Thomas Sankara intime : les confidences de ses proches
Une passion pour la musique, ses relations avec Kadhafi, un caractère bien trempé… Ses amis, ses compagnons d’armes, sa famille racontent un président du Faso aux nombreuses facettes.
Qui a tué Sankara ? Retour sur une affaire d’État, 30 ans après…
Le 15 octobre 1987, le président burkinabè Thomas Sankara était assassiné avec douze de ses compagnons. Trente ans après, alors que le doute sur le commanditaire plane encore, le souvenir du leader de la révolution du Burkina Faso est toujours présent dans l’esprit de ses proches, comme dans celui de nombreux Burkinabè.
La musique, encore et toujours
Par le colonel Bernard Sanou, ancien directeur du génie militaire et ex-membre du Conseil national de la révolution (CNR)
« À la fin des années 1970, Thomas était le commandant du Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Pô, dans le sud du pays. Comme il jouait de la guitare, il a eu l’idée de monter un groupe avec ses hommes. À une dizaine, nous avons donc créé le Missile Band de Pô. Nous jouions de tout : rumba, musique congolaise, musique cubaine… Nous organisions des bals le week-end, auxquels participaient les familles de soldats. Selon Thomas, c’était un bon moyen pour que ses troupes se détendent. Et puis c’était un passionné de musique. Quand nous discutions et qu’une guitare traînait à côté de lui, parfois il s’arrêtait, jouait quelques accords, puis reprenait la conversation. Quand il est devenu président, nous avons continué à jouer entre vieux camarades au Palais, parfois jusqu’à l’aube. Ces soirées le mettaient de bonne humeur. Et ses ministres aussi : quand nous passions la nuit à jouer, Thomas ne les convoquait pas à 8 heures le samedi matin, comme il avait parfois l’habitude de le faire ! »
Une prise de pouvoir orchestrée au cordeau
Par Abdoul Salam Kaboré Pharmacien et Ministre de la santé de 1983 à 1986
« En juillet 1983, Thomas était en résidence surveillée à Ouagadougou. Cela ne l’a cependant pas empêché de préparer sa prise du pouvoir contre Jean-Baptiste Ouédraogo avec plusieurs proches. J’étais pour ma part chargé de faire le messager entre lui et Blaise Compaoré, qui dirigeait la garnison commando de Pô. Ils avaient une confiance totale l’un envers l’autre. Le 2 août, je suis ainsi allé informer Blaise que nous allions passer à l’action deux jours plus tard, le 4 août. Le jour J, en début de soirée, nous étions chez Thomas quand nous avons entendu les premiers tirs résonner au loin. C’était Blaise et ses hommes qui entraient dans Ouaga. Au même moment, nos factions locales démarraient les opérations. Thomas et moi avons sauté dans une Jeep et sommes allés rejoindre Blaise. Les deux hommes se sont salués chaleureusement, mais sans effusion. Nous sommes ensuite allés à la Radiodiffusion nationale pour annoncer notre prise du pouvoir, puis sur la place de la Nation. Sur le bord de la route, la population nous acclamait. »
Vexé par la France
Par Émile Nakoulouma, ancien garde du corps de Thomas Sankara
« Début octobre 1983, j’ai accompagné Thomas en France pour assister au sommet France-Afrique à Vittel. Quand nous nous sommes posés à Paris, il a regardé par le hublot de l’avion et a constaté que c’était Guy Penne qui attendait sur le tarmac pour l’accueillir. Il était furieux de cet affront [le conseiller Afrique de François Mitterrand était alors suspecté d’avoir demandé l’arrestation de Sankara à Ouagadougou, en mai 1983] et a menacé de saboter le sommet. À notre descente d’avion, il a salué Penne et nous nous sommes rendus directement à l’hôtel. Le soir, une réception était prévue à l’Élysée avec tous les chefs d’État du continent. Thomas avait décidé qu’il la boycotterait. Mitterrand a donc envoyé son fils Jean-Christophe pour tenter de le faire changer d’avis. Quand celui-ci est arrivé à l’hôtel, l’aide de camp de Thomas lui a répondu que le président dormait et qu’il n’était pas possible de le voir [Jean-Christophe Mitterrand assure l’avoir finalement vu]. Le lendemain, Thomas a finalement pris l’avion pour Vittel. Il est resté droit et fier dans son treillis tout le long du sommet, sans faire la moindre déclaration. »
