Ramzy Bedia à l’affiche du film Coexister : « Je n’aurais jamais pu me moquer d’un imam »
Défenseur d’un islam tolérant dans la vie, l’acteur d’origine algérienne Ramzy Bedia interprète un faux imam dans Coexister, le nouveau film religieusement incorrect de Fabrice Éboué.
Mon premier est un rabbin hypocondriaque (joué par Jonathan Cohen) qui se pulvérise toutes les deux minutes avec une solution nasale à base d’eau de la mer Morte. Mon second est un prêtre insupportablement aimable et coincé (Guillaume de Tonquédec). Mon troisième est un chanteur de raï alcoolo, coucheur, complotiste et vaguement antisémite (Ramzy Bedia) qui se fait passer pour un imam. Mon tout ? Un boys band improbable qui tente de sauver la mise à un producteur de musique en chantant le vivre-ensemble.
La religion, un sujet délicat
Le scénario de Coexister peut paraître totalement absurde. Il l’est. Légèrement inspiré du succès français des Prêtres, un trio de chanteurs issus du clergé catholique, le drôle de long-métrage de Fabrice Éboué cherche surtout à s’attaquer par le fou rire à un sujet devenu tabou : la religion.
Et sans prendre de gants, en n’omettant ni les blagues sur les curés pédophiles et les jihadistes ni l’humour noir sur la Shoah. « En voyant le scénario, je me suis dit : “Ça sent la peau de banane” », confie Ramzy. L’acteur a replié sa longue silhouette dans le fauteuil du luxueux hôtel parisien où il assure la promotion du film.
Le « serial vanneur », titillé sur la spiritualité, affiche une mine inhabituellement grave. « Parler de religion, et surtout de l’islam, c’est devenu très compliqué depuis l’attentat de Charlie Hebdo. Et puis je pensais qu’on resterait sur des poncifs : “On est différents, mais finalement tous les mêmes, aimons-nous.” Mais à la lecture du projet j’ai ri à mort, comme les spectateurs qui ont pu voir des avant-premières, d’ailleurs… Alors que je m’attendais à ce qu’on se prenne des baffes ! Je pense que ce film a quelque chose de libérateur. »
Ramzy Bedia, le « français musulman »
Coexister est une étrange parenthèse dans la filmographie de celui qui se définit comme un « Français musulman », tout en veillant à laisser le Coran dans les loges. Avec son complice de vingt ans Éric Judor, il s’est gondolé de presque tout, sans limites. Mais sur le ton de l’absurde, en évitant soigneusement de cocher les cases « racailles », « cités », « communautarisme »… et « religion ».
Pourtant il aurait certainement eu des choses à dire. Ramzy Habib El Haq Bedia est un fils d’émigrés algériens qui se sont installés à Gennevilliers, en banlieue parisienne, après l’indépendance. « C’est mon père, soufi, qui m’a transmis un certain sens mystique, précise l’acteur. Mais, pour lui, la religion arrivait en second. Il me disait : “D’abord, sois un homme respectable, fais en sorte de toujours pouvoir te regarder dans la glace, après tu pourras te préoccuper de Dieu.” »
Chez les Bedia, la religion est une affaire privée, intime, qui suppose une certaine pudeur. Père et mère ferment la porte de leur chambre lorsqu’ils font leurs prières.
Une éducation religieuse
Communion. Plus surprenant, l’inscription à l’école publique et laïque étant synonyme pour eux d’échec scolaire en banlieue, ils optent pour l’enseignement privé dans une institution catholique, de la primaire au BTS.
Le paternel continuera même à travailler après la retraite pour rembourser les frais de scolarité du petit Ramzy. « Bien sûr, je n’ai pas fait ma communion, mais je priais chaque midi avant le repas. » Un peu interloqué, on lui réclame une preuve… et il se met aussitôt à entonner d’une belle voix de ténor un « Je vous salue Marie ». Jusqu’au bout de la prière. Puis d’ajouter : « Je crois qu’en fait cette éducation a renforcé mon islamité, non pas que je rejetais le christianisme, mais cela a donné de l’épaisseur à ma spiritualité. »
Silence. Ramzy aspire longuement la fumée d’une cigarette « empruntée » à la photographe de Jeune Afrique. Un rai de lumière se pose sur son visage aux traits anguleux, à la barbe fournie ; image changeante qui évoque une figure christique ou un fou d’Allah, en fonction de l’inclinaison de ses larges sourcils.
