Mali : BlonBa renaît de ses cendres, que le spectacle recommence !

Le dramaturge Alioune Ifra Ndiaye rouvre le BlonBa, fermé depuis 2012. Nouveau quartier, nouveaux espaces : cette version « remastérisée » du complexe culturel promet de faire bouger Bamako.

Alioune Ifra Ndiaye, dans le patio du nouveau BlonBa. © Emmanuel Bakary Daou

Alioune Ifra Ndiaye, dans le patio du nouveau BlonBa. © Emmanuel Bakary Daou

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Publié le 18 octobre 2017 Lecture : 5 minutes.

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Il a été menacé de mort par des ultra-religieux mais a résisté aux intimidations et aux tentatives d’incendie. Pourtant, en 2012, à la suite de la crise politico-sécuritaire et de quelques soucis avec le fisc, Alioune Ifra Ndiaye a été contraint de fermer la salle qu’il avait inaugurée en 2007 dans le quartier Faladié. Si la compagnie BlonBa n’a jamais cessé de jouer depuis, l’un des phares de la vie culturelle à Bamako s’était éteint.

« J’ai pensé jeter l’éponge définitivement et m’installer au Canada », confie-t‑il aujourd’hui. Mais le chef de troupe n’est pas du genre à baisser les bras, et il a fait le tour de ses proches et amis pour obtenir les fonds nécessaires à la reconstruction de son navire amiral. Il a vendu sa maison et ses terrains pour réinvestir plus de 350 000 euros dans les bâtiments et 150 000 euros en nouveau matériel, qui s’ajoute à celui qu’il avait déjà.

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Son titanesque chantier est presque terminé, et le complexe a été inauguré le 30 septembre. Immense chapiteau aux quatre coins posés sur de petites cases, de loin, le nouveau BlonBa ressemble un peu au musée Sainte-Sophie d’Istanbul, minarets en moins.

Alioune Ifra Ndiaye espère y attirer la jeunesse branchée « qui a envie de tourner définitivement la page de la crise ». Situé dans le quartier populaire et en plein développement de Baco-Djicoroni, pas très loin du Moffou (le studio de production de Salif Keïta), le complexe a tout pour devenir le nouveau temple du spectacle vivant et des nuits bamakoises.

Metteur en fête

Au centre de l’amphithéâtre « à l’acoustique parfaite », lunettes à monture noire rectangulaire soulignant son regard de promoteur rigoureux et de génial « créatif », le maître des lieux n’est pas peu fier de présenter la structure, organisée en trois parties. Le Nyanajé Club, la plus grande salle (500 places), essentiellement consacré à la musique et au cinéma, est également conçu pour se transformer en discothèque les week-ends.

En contournant quelques cases, dont l’une abrite le bureau rond (pas encore tout à fait ovale) du « président Alioune », on s’aperçoit que le bouillonnant metteur en fête est bien décidé à frapper fort pour que son centre culturel soit à la hauteur de la renommée artistique du pays.

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Dans la deuxième salle, Djinè So (« la maison des génies »), d’une capacité de 300 personnes, il compte accueillir les meilleures compagnies de théâtre et de danse maliennes, continentales et internationales.

Enfin, un dernier espace, plus petit, le Faridrome, sera loué pour des fêtes et utilisé pour des concerts privés, afin de dénicher de futurs talents.

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« Je veux attirer les meilleurs artistes et former les prochains “très grands”. BlonBa doit aussi être un lieu d’étude, de rencontre et de résidence pour musiciens, peintres, humoristes, comédiens, danseurs et DJ. Je compte d’ailleurs créer un festival de musique électronique », ajoute le féru de culture africaine-américaine.

Parabole

Ses projets sont loin de s’arrêter là. Car BlonBa est aussi une référence de l’audiovisuel malien. À côté du Nyanajé Club, Alioune Ifra Ndiaye est en train de faire construire les locaux de la chaîne de divertissement Wôklôny, dont il prépare le lancement depuis dix ans et qui attend toujours sa licence.

« Ici, il y aura bientôt tout le matériel nécessaire : caméras, tables de montage, etc. Je vais recruter des acteurs et nous allons faire des talk-shows, de la production de séries télévisées et du cinéma, explique-t‑il. Mais attention, il y aura toujours un axe éditorial : celui de l’éducation à la citoyenneté, car je suis exigeant sur la pédagogie et le rôle des médias dans l’avenir de ce pays. »

Le combat qu’il mène depuis longtemps pour appeler à un plus grand civisme a même redoublé d’intensité. En août 2016, il a publié On ne naît pas Banyengo, on le devient (des éditions La Sahélienne), un essai sur les dérives de l’incivisme de la société malienne.

Protagoniste d’une fiction réalisée par Ifra Ndiaye en 2006, Banyengo, dont le nom est entré dans le vocabulaire courant, concentre tous les travers de l’incivisme et préfère provoquer la chute des gens compétents plutôt que de les voir réussir à sa place. Au-delà de la parabole, l’auteur invite les Maliens à réfléchir aux moyens de reconstruire une société citoyenne.

À la scène comme à l’écran

Auteur, metteur en scène, directeur de troupe, producteur, réalisateur… Alioune Ifra Ndiaye, 48 ans, est un créateur et un entrepreneur pluridisciplinaire et pugnace. Né dans un milieu privilégié – son père est colonel de police, sa mère, femme d’affaires –, il a toujours eu le sens de la discipline et de l’action. Après des études de cinéma et un master en ingénierie culturelle à l’université du Québec à Montréal et des stages en France, il rentre à Bamako en 1997 pour passer une maîtrise d’histoire. L’année suivante, avec le dramaturge français Jean-Louis Sagot-Duvauroux, il fonde la compagnie BlonBa, qui prend la relève du célèbre Mandéka Théâtre.

Dix-neuf ans plus tard, la troupe est toujours aussi active. Elle enchaîne les spectacles au Mali, en Afrique de l’Ouest et en région parisienne (où elle dispose d’une antenne). Son directeur continue de produire, d’écrire ou de coécrire la plupart de ses spectacles. Il utilise la satire sociale inspirée du kotèba, le théâtre traditionnel mandingue, pour faire réfléchir la société sur ses travers, notamment la corruption, comme dans La Cité des profiteurs, qu’il a écrite et montée après le coup d’État de 2012, ou encore Ala Tè Suno Go (« Dieu ne dort pas »), mis en scène par Jean-Louis Sagot-Duvauroux en 2013.

Autre grand domaine d’activité de BlonBa, l’audiovisuel, avec la conception, la réalisation et la production de clips, documentaires, fictions et émissions de télévision. Inventeur du concept de « télékotèba », Ifra Ndiaye s’est fait connaître des téléspectateurs de l’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM) avec Jouvence Show, Le Bal des costumes traditionnels, Fatobougou (« la cité des fous ») et À nous la citoyenneté, un rendez-vous hebdomadaire mêlant pédagogie et courts-métrages satiriques dans le cadre du Programme national d’éducation à la citoyenneté, dont il a piloté le volet audiovisuel de 2006 à 2010.

Afin de toucher les plus jeunes, Alioune Ifra Ndiaye a adapté son essai en livret et, après les séances d’enregistrement en studio, suivies de six mois de répétition, sa troupe est fin prête pour jouer la comédie musicale Hôron (« loyal », « droit », « libéré », en bambara), dont Fatoumata Diawara a composé une partie des titres.

Après la générale, qui a eu lieu le 30 septembre lors de la soirée d’inauguration du nouveau BlonBa, une cinquantaine de représentations, destinées principalement aux lycéens et aux universitaires et suivies de débats, doivent être programmées par BlonBa dans une vingtaine de villes du pays.

Et pour sensibiliser encore plus ses compatriotes au b.a.-ba du civisme, Alioune Ifra Ndiaye envisage de créer très prochainement un mouvement politique – au sens premier et non partisan du terme : Wélé, qui signifie « l’appel » en bambara.

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