Cameroun – Akere Muna : « Pourquoi je suis candidat »
Avocat anglophone et figure de la lutte anticorruption, il s’est longtemps tenu à distance de la politique, mais a décidé, à 65 ans, de se lancer dans la course. Il a choisi Jeune Afrique pour l’annoncer.
Jeune Afrique : Vous avez donc décidé de vous présenter à l’élection présidentielle de 2018…
AKERE MUNA : Oui. Je suis candidat, car l’état de mon pays m’incite à vouloir faire partie de la solution. Depuis deux décennies, j’ai beaucoup travaillé sur la gouvernance, l’économie, mais aussi l’État de droit. Me présenter est la seule façon de partager mon expérience au bénéfice des Camerounais.
Dans le passé, vous avez pourtant déclaré ne pas vouloir être candidat face au président Biya. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
En ce moment troublé de notre histoire et face aux périls qui nous menacent, il serait souhaitable que Paul Biya passe le relais. Mon espoir est qu’il nous offre une transition paisible. Ahidjo et Biya n’ont pas accédé au pouvoir par la volonté du peuple. Je veux croire qu’en 2018, pour la première fois, les Camerounais pourront vraiment choisir leur président.
Vous êtes le fils de Salomon Tandeng Muna, l’un des artisans de la réunification des deux Cameroun. Est-ce un avantage dans ce contexte où l’État unitaire est remis en question ?
Mon père a été parmi les pionniers de la réunification de la République fédérale. Il souhaitait que les Camerounais se retrouvent après des décennies de séparation. D’aucuns pensent qu’il a mal négocié ; d’autres pensent qu’il a « vendu » les anglophones. Mais il était de bonne foi, et j’assume son héritage sans regrets, même s’il n’est pas juste de juger un fils qui se propose d’agir aujourd’hui sur ce qu’a fait son père il y a soixante ans.
Votre candidature est perçue comme une trahison à l’égard du système dont votre famille serait l’un des bénéficiaires…
Mon frère Bernard était magistrat. Il a quitté la fonction publique parce qu’à chaque fois qu’il devait monter en grade, on lui rappelait que son père était ministre. Il a même été convoqué par Ahidjo qui lui avait promis de le nommer procureur général de Bamenda. Il préféré le barreau. Mon frère George qui est agronome a créé une usine de textile. On lui a confié la fabrication des pagnes du RDPC pour une campagne électorale. Il n’a jamais été payé et attend encore la facture de 1,5 milliard de francs CFA. Il n’a jamais été payé et a été ruiné. Dans son exploitation agricole, la SNI a emprunté ses engins sans son autorisation. Le préjudice a été évalué par le Ceneema [Centre national d’études et d’expérimentation du machinisme agricole] à près de 3 milliards. De quels bénéfices me parle-t-on ?
Vous-même avez été avocat de l’État…
Oui, j’ai été avocat de l’État. J’étais le seul anglophone avec une expérience. Les seuls dossiers dont j’ai hérité étaient ceux qui impliquaient des pays anglo-saxons. Aux États-Unis, où j’ai notamment représenté le chef de l’État pour faire valoir son immunité. En Angleterre, où j’ai empêché la vente de l’ambassade du Cameroun. Dans les juridictions francophones, je n’ai représenté l’État que sur le dossier Marc Vivien Foe. En plus, j’ai préfinancé ce dossier. Cela s’est d’ailleurs terminé avec beaucoup de problèmes.
Et vous-même, choisiriez-vous l’État unitaire ou le fédéralisme ?
Je choisirais la forme de l’État qui respecte nos différentes cultures. Je rapprocherais le pouvoir du citoyen, ce qui correspond au fédéralisme.
Que vous inspirent les manifestations récentes survenues dans les deux régions anglophones ?
Je les ai vécues dans la douleur. Rien ne justifie que des Camerounais soient tués. Ensuite, certaines personnes croient que ce pays leur appartient. Elles pensent détenir une autorité supérieure et pouvoir prévoir l’avenir du Cameroun contre la volonté des autres. C’est triste.
Un bon président doit avoir une histoire d’amour entre le peuple et lui-même
Pensez-vous vraiment que le chef de l’État envisage de passer la main en 2018 ?
Je ne sais pas, mais je suis convaincu que l’on ne peut pas évoquer les problèmes actuels du Cameroun en faisant abstraction du contexte électoral.
Quel président souhaitez-vous être ?
Un président qui est à l’écoute. J’aimerais citer l’ex-présidente du Malawi, Joyce Banda, qui avait affirmé qu’« un bon président doit avoir une histoire d’amour entre le peuple et lui-même ».
Pensez-vous que le pays soit prêt à élire un anglophone à sa tête en 2018 ?
