L’État ivoirien a-t-il apporté son aide aux putschistes burkinabè ?
Deux ans après, le coup d’État manqué au Burkina recèle toujours sa part de mystère. Notamment sur l’implication présumée de certaines personnalités politiques et militaires ivoiriennes.
Publié le 20 octobre 2017 Lecture : 9 minutes.
Le coup d’État manqué au Burkina Faso n’a pas encore révélé tous ses mystères. Durant cette semaine de septembre 2015 qui a fait vaciller leur pays, les Burkinabè s’interrogeaient déjà sur le possible soutien extérieur dont auraient pu bénéficier les putschistes. Leurs soupçons se sont vite dirigés vers la Côte d’Ivoire, terre d’exil du président déchu Blaise Compaoré. Les liens des anciens dignitaires du régime de ce dernier avec Abidjan ne sont un secret pour personne. Aujourd’hui, ces craintes sont loin d’avoir été dissipées.
Le 8 octobre, le site d’information français Mediapart a en effet publié des extraits de l’ordonnance du juge d’instruction François Yaméogo, chargé de l’enquête au tribunal militaire de Ouagadougou. On y apprend notamment que le général Gilbert Diendéré a affirmé, lors de sa déposition, avoir reçu de l’argent et du matériel de maintien de l’ordre de la part de Vagondo Diomandé, le chef d’état-major particulier du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara (ADO). Avec ces nouvelles déclarations, la question se pose : le plus haut niveau de l’État ivoirien a-t-il apporté son soutien politique et opérationnel aux putschistes burkinabè ?
Crise de 2015
Retour sur les faits. Le 19 septembre 2015, Ouagadougou est quadrillée depuis trois jours par les militaires du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). L’ancienne garde prétorienne de Blaise Compaoré a pris le pouvoir par la force et installé son patron historique, le général Gilbert Diendéré, à la tête de l’autoproclamé Conseil national pour la démocratie (CND).
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Comme il le confie à certains de ses interlocuteurs, la situation est « un peu compliquée » pour Diendéré. Il se sent isolé et doit motiver ses hommes. Il ordonne alors à un hélicoptère MI-17 de l’armée de l’air d’effectuer un discret aller-retour à la frontière ivoirienne. À son bord : un équipage de quatre militaires qui ignorent tout de leur mission et le capitaine Gaston Ouédraogo, le chef du service administratif et financier du RSP.
L’appareil se pose à 500 km de la capitale burkinabè, à Niangoloko. Sur place, des gendarmes sécurisent la zone, tandis que deux 4×4 ivoiriens font leur apparition. Ils transportent des caisses de grenades lacrymogènes et une valise d’argent. L’hélicoptère redécolle rapidement après avoir récupéré sa précieuse cargaison. Retour au palais de Kosyam. « Les caisses de grenades lacrymogènes et la valise ont été chargées dans le 4×4 d’un officier du RSP, raconte un militaire présent ce jour-là. Le capitaine Ouédraogo est monté dedans, puis il a filé directement à l’état-major particulier de la présidence [les bureaux de Diendéré], situé à quelques centaines de mètres. »
Proches de l’ancien président Blaise Compaoré
Au juge Yaméogo, Diendéré assure que de l’argent a été donné à deux responsables politiques pro-Compaoré : Léonce Koné, vice-président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), et Hermann Yaméogo, le patron de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD). À leur tour interrogés par le magistrat, ces deux hommes auraient reconnu avoir reçu la somme de 50 millions de F CFA (environ 76 000 euros) « d’une puissance étrangère ». Contacté par JA, Koné reconnaît avoir perçu de l’argent, « mais pas de l’étranger ».
C’est « totalement faux », confirme-t-il. En outre, Diendéré a dit au juge d’instruction avoir reçu 84 millions de F CFA après en avoir fait la demande au général Diomandé, destinés selon lui aux militaires du RSP. Au sein du régiment putschiste, très peu semblaient informés de l’existence de cette « aide », encore moins qu’elle serait venue de Côte d’Ivoire. « Nous n’avons jamais vu la couleur de cet argent, assure un ex-officier du RSP sous le couvert de l’anonymat. Nous avons même dû donner de notre poche pour aider certains soldats, car les banques étaient fermées. » Plusieurs sources évoquent pourtant des sommes allant jusqu’à 500 millions de F CFA.
Le discret Diomandé
Évoluant dans l’ombre de leurs patrons respectifs depuis des années, Diendéré et Diomandé se connaissent bien. Très discret, voire effacé, ce dernier est l’un des militaires les plus proches d’ADO. Lorsque Ouattara était Premier ministre, de 1990 à 1993, il était son aide de camp. Écarté des premières sphères du pouvoir dès l’arrivée d’Henri Konan Bédié à la présidence, il est rappelé par le général Robert Gueï au lendemain du coup d’État de 1999.
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Mais ses origines ouest-ivoiriennes – il vient de la région de Man, comme Gueï – ne le protègent pas de la défiance qui s’abat rapidement sur les pro-Ouattara. Interpellé à la suite du prétendu « complot du cheval blanc », en 2000, il est torturé avant d’être relâché. Lorsque la rébellion contre Laurent Gbagbo s’installe dans le nord du pays, en 2002, Diomandé reste à Abidjan. À l’arrivée des Forces nouvelles dans la capitale économique, en 2011, il apporte son aide, en partageant notamment son expertise militaire avec Guillaume Soro lors des derniers combats.
De nombreuses sources diplomatiques et sécuritaires écartent la possibilité d’une initiative personnelle de Diomandé
Sitôt installé à la présidence, ADO le nomme commandant du Groupement de sécurité du président de la République (GSPR) avant d’en faire, fin 2013, son chef d’état-major particulier. Le général devient à la fois conseiller et exécutant du président. « Il ne prend aucune initiative et répond aux ordres », explique un proche du pouvoir. Diendéré assure ne pas savoir si les fonds destinés aux putschistes burkinabè provenaient directement de Ouattara, mais de nombreuses sources diplomatiques et sécuritaires écartent la possibilité d’une initiative personnelle de Diomandé. « S’il a agi, c’est qu’ADO ou son frère [Téné Birahima Ouattara] le lui a demandé », dit un diplomate.
« Coup de pouce » ivoirien ?
Ministre des Affaires présidentielles, Téné Birahima Ouattara, gère notamment les questions sécuritaires et une partie des fonds de la présidence. Cet homme, qui n’apprécie guère d’être dans la lumière, connaît bien le Burkina Faso et Gilbert Diendéré. « Du temps de Compaoré, il faisait régulièrement des missions officieuses à Ouaga. C’est un personnage extrêmement discret et précautionneux. Il dormait à l’hôtel Laïco et ne voulait ni escorte ni voiture officielle. Il voyait quelques personnalités puis repartait », raconte un ex-proche de Blaise Compaoré. Sollicitée, la présidence ivoirienne a refusé de commenter l’affaire. Mais, dans l’entourage du chef de l’État, on dément formellement ces accusations. « Le président n’est pas mêlé à cette histoire et il n’a permis à aucun de ses collaborateurs de s’impliquer », assure un proche.
S’ils ne dédouanent en rien Guillaume Soro, ces nouveaux éléments font en tout cas sourire son entourage. « Nous savions depuis le début que la présidence avait décidé de donner un coup de pouce à Diendéré », affirme Sindou Meïté, l’un de ses conseillers. Le président de l’Assemblée nationale – dont les relations avec Alassane Ouattara se sont fortement dégradées ces derniers temps – était jusqu’ici la seule personnalité ivoirienne directement suspectée par la justice burkinabè d’être mêlée au putsch.
En novembre 2015, il était directement mis en cause par la publication de deux conversations téléphoniques présumées qu’il aurait eues avec le général Diendéré et Djibrill Bassolé pendant le coup d’État à Ouaga, dans lesquelles il soutiendrait ouvertement les putschistes. Ces soupçons avaient été renforcés par la découverte de 400 gilets pare-balles et d’argent liquide lors d’une perquisition de la gendarmerie dans sa villa à Ouaga 2000, très peu de temps après l’échec du coup d’État.
Écoutes téléphoniques
Mais Soro n’a pas été le seul à décrocher son téléphone. Nombreuses ont été les personnalités ivoiriennes à appeler le général Diendéré, comme l’ont prouvé d’autres écoutes téléphoniques captées par les services de sécurité burkinabè. Dans l’une d’entre elles, un homme présenté comme le général Soumaïla Bakayoko, à l’époque chef d’état-major de l’armée ivoirienne, conseillait ainsi à Diendéré « de mener l’action » pour faire basculer le rapport des forces. « Monte un truc bien. Quoi que ce soit, je ne sais pas [sic] », dit-il à son homologue burkinabè, avec lequel il a tissé des liens pendant la rébellion ivoirienne, dont il a aussi été le chef d’état-major.
« Bakayoko s’y rendait tous les mois pour rencontrer Compaoré, Diendéré et Bassolé », prétend un militaire français
Pour Bakayoko et les rebelles nordistes, Ouagadougou était alors une base de repli. « Bakayoko s’y rendait tous les mois pour rencontrer Compaoré, Diendéré et Bassolé », rappelle un militaire français. « La collusion entre les ex-responsables du régime Compaoré et les anciens rebelles ivoiriens est évidente. Ils se tiennent tous les uns les autres », poursuit un diplomate occidental. Très proche du couple Diendéré, le lieutenant-colonel Koné Zakaria, ancien commandant de zone (comzone), s’est lui entretenu avec Fatou, l’épouse de Gilbert, dans les dernières heures du putsch. Les deux se donnent du « mon fils » et du « la vieille ». « Ne vous en faites pas, ici vous avez beaucoup de soutiens la vieille ! […] Que ce soit en hommes, que ce soit d’autres… On ne peut pas tout dire. Mais c’était ma première fois de voir le général Bakayoko couler une larme [sic] », assure alors Koné Zakaria.
Kaboré a mis de l’eau dans son vin
Plus de deux ans après les faits, ces nouveaux éléments sur le soutien supposé d’Abidjan aux putschistes burkinabè peuvent-ils semer le trouble dans des relations qui commençaient à s’apaiser entre la Côte d’Ivoire et le Burkina ? « Les deux pays n’ont pas d’autre choix que de s’entendre. L’affaire du putsch a jeté un froid, bien sûr, mais depuis tout cela s’est tassé », pense un diplomate occidental en poste à Abidjan. Pour un homme d’affaires ivoirien proche du président Roch Marc Christian Kaboré, il y a peu de risques que la tension monte. « Ça fait un moment que les Burkinabè savent ce qui s’est passé pendant le putsch avec certains Ivoiriens. Aujourd’hui, le silence de Ouaga montre bien que c’est de l’histoire ancienne », estime-t-il.
Un temps agacé par ce soutien, Kaboré a rapidement mis de l’eau dans son vin. Réputé pour son pragmatisme et son sens du consensus, le chef de l’État burkinabè a joué l’apaisement avec Abidjan. Il a ainsi enterré le mandat d’arrêt international qui visait Guillaume Soro, laissant à la justice ivoirienne le soin de traiter ce cas explosif – ce qu’elle n’a toujours pas fait. En privé, Kaboré ne cache pas sa lassitude face au dossier du putsch. Il aimerait pouvoir le solder dès que possible, car il estime qu’il monopolise trop l’attention de ses compatriotes, en plus de compliquer les relations avec ses voisins.
L’exil de Blaise Compaoré sur les bords de la lagune Ébrié n’arrange en rien la situation. Pendant longtemps, l’entourage de Kaboré était convaincu que l’ex-président complotait contre eux depuis Abidjan. Le chef de l’État burkinabè s’est jusqu’à présent montré patient. Reste à savoir jusqu’à quand.
À quand le procès ?
Initialement prévue le 6 octobre, l’audience de confirmation des charges contre les Burkinabè Gilbert Diendéré et 106 autres inculpés, civils ou militaires, impliqués dans l’affaire du putsch manqué de 2015, débutera le 22 octobre. Cette phase de mise en accusation durera trois semaines et doit confirmer ou infirmer les charges retenues (attentat à la sûreté de l’État, trahison, crimes contre l’humanité, etc.)
La partie immergée des écoutes
Les différents enregistrements téléphoniques mettant en cause des responsables politiques et militaires ivoiriens dans le putsch manqué de septembre 2015 au Burkina Faso ont été captés par le système de surveillance mis en place sous le régime de transition par le Premier ministre Yacouba Isaac Zida et son ex-ministre de la Sécurité, Auguste Denise Barry. Alors que la situation était très instable à Ouaga, Gilbert Diendéré, ses proches et plusieurs militaires du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) avaient été placés sur écoute par les forces loyalistes qui se sont opposées au coup d’État. Cette surveillance téléphonique a rapidement révélé des contacts entre certains d’entre eux et des correspondants ivoiriens. « Quand nous écoutions, nous ne savions pas toujours qui était au bout du fil en Côte d’Ivoire », affirme un officier qui était au cœur de la contre-offensive loyaliste. Mais quelques interlocuteurs ont été facilement identifiés, comme Guillaume Soro ou le général Soumaïla Bakayoko. Plus d’une centaine de conversations auraient été enregistrées durant cette période, mais seules quelques-unes ont été divulguées par le premier cercle d’Isaac Zida et rendues publiques par différents médias ou via les réseaux sociaux.
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