Clarence Rodriguez : « Les jeunes Saoudiens bousculent les traditions »

Correspondante à Riyad de 2005 à 2017 pour de grands médias français, la journaliste Clarence Rodriguez publie un ouvrage très éclairant réalisé sur la base d’entretiens menés pendant deux ans.

L’auteure d’Arabie saoudite 3.0., le 6 octobre, à Paris. © Vincent Fournier/JA

L’auteure d’Arabie saoudite 3.0., le 6 octobre, à Paris. © Vincent Fournier/JA

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 28 octobre 2017 Lecture : 3 minutes.

Quand, le 26 septembre, un décret royal saoudien permet enfin aux femmes du royaume de conduire, il confirme l’espoir formulé dans l’épilogue d’Arabie saoudite 3.0. Paroles de la jeunesse saoudienne (éditions Erick Bonnier, Paris, octobre 2017), alors sous presse. Correspondante à Riyad de 2005 à 2017 pour de grands médias français, Clarence Rodriguez a réalisé ce petit ouvrage aussi vivant qu’éclairant sur la base d’entretiens menés pendant deux ans avec de jeunes Saoudiens et Saoudiennes.

Jeune Afrique : Quelle est cette jeunesse saoudienne 3.0 dont vous parlez ?

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Clarence Rodriguez : Il s’agit des jeunes qui ont envie de faire bouger les choses et dont beaucoup ont bénéficié de la bourse de feu le roi Abdallah depuis 2005 pour aller étudier à l’étranger. Plutôt que de chercher à rester dans le pays où ils ont étudié, ils ont tenu à revenir en Arabie saoudite pour s’y investir.

En majorité, les Saoudiens et les Saoudiennes restent conservateurs

Ces jeunes des classes moyennes biberonnés aux réseaux sociaux ne sont pas si différents de ceux de Los Angeles, Paris, Shanghai ou même Téhéran, dont ils partagent les aspirations comme les tentations. Leur mentalité est très différente de celle de leurs parents et aïeux, ils bousculent les traditions et les préceptes religieux, ils s’éloignent des mosquées et – tout un symbole – veulent se débarrasser des habits traditionnels.

Sont-ils vraiment représentatifs de la société ?

En majorité, les Saoudiens et les Saoudiennes restent conservateurs. Si mon livre expose des humeurs partielles et partiales, celles-ci expriment une tendance progressiste réelle dans la société saoudienne qui explique en partie la libéralisation engagée par le pouvoir. Celle-ci vient aussi du fait que l’ensemble de la population est contaminé par la crise due à la chute des cours du pétrole.

Le Coran n’interdit pas aux femmes de conduire et de travailler mais la tradition l’a voulu

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Alors que les jeunes de moins de 30 ans représentent plus de la moitié de ses sujets, le prince héritier trentenaire, Mohammed Ibn Salman, cherche aussi à calmer leurs ardeurs contestataires en ouvrant la société aux divertissements qui, comme la participation des femmes à la vie active, seront aussi bénéfiques économiquement.

À vous lire, c’est davantage le poids des coutumes que le carcan religieux qui pèse sur cette jeunesse…

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C’est très juste. Le Coran n’interdit pas aux femmes de conduire et de travailler mais la tradition l’a voulu. Il faut aussi compter avec le fait que les femmes conservatrices sont parfois les meilleures ennemies de leurs congénères, et avec l’attachement des hommes à leurs « privilèges ».

J’ai parfois peur que ces réformes bousculent trop rapidement les religieux et les conservateurs, même si la société a un besoin évident de muter

Dans mon livre, quand Khaled, le fêtard de service, parle de son mariage futur, il affirme qu’il continuera à sortir et à avoir des maîtresses, mais ne conçoit pas une seconde que son épouse puisse faire de même ! Le décret royal qui permet aux femmes de conduire ne signifie pas qu’elles auront la liberté de conduire, car il leur faut encore l’autorisation du tuteur masculin. Les Saoudiennes restent inféodées à un homme, et le prochain combat sera l’abolition du tutorat.

Ces réformes sociétales ne heurtent-elles pas les conservateurs ?

J’ai parfois peur que ces réformes bousculent trop rapidement les religieux et les conservateurs, même si la société a un besoin évident de muter. Rappelons que le jeune Mohammed Ibn Salman est aussi surnommé le « prince du chaos » pour ses opérations militaires au Yémen et l’initiative de la crise fratricide avec le Qatar. C’est un pays qui avait l’habitude d’avancer à un rythme prudent. Feu le roi Abdallah et ses prédécesseurs dirigeaient en tenant compte du consensus. J’ai l’impression que le pouvoir actuel passe outre. Or les Saoudiens ont besoin de digérer les choses. En voulant réformer rapidement, le risque de casse n’est pas exclu.

Kamel Daoud a écrit : « l’Arabie saoudite, c’est Daesh qui a réussi ». Qu’en pensez-vous ?

Il y a tout de même dans ce pays des nuances, des subtilités et des complexités qui échappent aux observateurs lointains. C’est de celles-là que je veux parler. 

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