Mohamed Tozy : « La nouveauté dans l’accueil d’étudiants subsahariens au Maroc, c’est la massification »
Entre 2013 et 2017, le politologue Mohamed Tozy, figure majeure de la vie intellectuelle et universitaire marocaine, a dirigé l’École de gouvernance et d’économie (EGE) de Rabat. Il a participé à la création, en 2014, de la chaire d’études africaines comparées, dirigée par Jean-François Bayart, cofondateur et ex-directeur de la revue « Politique africaine ».
Maroc : Africa first
Entre la réforme de l’Union africaine, qu’il a rejointe en janvier, son adhésion à la Cedeao, qui devrait être entérinée à la mi-décembre, et les partenariats qu’il a engagés, le royaume va devoir relever de nouveaux défis sur le continent.
De retour depuis quelques jours au sein de l’université publique, en tant que directeur du nouvel Institut d’études avancées (IEA) de l’université Mohammed-VI-Polytechnique (UM6P), dont l’un des objectifs est de renforcer le dispositif de recherche en sciences politiques et sociales en Afrique, il revient sur les relations que les chercheurs marocains entretiennent avec le continent.
Jeune Afrique : Comment expliquez-vous le regain d’intérêt des étudiants marocains pour le continent africain ?
Mohamed Tozy : Il y a de multiples raisons, l’une d’elles étant que ce regain d’intérêt est une sorte de « retour pendulaire » à la généralisation de l’arrivée d’étudiants subsahariens dans les écoles et universités marocaines.
Ce regain d’intérêt est-il directement lié à la décision politique, au plus haut niveau de l’État, de tourner son regard vers l’Afrique ?
Disons que cette décision a consolidé une tendance déjà perceptible. On peut prendre comme date de référence décembre 2015, où, après une bonne décennie de quasi-inactivité, l’Académie du royaume a organisé sa session de reprise d’activité autour du thème « l’Afrique comme horizon de pensée ». Avec cette inflexion diplomatique, les chercheurs vont forcément manifester des dispositions pour mener des projets universitaires sur l’Afrique. Une décision de la sorte ne crée pas de la recherche, mais un environnement qui lui est favorable.
Depuis longtemps déjà, nos projets étaient tournées vers le Tchad, le Mali…
Dans une certaine mesure, on peut aussi remarquer que le monde de la recherche a été en avance. Quand Paul Pascon [biologiste et grande figure de la sociologie marocaine] officiait à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan-II [de 1970 à 1985], nos projets étaient déjà tournés vers l’Afrique. Les étudiants partaient au Tchad, en Mauritanie ou au Mali pour accompagner les paysans et menaient des études comparatives sur l’agriculture oasienne, le traitement des palmiers, l’irrigation, etc. Je me souviens d’un paysan marocain, descendant d’esclave noir, embarqué dans un projet de transfert de techniques pensé par l’Institut et qui visait à aider des agriculteurs mauritaniens. Le discours qui sous-tendait était déjà celui, assez politique, du développement Sud-Sud. L’État marocain n’était même pas au courant ! Les financements venaient notamment du Fonds international de développement agricole.
Le tropisme vers l’Afrique subsaharienne n’est donc pas nouveau…
Non. On trouve d’ailleurs nombre de cadres sénégalais, maliens ou gabonais formés au Maroc. Et des étudiants africains au Maroc, il y en a toujours eu. Dans les années 1980 déjà, ils étaient nombreux à venir étudier à l’Institut agronomique ou à l’Institut de statistiques. En 1987, la création de l’Institut des études africaines, qui a d’ailleurs été confié un temps à Ahmed Toufiq, l’actuel ministre des Affaires islamiques, a permis de réunir un fonds d’ouvrages classiques, certes tourné vers l’histoire, mais qui sert de point de départ.
Ce qui est nouveau, c’est une sorte de « massification » du phénomène, notamment grâce à la mise en place d’une Agence marocaine de coopération internationale [AMCI, créée en 1986], dont c’est la principale mission.
Vous-même avez travaillé avec le Groupe OCP sur l’évolution de la coopération avec le sud du continent. Comment s’est passée cette collaboration avec une entreprise publique au rôle stratégique ?
Je crois qu’il y a eu une convergence d’intérêts, qui n’a pas entaché notre indépendance. Il y a eu de l’intelligence de part et d’autre. Par ailleurs, OCP ne cache pas son besoin de savoir : OCP Policy Center travaille beaucoup sur le continent, avec une approche pragmatique claire.
Pourquoi, depuis les années 1980 jusqu’au milieu des années 2000, y a-t-il eu une sorte de reflux de cet intérêt pour l’Afrique ?
Les raisons sont nombreuses, mais la manière même dont la recherche est organisée dans le monde aujourd’hui pose un problème aux Marocains. Dans les universités françaises et francophones en général, le Maroc a été classé dans l’étude des sociétés nord-africaines.
Puis, l’influence américaine aidant, il est passé dans une catégorie plus large, qu’on appelle vulgairement Mena [Middle East and North Africa, littéralement « Moyen-Orient et Afrique du Nord »]. Aussi, le Maroc n’est presque jamais rattaché aux laboratoires ou aux bibliothèques sur l’Afrique. Cela paraît bête, mais ça a une réelle incidence sur les demandes de bourse, les rapports aux enseignants, la formation des réseaux ou encore les colloques…
Selon vous, quels types de projets peuvent favoriser les études africaines au Maroc ?
La rencontre entre les étudiants et les chercheurs du continent, évidemment. L’un des projets que nous avons lancés avec la chaire d’études africaines comparées a été de créer la revue Politique africaine et de faire venir un petit groupe d’une trentaine d’étudiants africains pour un séjour au Maroc. Nous avons aussi envoyé des doctorants dans des universités ouest-africaines, notamment à Niamey.
D’une manière générale, le monde des études africaines est en pleine révolution. Et, dans cette révolution, le Maroc est perçu comme une plateforme. On le voit par exemple avec l’installation de campus d’université et de grandes écoles françaises, comme celui de Paris-Dauphine [au Technopark de Casablanca, ouvert en 2016] ou de l’Essec [à Rabat, qui vient d’accueillir ses premiers étudiants], lequel porte d’ailleurs le nom révélateur d’Essec Afrique-Atlantique.
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