Mahmoud Boudarène : « Justice n’a pas été rendue » en Algérie
Mahmoud Boudarène, Psychiatre et docteur en sciences biomédicales, revient sur les massacres commis durant la décennie noire qui ont marqué l’Algérie. Selon lui la réconciliation nationale n’a pas lieu d’être et « le pardon a été accordé aux bourreaux sans que les victimes soient impliquées dans cette démarche ».
Jeune Afrique : La récente diffusion par la télévision d’État d’images de massacres commis durant la décennie noire a choqué. Les traumas de la guerre civile sont-ils encore vivaces ?
Mahmoud Boudarène : Les Algériens sont encore marqués par ces années de barbarie et de sang. Le traumatisme est profond, et les dommages causés à la vie psychique des sujets – notamment ceux qui ont été directement confrontés à la mort – sont loin d’être guéris. Nombreux sont ceux qui ont sombré dans la maladie mentale. C’est pourquoi le pouvoir agite aujourd’hui l’épouvantail de la décennie noire. Il veut réveiller l’effroi chez les personnes et instiller la terreur dans les consciences.
Faut-il rappeler que le terrorisme, pour résiduel qu’il soit, est toujours présent et que la matrice idéologique qui l’a porté a plus que jamais infiltré la société ? Le moment choisi pour diffuser ces images n’est donc pas anodin. L’Algérie est en train de s’abîmer dans une crise économique et politique dangereuse pour son avenir. Ces images sont diffusées pour faire peur. L’idée étant qu’un peuple qui a peur est facile à soumettre.
En quoi la réconciliation nationale n’est pas à même, selon vous, de mettre un terme au cycle de la violence ?
Une réconciliation qui se passe de l’un des protagonistes, si je peux formuler les choses ainsi, n’en est pas une. Les bourreaux n’ont été ni mis devant leurs responsabilités, ni confrontés à leurs victimes. La justice n’a pas été rendue, et le pardon a été accordé aux bourreaux sans que les victimes soient impliquées dans cette démarche. C’est un déni de justice dans la mesure où les victimes ont été spoliées de leur deuil ainsi que de leur droit à accorder ou non le pardon.
Les dispositifs mis en place à l’avantage des terroristes repentis ont été vécus comme une agression à l’endroit des victimes
Les lois sur la concorde civile et la réconciliation nationale n’ont pas respecté leurs engagements. Leur mise en application ne s’est pas inspirée des expériences menées ailleurs dans le monde, notamment à la fin de l’apartheid, en Afrique du Sud. Les dispositifs mis en place à l’avantage des terroristes repentis – afin qu’ils puissent retrouver une place dans la communauté nationale – ont été vécus comme une agression à l’endroit des victimes et de la société tout entière. Voilà pourquoi la violence ne s’est pas totalement éteinte et qu’elle peut à nouveau regagner en intensité.
Quels sont les bons et les mauvais aspects de cette politique de la main tendue ?
Cette politique, telle qu’elle continue d’être menée aujourd’hui, est mauvaise. Elle dure depuis presque vingt ans et participe d’une forme de complaisance vis-à-vis du terrorisme. Déclinée ainsi, cette main tendue ne signifie rien d’autre que la capitulation de la République. Cela n’est pas bon pour l’avenir de la nation. Il y a quelques jours seulement, le Premier ministre a de nouveau garanti aux terroristes encore présents dans les maquis le pardon de l’État s’ils venaient à se rendre. Mais la magnanimité doit être empreinte d’une certaine fermeté et fixer les limites morales aux objectifs assignés, en particulier le pardon à accorder.
> Mahmoud Boudarène est psychiatre et docteur en sciences biomédicales. Il est notamment l’auteur de La Violence sociale en Algérie. Comprendre son émergence et sa progression, Koukou Éditions, septembre 2017.
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