Je pense que les Camerounais sont prêts à élire un président susceptible d’améliorer leur quotidien et de ramener la fraternité entre eux. Un président proche d’eux. À cet égard, ma double culture est un atout. N’ai-je pas été élu bâtonnier par un barreau en majorité francophone, dont les membres se sont juste demandé ce que j’étais capable de faire pour eux ?
Paul Biya devra-t‑il s’inquiéter si vous êtes élu ?
Non. Il est hors de question d’entreprendre quoi que ce soit contre lui. Je me sens une obligation, en tant qu’Africain, de le protéger. Je suis avocat et j’estime qu’il faudrait une raison vraiment extraordinaire pour le poursuivre. J’ajoute que le président de la République a longtemps travaillé avec mon père et que j’ai une relation spéciale avec lui. Souvenez-vous : lorsque Ahmadou Ahidjo s’absentait, mon père assurait l’intérim. À l’époque, j’ai vu le secrétaire général à la présidence qu’était Paul Biya venir travailler avec mon père à Buéa.
S’agissant du Camerounais de naissance, qui prend une autre nationalité et qui décide de la garder, je propose de créer une carte de séjour spéciale qui lui permettra d’aller et venir sans visa
Que représente la diaspora camerounaise pour vous ?
Notre diaspora constitue une richesse. Il faut que les Camerounais de l’étranger aient le droit de rentrer au Cameroun sans inquiétude. S’agissant du Camerounais de naissance, qui prend une autre nationalité et qui décide de la garder, je propose de créer une carte de séjour spéciale qui lui permettra d’aller et venir sans visa. Vous constaterez avec moi que l’interdiction de la bi-nationalité n’est même pas respectée. Nous voyons des Camerounais bi-nationaux ici voter à l’ambassade de France, notamment, mais on impose aux camerounais de l’étranger des frais de visas. L’État peut et doit même aider des membres de la diaspora. À charge pour eux de consacrer un peu de leur temps au service de leur pays.
Comment comptez-vous assurer l’indépendance de la justice ?
Les magistrats devraient gérer eux-mêmes leurs propres carrières à travers la Cour suprême. Trouvez-vous normal que le président de la Cour suprême ne préside pas le Conseil supérieur de la magistrature ? Et que ce soit le ministre de la Justice qui parle au nom de la magistrature ? Comment comprendre que, sur le plan protocolaire, le président de la Cour suprême soit supérieur au ministre de la Justice, alors que sur le plan professionnel, le ministre soit son supérieur ? Cela n’a pas de sens ! Si un ministre veut licencier le président de la Cour suprême, eh bien oui, on le change par décret ! C’est anormal. Il faut créer un département qui s’occupe des magistrats du siège et un autre qui s’occupe des parquetiers. Le procureur général de la Cour suprême deviendrait donc le conseiller juridique de l’État…
S’agissant de votre combat contre la corruption ?
Pour bien la combattre, nous devons veiller à ce que ceux qui y travaillent soient eux-mêmes intègres. Ceux qui sont accusés au même suspectés d’être des vecteurs de corruption ne peuvent pas être les mêmes qu’on charge de la lutte contre la corruption. Il faut y nommer des gens indépendants, qu’on ne peut pas démettre de manière discrétionnaire. Ils doivent avoir un mandat précis. Ils doivent pouvoir enquêter, accuser et poursuivre. Au Ghana ce département compte 800 personnes. Il nous faut rassembler tous les textes qui luttent contre la corruption.
Je créerai un système d’assurance maladie
Il y a aussi l’application de l’article 66 de la Constitution sur la déclaration de biens…
Dès que je suis élu, je fais appliquer l’article 66 de la Constitution. Si vous allez sur le site de Transparency International, vous tapez mon nom, vous verrez l’ensemble de mon patrimoine. Quand on prend la résolution de servir l’État, on se plie à la loi.
D’autres priorités ?
Je créerai un système d’assurance maladie. La veuve de l’un de mes employés a été transportée à l’hôpital pour une morsure de serpent. On m’a appelé à une heure du matin parce que le personnel médical exigeait le paiement avant de lui administrer des soins ! Alors qu’il s’agissait d’une question de secondes ! Ce n’est pas concevable dans une société civilisée. Nous allons mettre en place une assurance maladie. Je propose de la créer sur la base d’une cotisation annuelle de 1000 F CFA à payer par chaque Camerounais. Cela pourrait nous permettre d’avoir un système d’assurance qui protège tout le monde. Je demande à tous les citoyens de bonne foi de nous proposer leurs idées. Nous nous en sortirons ensemble.
Ensemble vers une Nouvelle République
— Akere Muna (@AkereMuna) October 8, 2017
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