Est-ce qu’il n’a pas eu des réticences à jouer un personnage de religieux qui accumule les vices, boit, ment, couche dès qu’il peut ? « Mais ce n’est pas vraiment un religieux, c’est un chanteur de raï qui se fait passer pour un religieux. Je n’aurais jamais pu me moquer d’un imam », prévient-il.
Ramzy dénonce la stigmatisation des musulmans
Apnée. L’acteur souhaite ne pas blesser les croyants. Et notamment les musulmans, qu’il juge trop souvent stigmatisés dans les médias. « Je suis choqué par le traitement des attentats à la télé, précise-t‑il. Il suffit qu’un type crie “Allah akbar” après avoir poignardé quelqu’un pour qu’on le présente comme un musulman. En France, nous sommes des millions à le dire cinq fois par jour, mais la formule est suivie par des paroles d’amour et de paix. »
Mes potes musulmans ne sont pas des barbus qui veulent détruire l’Occident », explique l’humoriste
Quand on lui demande si le wahhabisme, cette lecture très manichéenne du Coran, ne fait pas plus d’émules en France aujourd’hui, il ironise. « Le wahhabisme ? Je ne sais pas ce que c’est, je ne connais aucun wahhabite parmi les gens que je fréquente. Mes potes musulmans ne sont pas des barbus qui veulent détruire l’Occident, mais des gens ordinaires avec qui on peut parler, qui se sentent parfaitement français. »
Le climat de défiance généralisée lui pèse. « C’est un peu dur à vivre de ne pas pouvoir monter dans un avion sans être regardé de travers, même si je peux comprendre qu’on se méfie. Lorsqu’il y a eu la fusillade à Las Vegas, on était tous en apnée en attendant de connaître le nom du tueur… Quand on a entendu “Stephen Paddock”, qui n’était pas connoté musulman, on s’est remis à respirer ! »
« L’humour communautaire » ne l’a jamais tenté
Dans le silence qui suit, on prend la mesure du décalage entre le comique potache habituellement invité sur les écrans et cet homme humble et doux de 45 ans, qu’on ne sent pas si à l’aise dans ses Stan Smith. Peut-être aussi parce que la nouvelle génération d’humoristes s’est engouffrée dans la brèche communautaire qui ne l’a jamais tenté.
Avec Éric Judor, ils s’étaient trouvé une fascination commune pour les délires des Marx Brothers ou du comique américain Harold Lloyd. Leur duo a été révélé à la fin des années 1990, quand Albert Dupontel ou François Rollin faisaient trembler de rire en misant sur l’autodérision et l’absurde.
Il assume d’être souvent appelé pour jouer « l’Arabe de service »
Aujourd’hui, ce sont les stand-uppers formés à l’école du Jamel Comedy Club qui cartonnent, et qui le font grincer des dents. « Le fond et la forme sont toujours les mêmes. Ils arrivent en dansant, super bien sapés, font des vannes sur les Noirs, les Arabes, leurs communautés… toujours les mêmes sujets. Je n’adhère pas. Peut-être parce que j’ai un peu trop de bouteille, mais aussi parce qu’il n’y a et qu’il n’y aura jamais qu’un seul Jamel. Je pense que la prochaine grosse surprise comique, ce sera un mec blanc qui parlera de la campagne. »
S’il a toujours voulu échapper au profilage facile, il assume d’être souvent appelé pour jouer « l’Arabe de service » et signe, tant que c’est pertinent dans le scénario.
« Et puis la palette des rôles s’élargit », observe-t‑il dans un sourire. Sur petit écran, il retrouve Éric Judor en janvier sur Canal+ pour un light show mêlant entretiens et sketchs. Sur grand écran, on pourra le voir en février dans Les Aventures de Spirou et Fantasio, où il incarne Zorglub. Zorglub ? Ramzy éclate de rire : « Oui, Zorglub, le grand méchant… Encore un rôle d’Arabe ! »
Providentielle tranche de rire
Certains signes ne trompent pas. Lorsque, même pendant une projection pour la presse, les journalistes, qui se la jouent d’habitude fine bouche, se gondolent sur leur fauteuil, c’est que le film vaut son pesant de gloussements.
Certes, Fabrice Éboué ne révolutionne pas l’art de la réalisation. Coexister est filmé assez platement. Même l’intrigue est un peu bancale : on se désintéresse assez rapidement du producteur de musique dans le pétrin qui tente de se refaire en engageant les trois religieux.
Mais ce fil rouge est le prétexte à des sketchs réellement hilarants, dégommant les clichés avec la finesse d’un bazooka. Le clip du trio infernal, à lui seul, justifie l’achat d’un ticket. Surtout, cette poilade mystique fait du bien, à l’heure où les questions religieuses provoquent tant de crispations.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles