Ces jeunes Israéliens qui refusent de rejoindre les rangs de Tsahal

Hostiles à la colonisation, plusieurs dizaines d’appelés refusent chaque année de porter l’uniforme de Tsahal. Un mouvement encore minoritaire, mais qui ne fait que prendre de l’ampleur.

Un soldat israélien lors d’un entraînement à la frontière syrienne, le 13 septembre 2016. © Ariel Schalit/AP/SIPA

Un soldat israélien lors d’un entraînement à la frontière syrienne, le 13 septembre 2016. © Ariel Schalit/AP/SIPA

perez

Publié le 30 octobre 2017 Lecture : 5 minutes.

En ce soir de juillet 2012, ils sont quelques centaines d’Israéliens à endurer la chaleur moite qui pèse sur Tel-Aviv. La foule, clairsemée, se compose d’anciens déportés et de leurs proches venus protester contre l’expulsion de migrants subsahariens décidée par les autorités. Soudain, Atta Buchman, 65 ans, surgit au milieu des pancartes, sa mine joviale éclairée par la lumière blanche des caméras de télévision qui scrutent depuis plusieurs minutes son arrivée. Cette fille de rescapés lituaniens de l’Holocauste, à l’origine du rassemblement, n’est pas seule. Une adolescente qui boite légèrement s’accroche à son fauteuil roulant. Oren Rimon, 15 ans à l’époque, n’en est qu’aux prémices de sa carrière militante. « Je suis en colère, car je ne peux pas accepter que mon pays dresse des murs contre les demandeurs d’asile. Les gens ici doivent se rappeler qu’eux aussi un jour ont eu besoin d’une terre d’accueil », clame au micro celle qui est encore lycéenne et qui consacre une part de son temps libre à une crèche clandestine où s’entassent des enfants de réfugiés érythréens.

Une rencontre marquante

La rencontre d’Oren avec Atta Buchman dans le cadre d’un projet scolaire avait constitué un tournant. Cinq ans plus tard, l’adolescente, invitée en septembre dernier en Belgique par l’Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB), est devenue une jeune femme au regard ardent et toujours aussi déterminée. Entre-temps, son combat s’est diversifié. À sa casquette d’activiste sociale s’est ajoutée celle de « refuznik ».

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En 2014, elle fait partie des cinquante signataires de la lettre des shministim (élèves de terminale), qui, presque chaque année, adressent au Premier ministre les raisons « idéologiques » de leur refus de s’engager dans l’armée, étape obligatoire pour les bacheliers des deux sexes.

« Lorsque j’ai reçu ma convocation, j’ai rejoint un groupe de jeunes appelés. Ensemble, nous avons rédigé une lettre expliquant notre refus de remplir nos obligations militaires. Certains d’entre nous ont été condamnés à des peines de prison par un tribunal », raconte Oren.

Des opinions assumées concernant la Palestine

Légèrement handicapée, la jeune militante a sans doute bénéficié de la clémence des autorités. Mais, loin de chercher à se réfugier derrière son handicap, elle a choisi d’assumer haut et fort ses opinions liées à la question palestinienne.

« Dans la société israélienne, on peut vivre toute sa vie sans voir l’occupation. Des années de militarisme – dans le système d’éducation, dans la culture et dans la rue – ont provoqué l’absence de tout esprit critique », affirme-t‑elle.

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Et, si Oren Rimon a développé une conscience politique dès son plus jeune âge, elle le doit certainement à sa mère, une militante d’extrême gauche chevronnée qu’elle a suivie dans de nombreuses manifestations pacifistes, jusque dans les territoires palestiniens.

Dans un pays toujours menacé par la guerre, refuser de servir sous les drapeaux reste mal perçu

« J’ai tout de suite vu le vrai visage de l’occupation. Pour moi, servir dans une armée qui enfreint les droits des Palestiniens et les contrôle en permanence, ç’aurait été comme un crime », poursuit la « refuznik », qui prend désormais fait et cause pour ce peuple sans État.

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En avril dernier, sur sa page Facebook, elle affiche ouvertement son soutien aux 1 500 prisonniers palestiniens en grève de la faim.

Représenter le drapeau israélien est indispensable

Dans un pays toujours menacé par la guerre, refuser de servir sous les drapeaux reste mal perçu. Historiquement, l’origine de ce mouvement remonte à 1979.

Gadi Algazi, à la tête d’un groupe de 27 appelés, est alors le premier Israélien à refuser d’être enrôlé dans les territoires occupés.

La première guerre du Liban, en 1982, agira comme un catalyseur après le massacre de réfugiés palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila par les phalanges chrétiennes.

Lors de ce tout premier soulèvement populaire palestinien, près de 180 soldats israéliens sont jugés et emprisonnés pour des faits d’insubordination

Les objecteurs de conscience israéliens ne se contentent pas de s’indigner du silence de l’armée mais s’opposent aussi à l’occupation du Sud-Liban par leur pays.

Ces contestataires se regroupent dans l’ONG Yesh Gvoul (« il y a une frontière »), qui fera des émules jusqu’à l’Intifada, en 1987.

Lors de ce tout premier soulèvement populaire palestinien, près de 180 soldats israéliens sont jugés et emprisonnés pour des faits d’insubordination.

Les « refuzniks » : un mouvement visible

Les « refuzniks », d’abord marginalisés, ont progressivement gagné en visibilité et en résonance du fait de l’usure du conflit ressentie par une partie de la population.

Après l’euphorie des accords d’Oslo dans les années 1990, le mouvement a repris de l’ampleur au moment de la seconde Intifada.

En janvier 2002, avant même que Tsahal ne réoccupe la totalité des villes palestiniennes de Cisjordanie pour mettre fin aux attaques kamikazes, une cinquantaine de soldats et officiers rédigent la « lettre des combattants » et reçoivent le soutien de 650 réservistes.

Ils se regroupent au sein de l’association Courage to Refuse (« le courage de refuser »), en adoptant un credo aussi provocateur que significatif : « Le sionisme, c’est s’opposer à l’occupation. »

En septembre 2003, 27 pilotes israéliens – l’élite de la nation – créent une onde de choc en déclarant ne plus vouloir effectuer de frappes « au-dessus des territoires occupés, Cisjordanie et bande de Gaza ».

Leur démarche est motivée par les conditions de la liquidation d’un haut dirigeant du Hamas, Salah Chehadeh, un an plus tôt.

L’attaque, menée à l’aide d’un missile d’une tonne, avait tué 15 civils palestiniens, dont 9 enfants.

Le pouvoir de protester

Ces mouvements de protestation sont progressivement renforcés par les témoignages d’anciens soldats via, notamment, l’ONG Brisons le silence. En 2014, une quarantaine d’ex-officiers issus de l’unité 8200 – cybernétique et renseignement militaire – brisent un tabou en racontant les coulisses des opérations aériennes menées à Gaza.

« Je me souviens du silence écrasant qui régnait dans la salle où nous travaillions au moment précis des frappes de l’aviation contre les cibles. Un silence tendu où perçait l’espoir d’avoir causé des dommages. Puis, une fois chaque attaque terminée, des acclamations et des applaudissements retentissaient dans la pièce. J’étais mal à l’aise : il était très difficile d’accepter que personne ne se préoccupe de savoir qui d’autre avait été touché. Pendant cette campagne, des centaines de civils ont été tués, des victimes collatérales », écrit l’un des signataires de cette lettre.

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