux sauces se sont substitués ces « trucs » insipides comme la moutarde et le ketchup
Les bouis-bouis et les maquis aux relents de graillon sont remplacés par des chaînes standardisées. On devient obèse en se goinfrant de hamburgers, de kebabs et de tacos plutôt que de fricassés, de bananes plantains, de frites d’igname… On importe même le cholestérol !
Aux sauces, qui constituent environ les trois quarts de l’apport calorique quotidien, se sont substitués ces « trucs » insipides comme la moutarde et le ketchup. On tente de produire des substituts de synthèse dans des laboratoires, mais leurs fumets sont confondus avec des gaz chimiques.
Des frappes chirurgicales visent ce que les satellites et les drones confondent avec des armes de destruction massive. Harissa reconstituée et autres succédanés chimiques sont déversés dans la nature et l’atmosphère.
Le « bruit et les odeurs »
Dans les quartiers africains d’Europe, on ne vend plus de maïs ou de brochettes grillées. Ne restent plus que les distributeurs automatiques froids qui dévident leurs barres industrielles sous cellophane. On n’échange plus avec le vendeur, on introduit une pièce dans une fente, grimace métallique qui ne remplacera jamais un sourire. Les gares RER de banlieue ne sont plus réchauffées en hiver par la fumée des grils. Elles n’exhalent plus que le parfum de la tristesse du mauvais transit entre le métro et le boulot.
En France, on ne peut plus parler du « bruit et des odeurs » des familles africaines, comme jadis Jacques Chirac l’avait fait, et l’on ne connaîtra jamais le « couscousgate ». Florian Philippot continuerait d’inspirer à Marine Le Pen son programme gloubi-boulga. Preuve est faite que, sans la cuisine africaine, le monde ne tournerait vraiment pas rond.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles