Thomas Sankara, « le mythe qui ne lisait pas assez de poésie »

J’ai enfin compris pourquoi Sankara ne me touchait qu’à moitié. L’homme est admirable. Il a transformé un pays, redonné de l’espoir à un peuple, rebaptisé sa patrie, combattu l’ennemi, dénoncé l’impérialisme, tenté de voler l’avion d’un pays ami, travaillé à la souveraineté de ses frères.

Mohamed Mbougar Sarr (Sénégal), écrivain. Il a remporté le prix Kourouma avec son premier roman, « Terre Ceinte ». A Paris, le 16.04.2015. © Vincent Fournier/JA

Mohamed Mbougar Sarr (Sénégal), écrivain. Il a remporté le prix Kourouma avec son premier roman, « Terre Ceinte ». A Paris, le 16.04.2015. © Vincent Fournier/JA

Mohamed Mbougar Sarr
  • Mohamed Mbougar Sarr

    Ecrivain. Auteur de La Cale (Prix Stéphane-Hessel), Terre Ceinte, Silence du Choeur (prix Ahmadou-Kourouma, Grand prix du roman métis3).

Publié le 13 octobre 2017 Lecture : 2 minutes.

Détail d’une sérigraphie à l’effigie de Thomas Sankara. © Photo : Sophie Garcia / HansLucas
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Qui a tué Sankara ? Retour sur une affaire d’État, 30 ans après…

Le 15 octobre 1987, le président burkinabè Thomas Sankara était assassiné avec douze de ses compagnons. Trente ans après, alors que le doute sur le commanditaire plane encore, le souvenir du leader de la révolution du Burkina Faso est toujours présent dans l’esprit de ses proches, comme dans celui de nombreux Burkinabè.

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Et tout cela n’est encore qu’une infime part de sa geste, d’autant plus superbe qu’elle a eu une fin prématurée et tragique. C’est un homme devenu un mythe, un saint, un des nombreux prophètes du siècle passé. Il a même des zones d’ombre. On s’incline bien bas.

Pourtant… Mais avant de continuer, un aveu : imbécile ou naïve habitude, je ne juge les hommes et femmes d’État qu’à leurs lectures, à leur bibliothèque. Là est leur dernière vérité (politique).

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 L’État et la Révolution, son « livre refuge »

Sankara lit, bien entendu. Qu’y a-t-il dans sa bibliothèque ? Rien, puisqu’il dit, dans un très révélateur entretien publié dans ce journal même [numéro du 12 mars 1986], ne pas en posséder. En réalité, l’homme a un rapport problématique à la confession de ses lectures : « Une bibliothèque, c’est dangereux, ça trahit. » Il ne lit presque jamais de fiction, ça l’emmerde. Les romans africains l’insupportent. Il tance Ki-Zerbo, égratigne Cheikh Hamidou Kane, confirme qu’il écrit lui-même ses discours – ouf !

Mais que lit le grand homme ? Il lâche qu’il n’a pas fini Le Capital, mais qu’il a lu tout Lénine. Entre camarades prophètes… L’État et la Révolution est son « livre refuge ». Il l’emporterait sur une île déserte avec… la Bible et le Coran. S’ensuit un très intéressant développement philosophico-politico-religieux sur Lénine, le Christ et Mohammed, où Sankara fait preuve d’une grande agilité dialectique et d’une certaine acuité dans son analyse historique.

Un manque de souffle poétique

En fait, Sankara, comme tous les vrais révolutionnaires, était un mystique, mais un mystique sans extase. La dimension mystique me plaît : c’est celle de la vision, de la détermination, de la foi en un idéal transcendant. Mais tout cela est trop « aride », comme il le dit avec humour au début de son propos.

Sankara avait – c’était sûrement sa force et, peut-être, sa faiblesse – un tel souci de la transformation du réel qu’il en a peut-être oublié l’espace du rêve – ce qui est une faute pour un idéaliste. L’imaginaire poétique lui faisait défaut, ou alors il s’y refusait ; en tout cas cela se sentait : ses discours, même les plus mémorables, ont manqué non de style, non d’humour, non d’effets rhétoriques, mais de souffle poétique. Si seulement il avait lu plus de romans et de poésie, il aurait vu qu’on tentait aussi d’y changer les hommes.

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* Il est l’auteur de Terre ceinte (2015, prix Ahmadou-Kourouma) et de Silence du chœur (2017), tous deux disponibles chez Présence africaine (lire pp. 108-109).

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