L’ami Kadhafi et l’avion russe
Par Mousbila Sankara, ambassadeur du Burkina Faso en Libye de 1983 à 1987
« En 1986, Thomas devait effectuer un voyage officiel à Moscou. Comme il n’avait pas d’avion, nous avons sollicité les Libyens pour qu’ils nous en prêtent un. Mais entre-temps, les Russes, plus rapides, nous ont envoyé un avion à Ouaga. Thomas et sa délégation sont donc partis avec en URSS. Sur le chemin du retour, ils ont fait escale à Tripoli. Quand Kadhafi a reçu Thomas, il s’est excusé et lui a annoncé qu’il mettait un Boeing et son équipage à sa disposition pour ses prochains voyages. Nous sommes donc rentrés à Ouagadougou avec cet avion libyen, qui a ensuite servi à plusieurs déplacements officiels, comme au Congo ou en Angola… Thomas et Kadhafi entretenaient une relation complexe, mais ils s’entendaient plutôt bien. Ils étaient très spontanés l’un avec l’autre et ne s’embarrassaient pas des habituelles rondeurs diplomatiques dont peuvent user d’autres dirigeants. »
Incorruptible et prodigue
Par Fidèle Toé, ancien ministre de la Fonction publique
« Gnassingbé Eyadéma est l’un des premiers chefs d’État africains qui a donné de l’argent liquide à Thomas. D’autres ont suivi, comme Félix Houphouët-Boigny ou Omar Bongo. À chaque fois, il s’agissait de plusieurs dizaines de millions de F CFA. Tous pensaient qu’ils parviendraient à corrompre Thomas avec leurs vieilles méthodes qui marchaient si bien sur d’autres. Sauf que lui n’était pas comme eux. Il était incorruptible. Il prenait leur argent mais ne le gardait pas pour lui. Il revenait en Conseil des ministres et annonçait à tout le monde qu’il avait reçu telle somme de tel président et que cela permettrait de financer tel projet, comme la construction d’une cité, d’une école ou d’un dispensaire… Je lui ai rapidement conseillé d’être plus discret, pour ne pas s’attirer d’ennuis avec les présidents qui lui avaient donné de l’argent. Ces derniers ont ensuite fini par comprendre qu’ils ne l’auraient pas comme ça. »
Pas de passe-droit pour la famille
Par Blandine Sankara, sœur cadette de Thomas Sankara
« Le 4 août 1987, Thomas avait prévu de fêter le 4e anniversaire de la révolution à Bobo-Dioulasso, avec [le président ghanéen] Jerry Rawlings. Il souhaitait que ses jeunes frères et sœurs soient présents à cette célébration. Nous sommes donc partis à cinq [sur les douze que compte la fratrie Sankara] de Ouaga, dans un car avec des soldats. À notre arrivée à Bobo, nous imaginions que tout avait été organisé et que quelqu’un serait là pour nous accueillir. Mais ce n’était pas le cas, et nous avons dû rester à la gare, avec nos baluchons, en attendant de trouver quelqu’un chez qui dormir. Le jour J, nous étions dans la foule qui acclamait le cortège de notre frère et de Rawlings. Nous avons tenté d’interpeller Thomas à son passage, mais il ne nous a pas entendus. Nous avons finalement passé tout le séjour sans le voir et avons encore dû nous débrouiller pour rentrer à Ouaga. Quelques jours plus tard, notre mère, qui était furieuse, a vertement rabroué Thomas. Il lui a rétorqué que ce n’était pas parce que nous étions ses frères et sœurs que nous avions droit à des privilèges par rapport aux autres Burkinabè. Il a toujours été intransigeant là-dessus : il était certes chef de l’État, mais à aucun moment il n’a fait profiter sa famille d’un quelconque avantage. »
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